Le président libanais Michel Aoun a fixé mercredi les consultations parlementaires contraignantes en vue de nommer un Premier ministre au lundi 9 décembre, plus d'un mois après la démission du gouvernement de Saad Hariri, le 29 octobre dernier, sous la pression du mouvement inédit de contestation contre le pouvoir accusé d'incompétence et de corruption qui est entré dans son 49e jour.
Le chef de l'Etat affirme avoir pris le temps pour fixer la date de ces consultations pour permettre aux formations politiques de s'entendre au préalable sur une formule pour la formation du cabinet. Une démarche qualifiée plus tôt dans la journée d'anticonstitutionnelle par les anciens Premiers ministres. Juste après l'annonce de la date des consultations, des manifestants ont exprimé leur colère en bloquant le Ring, à Beyrouth.
Séances du matin et de l'après-midi
Selon le communiqué de la présidence de la République, les consultations s'ouvriront lundi à 10h30 avec le Premier ministre sortant, Saad Hariri. Ensuite, ce sera au tour de l'ex-Premier ministre Nagib Mikati d'être reçu par le chef de l'Etat à 10h45, suivi de l'ex-Premier ministre Tammam Salam à 11h, et du vice-président du Parlement, Elie Ferzli, à 11h15.
A 11h30, c'est le groupe parlementaire du Courant du Futur affilié à M. Hariri qui sera reçu par le président Aoun. Il sera suivi à 11h45 par le groupe du Hezbollah puis par celui affilié au chef des Marada, Sleiman Frangié, à 12h. Le bloc du Parti socialiste progressiste du leader druze Walid Joumblatt sera reçu à 12h15, et le bloc centriste, composé de Nagib Mikati, Jean Obeid, Nicolas Nahas et Ali Darwiche sera à Baabda à 12h30, suivi du groupe du Parti socialiste national syrien à 12h45. A 13h, ce sont les députés du parti Kataëb de Samy Gemayel qui seront reçus pour clore les consultations matinales.
L'après-midi, les entretiens reprendront à 15h avec le Rassemblement consultatif, suivi du groupe parlementaire des Forces libanaises à 15h15. Les députés indépendants seront pour leur part reçus par le chef de l'Etat entre 15h30 et 16h50. Le groupe parlementaire du mouvement Amal du président du Parlement Nabih Berry sera reçu à 17h. Celui du Liban Fort, dont le Courant patriotique libre de Gebran Bassil est la principale composante, ira à Baabda à 17h15, en compagnie des groupes de députés arméniens et druzes alliés au CPL, ainsi que le député Michel Mouawad.
(Lire aussi : Lettre ouverte de Samy Gemayel au président de la République)
La date des consultations contraignantes a été fixée malgré l'absence d'accord pour le moment sur le prochain Premier ministre. Mardi, Saad Hariri avait déclaré son soutien à la candidature de Samir Khatib, vice-PDG du groupe Khatib & Alami, pour le poste de Premier ministre, lors d'une discussions à bâtons rompus avec des journalistes, ouvrant la voie à un accord sur la formation d'un cabinet dit "techno-politique", au grand dam des contestataires qui réclament, eux, un gouvernement composé uniquement de technocrates indépendants des partis. Mais les anciens Premiers ministres Nagib Mikati, Fouad Siniora et Tammam Salam ont porté mercredi un sérieux coup à l'option de Samir Khatib pour succéder à Saad Hariri.
Ces dernières semaines, les noms de l'ancien ministre de la Justice Bahige Tabbara et de l'ancien ministre des Finances Mohammad Safadi avaient été pressentis pour occuper le poste de chef du gouvernement.
Réagissant à ces développements, le chef de l'Eglise maronite, Mgr Béchara Raï, s'est félicité de la convocation aux consultations contraignantes.
Le Ring coupé
A peine la date des consultations fixées, des dizaines de protestataires anti-pouvoir ont bloqué la voie-express du Ring à Beyrouth, devenu l'un des principaux lieux de la contestation et théâtre d'affrontements réguliers entre manifestants et partisans du Hezbollah et du mouvement Amal.
L'appel à cette manifestation avait déjà été lancé plus tôt dans la journée après qu'un père de famille, Dany Abi Haidar, confronté à des difficultés financières, s'est donné la mort près de Beyrouth.
