S’oriente-t-on enfin vers un déblocage de la crise gouvernementale ? La question s’est posée hier après les propos du chef du Courant patriotique libre Gebran Bassil, qui a été jusqu’à déclarer que son parti est prêt à rester en dehors de la future équipe si cela garantit sa formation, mais surtout son succès. Une position qui en principe devrait faciliter le processus. On attend donc les actes.
Quelques heures plus tard, au milieu de la nuit, des manifestants se mobilisaient toutefois en coupant plusieurs routes à travers le pays. Depuis le début de la contestation, les manifestants réclament la formation d'un gouvernement de spécialistes indépendants.
Cinq semaines après la démission du Premier ministre Saad Hariri, Gebran Bassil a donc brisé le silence au sujet des tractations ministérielles, au terme d’un bras de fer qui avait longtemps opposé le binôme Baabda-CPL au Premier ministre sortant autour de la forme du prochain gouvernement. Face à M. Hariri qui pressait pour que soit formé un cabinet de spécialistes, le tandem Baabda-CPL prônait un cabinet dit techno-politique, c’est-à-dire mêlant technocrates et figures politiques.
Gebran Bassil s’est exprimé à l’issue de la réunion du groupe parlementaire du Liban fort. L’occasion de dresser une sorte de bilan des tractations gouvernementales depuis la démission de Saad Hariri, le 29 octobre dernier. Il a ainsi fait savoir qu’une entente a été atteinte il y a deux semaines autour de la formation d’un cabinet dirigé par une personnalité proche de Saad Hariri, et auquel tout le monde pourrait participer, y compris le mouvement contestataire, à condition que les experts et spécialistes en constituent la majorité. « Durant les deux dernières semaines, les discussions portaient sur la composition du cabinet et les noms des ministrables », a-t-il confié.
Détaillant la position du CPL, M. Bassil a déclaré : « Le succès du gouvernement est plus important que notre participation. Et si nous devions choisir l’une de ces deux possibilités, nous opterions pour la première », a-t-il martelé, soulignant que la présence ou non de son parti au sein du cabinet est tributaire du seul critère de son succès. « Ce qui nous importe le plus, c’est le sauvetage du pays. Et notre seul critère (pour la formation du cabinet), c’est l’engagement et les accomplissements », a encore dit M. Bassil avant de poursuivre : « La désignation du Premier ministre et le vote de confiance au cabinet sont liés à son succès. » « Nous sommes prêts à nous sacrifier pour que se forme un cabinet conforme au pacte national, qui préserverait le pays », a-t-il ajouté.
« Nous ne sommes pas attachés à un siège au sein du gouvernement, mais à la lutte contre la corruption, à l’électricité », a-t-il poursuivi. Et de noter que « tout le monde reconnaît que les projets sont prêts, et que le prochain gouvernement n’a qu’à les mettre à exécution ». Selon le chef du CPL, il s’agit notamment du programme CEDRE, du budget 2020 et des plans relatifs aux dossiers des déchets et de l’électricité.
Assurant que son parti facilite le processus gouvernemental, Gebran Bassil a souligné qu’il « est impossible de maintenir les mêmes politiques ». « Et si quelqu’un perçoit les choses sous un autre angle, nous pourrions rester en dehors de la future équipe », a-t-il déclaré, insistant sur l’importance de la confiance du peuple et du Parlement dans le gouvernement.
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Les tractations se poursuivent…
Est-ce une sérieuse ouverture ou une simple manœuvre politique, M. Bassil ayant renoncé à certaines de ses conditions ? Il est probablement prématuré de trancher sur ce point. Mais un observateur politique contacté par L’Orient-Le Jour explique qu’à travers ces nouvelles prises de positions, Gebran Bassil chercherait à préparer le terrain pour la mise sur pied d’une équipe de spécialistes. Un message qu’il adresserait aussi bien à Saad Hariri qu’à la communauté internationale, mais aussi et surtout aux manifestants.
C’est surtout sous l’angle de leur timing que les propos de M. Bassil sont à analyser. Et pour cause : ils interviennent à l’heure où se poursuivent les négociations politiques avec le vice-PDG de Khatib & Alami, Samir Khatib, dont le nom a émergé la semaine dernière pour former la nouvelle équipe ministérielle. C’est dans ce cadre que s’inscrit son entretien hier au palais Bustros avec Gebran Bassil. Selon notre correspondante à Baabda, Hoda Chedid, le candidat à la présidence du Conseil a également rencontré le président de la République Michel Aoun, en présence du directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim.
M. Khatib qui s’était dit prêt à mettre sur pied le nouveau cabinet « s’il y a consensus autour de (sa) personne » bénéficie de l’appui de Saad Hariri, qui l’aurait rencontré hier après un premier entretien lundi soir. Lors d’une conversation à bâtons rompus avec les journalistes à la Maison du Centre, le Premier ministre sortant a déclaré : « Je soutiens la candidature de Samir Khatib (à la présidence du Conseil), mais il reste encore quelques détails à régler. » « Je n’impose pas de conditions au (futur) Premier ministre. C’est à lui de former son équipe », a affirmé M. Hariri, faisant savoir qu’il prendra part au gouvernement via des spécialistes et non des figures politiques.
M. Hariri a tenu ces propos à l’issue d’un entretien avec le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt. Étaient présents Waël Bou Faour, député joumblattiste de Rachaya, et Ghattas Khoury, conseiller politique de M. Hariri.
Plus tôt dans la journée, M. Joumblatt s’était entretenu avec le président du Parlement Nabih Berry. L’occasion pour lui de déclarer, lui aussi, que sa formation ne sera pas représentée par des personnalités partisanes, mais par des « druzes compétents », dont une liste sera remise au Premier ministre, qui en choisira les ministrables. « Ce n’est pas moi qui désigne Samir Khatib. D’ailleurs, la Constitution et ses mécanismes devraient être respectés », a-t-il tonné dans une claire critique aux atermoiements de Baabda à fixer la date des consultations parlementaires contraignantes.
Pour en revenir à Saad Hariri, selon une source proche de la Maison du Centre, il poursuit son forcing pour la formation d’un gouvernement d’experts. Un point qu’il aurait discuté avec M. Khatib lors de leur entretien lundi soir. À en croire la même source, M. Hariri a fait comprendre à Samir Khatib que c’est un cabinet de spécialistes qui devrait être formé en fin de compte.
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Le Hezbollah
Plus tard dans la journée, M. Hariri s’est entretenu avec Hussein Khalil, conseiller du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et Ali Hassan Khalil, ministre sortant des Finances et bras droit du président de la Chambre Nabih Berry. La discussion a naturellement porté sur la candidature de Samir Khatib. D’autant que le tandem Amal-Hezbollah s’est longtemps dit attaché à une reconduction de Saad Hariri à son poste, mais à la tête d’un gouvernement techno-politique. Sans lever le flou autour de ce point, Mahmoud Comati, ministre d’État sortant pour les Affaires du Parlement, ne s’est pas prononcé au sujet de l’option Khatib, mais s’est contenté de faire état via la chaîne OTV de « développements positifs, tant pour ce qui est de la désignation du chef du gouvernement que pour la forme de l’équipe ministérielle ». « Après une longue période de tractations, les choses progressent vers un cabinet combinant politiques et spécialistes, et nous y prendrons part par des politiques et des experts », a-t-il dit.
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22 h 16, le 04 décembre 2019