Trente-six jours après la démission de Saad Hariri, la présidence de la République a enfin fixé pour lundi les consultations parlementaires contraignantes en vue de désigner le futur Premier ministre. Sauf que cela ne répond pas du tout aux exigences de la rue en ébullition depuis des semaines. À l’heure où les manifestants plaident pour un cabinet de spécialistes, les choses semblent progresser dans le sens d’une équipe techno-politique dirigée par Samir el-Khatib.
Si Baabda s’est décidé au sujet des consultations parlementaires, c’est qu’il a mis le processus gouvernemental officiellement sur les rails. Mais on ne peut réduire l’importance du communiqué fixant la date de ces consultations tant attendues à cette seule dimension constitutionnelle. D’autant qu’il semble indiquer qu’une entente élargie aurait été atteinte, tant sur le nom du futur chef du gouvernement que sur la forme et la composition de son équipe. Un accord que le président de la République Michel Aoun a longtemps attendu avant de convoquer les parlementaires à Baabda. Il s’agissait, pour lui, d’assurer au Premier ministre une majorité confortable qui lui permettrait de mener à bien sa mission.
Selon une source proche du palais présidentiel, il est clair qu’il y a une entente sur le nom du vice-président de la compagnie Khatib & Alami, dont le nom a émergé la semaine dernière pour former la future équipe. Le courant du Futur, le Courant patriotique libre et le tandem chiite ont pris part aux négociations politiques ayant débouché sur cet accord, a-t-elle indiqué.
Le tandem chiite
Cette entente intervient au lendemain d’une déclaration de Saad Hariri dans laquelle il affirmait soutenir la candidature de Samir el-Khatib, mais aussi de son entretien avec le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, bras droit du président de la Chambre, Nabih Berry, et Hussein Khalil, conseiller politique du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah. Selon notre correspondante Hoda Chédid, le ministre sortant des Finances a confié, en marge des audiences du mercredi à Aïn el-Tiné, que lors de cette rencontre, les deux émissaires ont assuré à M. Hariri que le tandem chiite l’appuie et soutient toute personnalité qu’il nommerait. Le responsable du mouvement Amal a ajouté que le prochain gouvernement pourrait être composé de 24 ministres et que les formations politiques pourraient choisir d’y être représentées ou non. Ce alors que la rue réclame un gouvernement d’experts indépendants.
Mohammad Fneich, ministre sortant de la Jeunesse et des Sports (Hezbollah), s’est contenté pour sa part de déclarer à L’OLJ que « les choses progressent probablement » dans le sens d’un gouvernement techno-politique avec Samir el-Khatib à sa tête. Il a laissé ainsi implicitement entendre que les partis de Hassan Nasrallah et Nabih Berry nommeront M. Khatib lors des consultations parlementaires prévues lundi. « D’autant que les principales forces politiques, notamment le CPL, le Futur, le Hezbollah et le mouvement Amal, se seraient entendues autour de ce nom et de l’importance de la mise sur pied d’un gouvernement productif », a-t-il précisé.À travers cet appui à M. Khatib, le Hezbollah se rétracte par rapport à sa position antérieure. Le parti a longtemps insisté pour que Saad Hariri soit reconduit à son poste, à la tête d’un cabinet techno-politique. À ce sujet, Mohammad Fneich est clair : « Il est vrai que Saad Hariri représente une écrasante majorité de la communauté sunnite. Mais c’est lui qui a décidé de se retirer. Et il fait partie intégrante de l’entente élargie qui vient d’être atteinte. » À une question portant sur la réaction de la rue qui n’a pas tardé à manifester son opposition à un éventuel cabinet Khatib, le ministre hezbollahi a répondu en réduisant les protestations dans plusieurs régions du pays à « l’expression d’un point de vue ».
