Alors même que les autorités semblaient enfin répondre aux aspirations de la révolte populaire avec l’annonce, par la présidence de la République, de la tenue des consultations parlementaires contraignantes lundi pour désigner un Premier ministre, la rue, ayant décelé une manœuvre, a spontanément répondu à ces mesures par un même cri : celui d’un refus systématique de la nomination de Samir el-Khatib. Ce dernier, pressenti pour le poste de Premier ministre, est considéré trop proche du pouvoir, et les méthodes choisies pour le désigner sont semblables à celles d’avant la révolution. Autant à Beyrouth, plus particulièrement sur la voie express du Ring, que dans différentes régions telles que Tripoli, Saïda, le littoral du Metn et plusieurs régions de la Békaa, les manifestants sont descendus en masse, outrés par le pouvoir qui semble ignorer leurs revendications et attristés par de récents suicides provoqués par la crise économique grandissante.
Une grande réunion rassemblant plusieurs groupes majeurs actifs au sein de la révolution, qui refusent d’être identifiés, s’est par ailleurs tenue hier à Beyrouth pour discuter des derniers développements et coordonner les actions à venir.
« Toutes les composantes sont d’accord pour s’opposer à ce nouveau gouvernement et à la nomination de Samir el-Khatib à sa tête, a affirmé l’un des participants à L’Orient-Le Jour. Voilà pourquoi nous avons décidé de recourir à des mesures d’escalade afin de faire pression sur le gouvernement et la classe politique, a-t-il ajouté. Nous pourrons envisager des mesures de désobéissance civile et sommes toujours en discussion autour des formes qu’elles prendront. Les décisions définitives seront connues dans les deux jours qui viennent. »
(Lire aussi : En dépit de l’annonce des consultations, la situation reste confuse, le décryptage de Scarlett HADDAD)
« Ce n’est pas notre tâche que de nommer des Premiers ministres »
Pourquoi ce rejet du futur gouvernement et de la personne de Samir el-Khatib ? « La manière dont ces négociations autour du gouvernement ont été effectuées montre que les partis au pouvoir n’ont en rien modifié leur comportement et ne s’engagent pas à satisfaire les demandes des citoyens, que ce soit en matière de lutte contre la corruption, d’indépendance de la justice, ou encore de répartition plus juste des pertes économiques entre les banques et le citoyen, explique cette source. Non seulement les méthodes sont les mêmes, mais les fuites autour de la formation du cabinet montrent qu’on est loin de ce gouvernement restreint dont on aurait eu besoin actuellement, étant donné qu’il compterait non moins de 24 ministres. »
Certains reprochent à la révolution de rejeter tous les noms proposés et de ne pas en suggérer d’autres. « Nous avons, au début de la révolution, fait circuler de nombreuses listes, rappelle cette source. Il existe beaucoup de personnalités indépendantes et compétentes au Liban, et la classe politique sait très bien où les trouver. Et de toute façon, ce n’est pas notre tâche que de nommer des Premiers ministres. »
Cette source fait remarquer que le nom proposé de Samir el-Khatib a déjà fait éclater la colère populaire. « Regardez le Ring, il y a beaucoup plus de manifestants qu’hier (mardi) », souligne-t-elle. Que dit-elle à ceux qui, observant des mouvements dans les régions « sunnites », accusent le Premier ministre Saad Hariri d’en être l’instigateur en vue de court-circuiter la candidature de Samir el-Khatib ? « Dans toutes les révolutions, il y a des groupuscules qui se greffent au grand mouvement pour faire avancer leur propre agenda, et cette révolution ne fait pas exception, selon cette source. Mais elles restent en marge de l’ensemble des protestations et ne reflètent pas l’opinion de la majorité. »
« Chaque jour de plus, un crime »
Pour Charbel Nahas, fondateur du parti des Citoyens et citoyennes dans un État, « la future formation de ce gouvernement n’est qu’une manœuvre de plus pour tenter de maintenir ce pouvoir corrompu en place quelques semaines supplémentaires, une manœuvre coûteuse qui va être assumée une fois de plus par la population ».
« Chaque jour que ce pouvoir reste en place est un crime », ajoute l’ancien ministre qui estime que ce dernier développement « ne vaut pas outre mesure la peine d’être commenté, ayant une portée limitée sur le cours des choses ». Son mouvement politique a en effet développé une vision complète de ce que devrait être la sortie de crise et la transition vers un Liban plus sain.
De son côté, Vicky Zouein, du parti Sabaa, confirme cette tendance à l’escalade après les récentes décisions des autorités. « Nous faisons partie du Comité de coordination de la thaoura (NDLR : qui compte plusieurs organisations), mais je ne parle pas en leur nom parce que chaque organisation s’exprime strictement en son nom, assure-t-elle. Ce que je peux dire, c’est que l’escalade est certainement au menu, même si les mesures n’ont pas encore été décidées. Ces mesures pourraient être inédites et viseront à faire pression sur les blocs parlementaires afin qu’ils nous prennent enfin en considération. »
« Ce que l’on sait du futur cabinet montre qu’il ne répond en rien aux aspirations des centaines de milliers de personnes qui sont descendues dans la rue », poursuit-elle. « Quand nous exigeons que des personnalités indépendantes occupent les postes de responsabilité, nous signifions par là non seulement que ce ne doivent pas être des politiques chevronnés, mais qu’on devrait éloigner toute personne ayant déjà eu affaire à cette classe politique, comme à travers des contrats par exemple, ce qui est le cas de M. Khatib, conclut-elle. Ce que nous observons, malheureusement, c’est un retour au même partage de gâteau qu’auparavant. »
Par ailleurs, un groupe qui se fait appeler « la Révolution du 17 octobre » a annoncé hier qu’ « en coordination avec les protestataires de toutes les régions, la journée de jeudi sera celle de la fermeture des routes ». Car, est-il précisé dans cet appel, « la révolution pacifique n’a donné aucun résultat »...
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commentaires (10)
Ce qui arrive c’est que le président, son gendre et le parti qui est derrière eux ne veulent pas offrir de solution viable en toute connaissance des choses. Ils proposent ce qu’ils savent être controversé par malice. Ils veulent que la révolution perdure car ils n’ont pas de solution pour la crise économique. Tant que le mouvement révolutionnaire est en marche, ils ont une excuse pour dire que les problèmes ne se règlent pas à cause du mouvement. C’est en fait la méthode de l’autruche. Ils détruiront le pays avant de sortir la bonne solution qu’ils savent existe mais qu’ils ne veulent pas offrir car elle les éloigne du pouvoir. La seule consolation est qu’ils sont maintenant bien ancrés dans leur place de honte dans l’Histoire.
Michael
19 h 59, le 05 décembre 2019