"Révolution !", scandaient les protestataires, alors que d'autres manifestants s'opposaient au blocage de cet axe routier vital. Des échauffourées ont éclaté entre certains manifestants et des policiers anti-émeute, vers 17h. L'armée est arrivée en renfort une heure plus tard et des bousculades ont été enregistrées. Un colonel de la brigade anti-émeute a affirmé à L'Orient-Le Jour que les Forces de Sécurité intérieure agissent en fonction des ordres qu'elles reçoivent. "Si on nous demande de rouvrir la route, nous la rouvrons. Là, nous laissons la route fermée car nous constatons que cela ne sert à rien de la rouvrir", explique-t-il.
Photo Tilda Abou Rizk
Selon notre journaliste sur place Tilda Abou Rizk, les policiers anti-émeute ont bloqué la route du Ring aux manifestants qui venaient grossir les rangs à partir du quartier de Hamra. "Pour ceux qui se sont suicidés, notre présence dans la rue est éternelle, notre révolution pour la liberté", scandaient des manifestants, en faisant un jeu de mots en arabe, en allusion aux cas de suicides enregistrés ces derniers jours sur fond de crise économique et sociale aiguë. D'autres criaient : "Révolution contre le suicide". Des appels à marcher vers le ministère de l'Intérieur, situé à Sanayeh, pour réclamer la libération de manifestants détenus, ont même été lancés par certains meneurs dans les rangs des protestataires.
"Si nous restons cantonnés dans nos tentes, personne ne nous écoutera. Nous devons être là (en bloquant les routes)", insistait une manifestante auprès de notre journaliste sur place. "Les fleurs et les roses ne servent plus à rien. Je n'appelle pas à la violence, mais nous avons besoin d'actions sérieuses. Nous avons affaire à un pouvoir irrationnel", ajoute-t-elle.
Un groupe de manifestants a en outre allumé des bougies sur le bitume, en hommage "aux victimes de la Révolution". "Nous coupons des routes mais nous allumons des bougies aussi, pour montrer que nous sommes pacifistes", expliquait l'un d'eux. "Combien devront encore se suicider avant qu'ils (les responsables) ne se réveillent ?", demandait une autre manifestante.
"Vas-t-en ! Ton mandat a affamé tout le monde", criaient d'autres manifestants en chœur, en allusion au mandat du chef de l'Etat. Des insultes contre Michel Aoun et son gendre, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, fusaient également, tandis que d'autres protestataires appelaient à ne pas lancer des insultes.
Photo Tilda Abou Rizk
Par ailleurs, des protestataires se sont rassemblés en soirée, sur la rue Hamra avant d'entamer une marche en direction de la place Riad el-Solh. Ils ont lancé des slogans déplorant la hausse des cas de suicide ces derniers jours. Une autre marche a eu lieu de l'église Saint Elie à Antélias en direction de Zalka, en hommage aux deux Libanais qui se sont donné la mort, en raison des difficultés financières auxquelles ils faisaient face. Des manifestants ont ensuite coupé partiellement l'autoroute de Zalka.
L'Ani rapporte de son côté que plusieurs manifestants se sont rassemblés devant le ministère de l'Intérieur à Beyrouth.
A Saïda, notre correspondant Mountassar Abdallah, rapporte qu'une centaine de protestataires se sont rassemblés sur la place de la révolution du 17 octobre avant de sillonner les rues de la ville et de s'arrêter devant le siège de la banque centrale de la ville. Les slogans des protestataires étaient notamment dirigés contre le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé.
Dans le Nord, les manifestants ont coupé l'autoroute Tripoli - Beyrouth et Tripoli - Akkar.
Au Hermel, des protestataires se sont réunis devant le sérail de la ville et brandit des drapeaux libanais ainsi que des banderoles contre la corruption et la famine.
En journée, une série de manifestations et d'actions ciblées ont également eu lieu à travers le territoire. Plusieurs routes ont également été coupées, et l'armée a arrêté 16 manifestants dans la Békaa.
La révolte libanaise, déclenchée le 17 octobre, est entrée mercredi dans sa 49e journée. Les manifestants réclament notamment le départ de tous les responsables libanais et la réalisation de nombreuses autres revendications socio-économiques, sur fond de crise financière.
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Lettre ouverte de Samy Gemayel au président de la République
commentaires (8)
Cette révolution devrait bientôt se calmer . Tout le monde va se mettre à l'oeuvre
Chucri Abboud
23 h 20, le 04 décembre 2019