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Les clairs-obscurs de la Maison-Blanche

Pourquoi Donald Trump gelait-il, l’été dernier, sans aucune explication, une livraison de matériel militaire au Liban pourtant approuvé par le Congrès ? Et pourquoi le chef de l’exécutif américain vient-il de surseoir à sa décision, toujours sans se fendre d’une quelconque justification? Souvent impénétrables sont les voies de l’Oncle Sam ; mais qu’en serait-il donc quand c’est le plus excentrique des présidents qui se trouve aux commandes de la première puissance mondiale ?


Depuis la fin de la guerre de 15 ans qui ravagea notre pays, les fournitures d’armes US ont invariablement obéi à deux soucis : celui, alimenté en permanence par le lobby pro-israélien, de ne compromettre en rien la balance des forces avec l’État hébreu ; et le risque de voir le matériel américain tomber entre de mauvaises mains, comme cela arriva plus d’une fois dans le passé quand des unités entières de l’armée s’en allaient rallier, avec armes et bagages, l’une ou l’autre des factions en guerre.


Or de quoi parle-t-on en ce moment ? D’un lot d’une valeur de 105 malheureux millions de dollars : à peine de quoi se contenterait, en commissions et autres dessous-de-table, un digne membre de la ligue des prévaricateurs qui nous gouvernent ; et certes pas de quoi entamer d’un crin l’écrasante supériorité militaire d’Israël. Ne reste plus, dès lors, que la thèse d’un chantage en deux temps, faisant alterner la carotte et le bâton et exercé dans le cadre des sanctions et pressions américaines visant l’Iran et ses instruments. Là est précisément le plus préoccupant, quand on apprend que cette singulière valse-hésitation est le résultat de désaccords au sein du cercle restreint de conseillers de la Maison-Blanche, portant notamment sur le bien-fondé d’une assistance au Liban.


C’est contre ce genre d’interrogation oiseuse que s’élevaient récemment, dans une lettre adressée à Trump, deux élus démocrates, pour qui une telle aide serait aussi bénéfique pour le donateur que pour le récipiendaire. De manière plus percutante encore, le sénateur Chris Murphy, retour d’une visite à Beyrouth, soulignait qu’une interruption de l’équipement de l’armée libanaise était la chose la plus stupide que puissent faire les États-Unis s’ils essaient d’affaiblir le Hezbollah. À cette fin il n’existe pas de meilleur investissement que l’armée, ajoutait-il, assurant que ce point de vue était aussi celui du Pentagone et du département d’État.


C’est dans le même sens d’ailleurs que semble aller l’affirmation du chef de la diplomatie US, Mike Pompeo, selon laquelle les Libanais, tout comme les Irakiens (et jusques aux Iraniens eux-mêmes), sont actuellement en révolte contre l’influence du régime des mollahs dans leurs pays. Or ce n’est là qu’une demi-vérité ; car si, en effet, notre peuple aspire clairement au règne de la loi, et donc à la disparition des États dans l’État, il s’est insurgé aussi, et même surtout, contre le pillage des ressources publiques, lequel a conduit à une crise économique d’une gravité sans précédent.


Dans le même ordre d’idée, nul Libanais sensé ne saurait souhaiter un affrontement entre la troupe et la milice, qui viendrait parachever la ruine du pays. Pour cette raison, même ceux des dirigeants américains qui nous veulent du bien devraient cesser de ne considérer la question qu’à travers le prisme trompeur – et dangereux – d’une inéluctable confrontation entre ces deux forces. C’est vrai que le président Michel Aoun a failli à sa promesse d’intégrer à une stratégie de défense nationale le Hezbollah, auquel il doit en grande partie son élection ; c’est vrai aussi que le parti présidentiel, longtemps maître de la diplomatie libanaise, s’est rendu coupable de complaisance envers l’Iran, au grand détriment des rapports libano-arabes. C’est bien pour cette dernière raison d’ailleurs que l’Arabie saoudite revenait, en 2016, sur un don de trois milliards de dollars au Liban pour l’achat de matériel militaire auprès de la France.


C’est pour elle-même, qu’il faut continuer d’équiper et de former l’armée. Qu’il faut, malgré les âneries des responsables politiques, l’aider pour ce qu’elle est : une des dernières institutions libanaises crédibles, partout à la tâche ; qui non contente de défendre les frontières, doit encore maintenir, quand il le faut, l’ordre public, procéder aux opérations de sauvetage, éradiquer le terrorisme, lutter contre les contrebandiers et même les incendies de forêts, quand les gouvernants veulent bien daigner dépenser utile et lui en procurer les moyens…


Pour sa performance comme pour son moral, jamais l’armée n’aura autant mérité d’être choyée qu’en ce moment. Car elle a le double devoir de protéger l’État mais aussi la masse des citoyens insurgés contre l’injustice, la corruption, le népotisme, le clientélisme et les manœuvres dilatoires chères à l’establishment assiégé. Bien sûr, il se trouvera d’aucuns pour voir dans les fournitures américaines la preuve d’une implication de Washington dans la belle et colossale contestation populaire que connaît le pays.


Raison de plus pour empocher prestement le cadeau, avec toute la gratitude requise.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Pourquoi Donald Trump gelait-il, l’été dernier, sans aucune explication, une livraison de matériel militaire au Liban pourtant approuvé par le Congrès ? Et pourquoi le chef de l’exécutif américain vient-il de surseoir à sa décision, toujours sans se fendre d’une quelconque justification? Souvent impénétrables sont les voies de l’Oncle Sam ; mais qu’en serait-il donc quand...