(Lire aussi : En dépit de l’annonce des consultations, la situation reste confuse, le décryptage de Scarlett HADDAD)
Le CPL et le Futur
Outre le duopole chiite, et en attendant la décision des Forces libanaises dont le bloc se réunit cet après-midi, les regards demeureront braqués sur le CPL et le Futur, dans la mesure où leurs décisions pourraient définir le sort de l’option Khatib. Au terme d’un long bras de fer qui avait opposé Baabda et le CPL à M. Hariri autour de la forme du prochain gouvernement, le leader du CPL, Gebran Bassil, a fait tout ce qu’il pouvait pour faciliter la mise sur pied du cabinet, et le parti ne fera plus de concessions à ce sujet, confie une source parlementaire aouniste à L’OLJ. Mardi, Gebran Bassil s’est dit prêt à rester en dehors du cabinet si cela garantit son succès.
« Nous ne sommes attachés à rien et à personne. Nous nommerons Samir el-Khatib si le Futur le fait, poursuit la source avant de décocher une flèche en direction du leader du Futur. Pourquoi les gens sont-ils mobilisés dans des régions comme Tripoli et le Akkar ? Si M. Hariri ne veut pas de M. Khatib, qu’il nous en notifie. » Une façon d’accuser implicitement le Futur de jouer la carte de la rue dans ses fiefs afin de presser vers une reconduction de Saad Hariri à la présidence du Conseil. Des accusations que la Maison du Centre réfute naturellement. Dans les milieux du bloc parlementaire haririen, on rappelle que le parti avait donné des directives interdisant toute manifestation en signe de solidarité avec le Premier ministre sortant. Ces milieux rappellent aussi, via L’OLJ, que M. Hariri lui-même a annoncé mardi soir son appui à Samir el-Khatib. Le bloc le nommera donc lors des consultations parlementaires à Baabda, ajoute-t-on de même source avant d’assurer que le soutien à la candidature de M. Khatib n’est pas une manœuvre politique, mais une façon de faciliter la formation d’un cabinet. Et de souligner que le Premier ministre sortant est toujours convaincu qu’un gouvernement de spécialistes est le seul à même de redresser le pays. Mais cette proposition s’est heurtée au refus de plusieurs protagonistes. Saad Hariri a donc choisi de soutenir des personnalités qui pourraient former le gouvernement, d’où l’appui à Mohammad Safadi, Bahij Tabbara et Samir el-Khatib.
Concernant ce dernier, des sources proches du bloc parlementaire du Futur affirment qu’aucune condition ne lui est imposée. Le parti est même disposé à nommer des experts pour prendre part à son équipe, mais il n’est pas question de participation à caractère politique. Selon ces milieux, Saad Hariri aurait même assuré à Samir el-Khatib « la couverture sunnite ». Sauf qu’un communiqué publié hier par trois anciens Premiers ministres, Fouad Siniora, Nagib Mikati et Tammam Salam, a été interprété comme le signe d’un « mécontentement sunnite » face à l’option Khatib et pourrait même aller jusqu’à l’anéantir. « Tout candidat à la présidence du Conseil acceptant de prendre part à des consultations autour de la forme du gouvernement et de ses membres avant sa désignation, aux fins d’être testé par un jury n’ayant aucun mandat constitutionnel, contribue à la violation de la Constitution, à l’affaiblissement et à l’atteinte à la fonction du président du Conseil », ont-ils déclaré.
Plus tard dans la journée, dans une déclaration à la LBCI, M. Siniora a été encore plus loin, s’en prenant implicitement à M. Khatib. « Il est impossible qu’une personne qui n’a jamais exercé de fonction gouvernementale soit nommée Premier ministre », a-t-il tonné.
Lire aussi
La victoire en chantant, l'impression de Fifi ABOU DIB
Crise du dollar : la main-d’œuvre migrante touchée de plein fouet
Contre les méthodes contestées du pouvoir, une escalade en perspective
Sur le Ring, des bougies à la mémoire des victimes de la crise
L’USJ et l’AUB prennent des mesures en faveur de leurs étudiants
commentaires (18)
Je ne comprends pas pourqoi le Hezbollah veut Hariri comme PM? C'est honteux d'avoir encore 24 ministres .
Eleni Caridopoulou
22 h 16, le 05 décembre 2019