Les anciens Premiers ministres Nagib Mikati, Fouad Siniora et Tammam Salam ont porté mercredi un sérieux coup à l'option de Samir Khatib pour succéder à Saad Hariri, qui avait démissionné le 29 octobre dernier sous la pression de la rue, à la tête du prochain cabinet. Ils s'en sont également pris au président de la République Michel Aoun, qui n'a toujours pas lancé les consultations contraignantes avec les groupes parlementaires, estimant qu'une formule pour la formation du cabinet doit d'abord être trouvée.
"Les anciens Premiers ministres sont effrayés par la grave violation de l'accord de Taëf et de la Constitution dans le texte et dans l'esprit, l'atteinte flagrante aux prérogatives des députés dans la désignation d'un Premier ministre à travers les consultations parlementaires et la création du concept de chef de gouvernement potentiel", indique un communiqué publié dans la journée par les trois anciens Premiers ministres.
"La façon dont la démission du gouvernement de Saad Hariri est ignorée, le retard dans la tenue des consultations parlementaires et le déni qui s'éternise face aux revendications que les gens expriment depuis près de 50 jours montrent que le président de la République sous-estime les demandes des Libanais et ignore leur volonté", poursuit ce texte.
"Cette atteinte sans précédent à la fonction du Premier ministre constitue un grave crime contre l'unité du peuple libanais et la Constitution. Tout candidat à la présidence du gouvernement acceptant de prendre part à des consultations autour du profil et des membres du gouvernement avant sa désignation, aux fins d'être testé par un jury n'ayant aucun mandat constitutionnel, contribue également à la violation de la Constitution, à l'affaiblissement et à l'atteinte à la fonction du président du Conseil", déclarent les anciens Premiers ministres. "Il faut en finir immédiatement avec cette mascarade, et lancer une initiative sans plus tarder pour revenir au texte de la Constitution", ont-ils conclu.
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La réponse de Baabda
Ces déclarations portent un sérieux coup, voire un coup définitif à l'option du vice-PDG du groupe Khatib & Alami, fortement pressenti pour diriger un gouvernement techno-politique, tout comme l'ont été ces dernières semaines l'ancien ministre de la Justice Bahige Tabbara et l'ancien ministre des Finances Mohammad Safadi.
Dans la foulée, la présidence de la République a publié un communiqué pour répondre aux accusations des trois anciens Premiers ministres. "S'ils savaient les conséquences négatives sur la situation et l'unité nationale que provoquerait l'accélération de la tenue des consultations, les anciens Premiers ministres n'auraient pas publié ce communiqué qui comporte des erreurs et auraient reconnu la sagesse de la décision prise par le président Aoun dans le but de préserver les fondements nationaux et du Pacte national du Liban", indique ce texte.
"Les discussions du chef de l’État ne constituent pas une violation de la Constitution ou de l'accord de Taëf, ni dans le texte ni dans l'esprit, car le Constitution ne définit pas de délai pour la tenue des consultations parlementaires, ou pour la formation du gouvernement s'agissant du Premier ministre désigné", poursuit Baabda, et de conclure. "Avec ces discussions entre les blocs parlementaires, le président veut assurer le plus large soutien au Premier ministre désigné pour lui faciliter la formation du cabinet, au vu des expériences passés pendant les mandats des anciens chefs de gouvernement signataires du communiqué".
Dans l'après-midi, le ministre d'Etat sortant chargé des Affaires de la présidence, Salim Jreissati, s'est à son tour adressé au "club perdu des anciens Premier ministres". "Vos lamentations sont hors de propos", indique un communiqué publié par M. Jreissati, ajoutant que les accusations contre le chef de l'Etat étaient "futiles".
"Il est vrai que la Constitution ne fixe pas de délai pour la tenue des consultations parlementaires, mais l'esprit de la Constitution, ainsi que le poids de la situation économique du pays, imposent au chef de l'Etat d'accélérer la tenue de ces consultations", ont répondu les anciens Premiers ministres en réponse au communiqué de Baabda, appelant toutefois à "mettre fin aux polémiques" et à "travailler sérieusement et de manière productive pour sauver le Liban".
(Lire aussi : Lettre ouverte de Samy Gemayel au président de la République)
"Les choses ne sont pas gelées"
Mardi, l'atmosphère semblait positive. Le chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil avait déclaré qu’il renonçait à se faire représenter au gouvernement si cela pouvait en garantir le succès, et Saad Hariri avait assuré qu’il ne participera pas au nouveau cabinet et qu’il soutenait la candidature de Samir Khatib, avant un entretien avec le ministre sortant des Finances Ali Hassan Khalil (mouvement Amal) et Hussein Khalil (Hezbollah).
Mais dans la nuit, des manifestants sont descendus dans les rues et ont bloqué plusieurs axes routiers. Le mouvement de contestation réclame un gouvernement composé uniquement de technocrates indépendants des partis.
"Les choses ne sont pas gelées, a déclaré ce mercredi M. Hassan Khalil lors d'une discussion à bâtons rompus avec des journalistes à Aïn el-Tiné. "Saad Hariri nous a expliqué (hier soir) qu'il soutenait et qu'il participera au gouvernement de Samir Khatib", a-t-il ajouté, indiquant que l'entretien avec le Premier ministre sortant avait duré 10 minutes. "Il est probable que le prochain gouvernement compte 24 ministres. chacune des composantes nommera ses représentants, politiques ou non", a déclaré le ministre sortant. Réagissant au communiqué des anciens Premiers ministres, Ali Hassan Khalil a déclaré qu'il ne ressemblait pas à leur communiqué précédent, notant que cette fois-ci, ils n'ont pas exprimé leur attachement à Saad Hariri.
De son côté, le député Amal, Ali Bazzi, rapportant des propos de Nabih Berry à l'issue de la réunion hebdomadaire des députés, a déclaré que ce dernier estimait "jusqu'à hier soir que les choses étaient extrêmement positives sur le dossier du gouvernement" et que "tout le monde a fait part de son intention de faire des concessions".
Pour leurs parts, les évêques maronites ont réclamé un "gouvernement honnête" et une "initiative salvatrice". "Nous demandons rapidement un gouvernement honnête et capable d'éloigner le Liban des dangers qui le menacent, de mettre fin à la corruption, de lancer un mécanisme pour rendre la justice indépendante, de recouvrer les avoirs volés, d'assurer les garanties bancaires des gens et de répondre à leurs revendications pour une vie digne", ont-ils affirmé à l'issue de leur réunion mensuelle à Bkerké.
La révolte libanaise, déclenchée le 17 octobre, est entrée mercredi dans sa 49e journée. Les manifestants réclament notamment le départ de tous les responsables libanais et la réalisation de nombreuses autres revendications socio-économiques, sur fond de crise financière.
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commentaires (12)
faut continuer a le repeter a ces gens : TOUS YAANI TOUS ! ils continuent a ne pas vouloir y croire : LE PEUPLE LIBANAIS NE LEUR FAIT PLUS CONFIANCE ! JUSTEMENT A CAUSE DE CES MACHINATIONS INCOHERENTES APPELEES CONSTITUTION- MEME PAS APPLIQUEES !
Gaby SIOUFI
17 h 53, le 07 décembre 2019