Mohammad Azakir/Reuters
Réunis vendredi matin au siège régional de la Banque mondiale à Beyrouth, les ambassadeurs et représentants des principaux bailleurs de fonds du pays qui devaient étudier les modalités de soutien pouvant être apportées au Liban commentaient non sans stupéfaction le choix d’une partie de la classe politique de désigner l’homme d’affaires et ancien ministre Mohammad Safadi à la tête du prochain gouvernement. « Ils n’ont rien compris, nous ne négocierons rien tant qu’un nouveau gouvernement ne sera pas formé avec une équipe acceptable par la rue. C’est la première des conditions », confie une source diplomatique à L’Orient-Le Jour.
Mais si M. Safadi a annoncé samedi qu’il se retirait de la course, les tergiversations politiques semblent bien parties pour durer alors que le pays est, de l’avis de plusieurs observateurs, au bord de la faillite. L’État doit rembourser en novembre près de 2,2 milliards de dollars (principal et coupons) à ses créanciers. La Banque du Liban, qui a couvert les deux premières échéances d’eurobonds de l’année en cours, va faire de même pour celle de novembre, selon son gouverneur Riad Salamé. Selon plusieurs experts interrogés, elle ne sera plus en mesure de le faire pour les échéances suivantes, ce qui conduirait de fait un défaut de paiement de l’État. Car la BDL, qui a vu ses réserves en devises baisser significativement au cours de la dernière année pour couvrir un déficit de plus en plus abyssal de la balance des paiements et continuer de maintenir la stabilité de la livre, est contrainte de prioriser l’utilisation de ses réserves.
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Cinq milliards de dollars
Selon nos informations, le Premier ministre sortant Saad Hariri a envoyé la semaine dernière un émissaire, qui n’est autre que son conseiller Hani Hammoud, pour faire le tour des grandes capitales des pays « amis ». Objectif : convaincre la communauté internationale de débloquer dans les plus brefs délais une enveloppe de cinq milliards de dollars. Mais un diplomate en poste à Beyrouth assure que les responsables libanais n’ont jamais formulé clairement un besoin précis. « Nous ne savons pas de combien ils ont besoin, ni à quelles échéances. Ils sont néanmoins beaucoup plus francs qu’auparavant sur le diagnostic. Ils nous indiquent que le Liban ne tiendra pas plus de trois mois si aucune solution n’est trouvée, car le pays fait face à une crise aiguë et que le plus dur va venir », affirme-t-il.
Cependant, rien ne laisse présager un déblocage d’aides financières de la part de la communauté internationale, qui prendraient la forme d’une injection de liquidités, comme le souhaitent les dirigeants politiques libanais. Malgré les multiples visites ces derniers mois de Saad Hariri dans les pays du Golfe, ces derniers ne souhaitent pas apporter d’aides budgétaires, essentiellement pour des raisons politiques. Quant aux bailleurs de fonds occidentaux, ils posent une série de conditions au déblocage de toute aide au Liban. Outre la formation « rapide » d’un nouveau gouvernement, ils exigent l’instauration d’un contrôle formel des capitaux, alors que celui-ci est mis en place de manière informelle par les banques. Les bailleurs sont également « réticents » à allouer de telles aides « sans la mise en place d’un plan de stabilisation et d’ajustement structurel par le Fonds monétaire international », ont indiqué à L’Orient-Le Jour plusieurs sources diplomatiques.
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La mise en place d’un plan de stabilisation et d’ajustement structurel par le FMI ne peut se faire sans que le futur gouvernement n’en fasse la demande formelle auprès de l’institution financière. Et rien ne laisse penser que la classe politique au pouvoir ira dans ce sens. Le Hezbollah y est clairement opposé pour des raisons principalement politiques. Et d’autres responsables, à l’instar du gouverneur Riad Salamé, contestent l’efficacité d’une telle intervention. Car un plan du FMI, « c’est une restructuration de la dette, une dévaluation de la livre et une série de privatisations », résume un diplomate. « Riad Salamé estime qu’une dévaluation ne servira à rien, compte tenu de la nature de l’économie du pays, et que l’inflation sera facile à ajuster après un retour de la confiance. Et à vrai dire, il n’y a pas non plus de consensus au sein de la communauté internationale sur ce point, qu’on tentera de renégocier avec le FMI au moment voulu », poursuit-il.
« Dans ce cas-là, les aides internationales viendront accompagner le plan du FMI, à travers notamment des clauses de sauvegarde pour les plus démunis », précise une des sources diplomatiques interrogées. « Nous pourrons ainsi prévoir un mécanisme de financement des importations des produits de base par le gouvernement, et un autre pour le financement direct aux entreprises car les banques ne seront pas en mesure d’accorder des prêts au secteur privé lors de leur phase de consolidation, qui durera quelques années », conclut cette même source.
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commentaires (16)
Oh, surtout pas le FMI, l'affameur des pays en développement!
Marionet
18 h 17, le 18 novembre 2019