Dans toutes les régions du pays, les Libanais ont rendu hommage mercredi soir, à la lumière de milliers de bougies, à Ala' Abou Fakhr, cadre du Parti socialiste progressiste tué la nuit dernière à Khaldé, la deuxième victime en marge de la contestation qui secoue le Liban depuis le 17 octobre.
Des affiches à l'effigie du défunt ont fleuri partout dans le pays, où étaient organisées des veillées de prière rassemblant des Libanais de toutes les confessions, notamment dans le centre-ville de Beyrouth, sur la place Sassine à Achrafié, à Khaldé, Baakline, aux abords du palais présidentiel de Baabda, sur le croisement dit de Chevrolet, ou encore à Tyr et sur la place Elia, haut lieu de la contestation à Saïda.
Dans cette ville, les manifestants ont allumé à 18h des bougies et récité une prière à la mémoire du "martyr de la révolution". Un grand portrait du défunt était installé au milieu de la place avec l'inscription "Ton sang n'a pas coulé en vain". Ala' Abou Fakhr est "le deuxième martyr après Hussein el-Attar et c'est le président de la République, Michel Aoun, qui est responsable" de sa mort, confie Samia, présente à la veillée, à notre correspondant Mountasser Abdallah. De son côté, Nadia promet que les Libanais "vont poursuivre la révolution pour lui".
A Jal el-Dib, des manifestants ont brandi également un portrait de Ala' Abou Fakhr, portant cette inscription : "Martyr de la révolution".
En fin de soirée mercredi, le cercueil contenant la dépouille du défunt a été porté en procession sur la place Riad el-Solh, cœur de la contestation dans la capitale libanaise. Le cercueil était porté à bouts de bras, au-dessus de la foule de manifestants qui, rassemblés face au Sérail gouvernemental, ont chanté l'hymne national et scandé des slogans révolutionnaires.
Appels à "des adieux pacifiques"
Plus tôt dans la journée, le chef du PSP Walid Joumblatt et la famille d'Ala' Abou Fakhr, avaient appelé les manifestants à faire leurs adieux, jeudi, au défunt de manière pacifique.
"La meilleure façon de rendre hommage au martyr de la révolution libanaise et du PSP Ala' Abou Fakhr, est de poursuivre cette révolution de manière pacifique, loin de toute tension, frénésie, appartenance politique", a écrit Walid Joumblatt sur son compte Twitter. "Ce mouvement a brisé toutes les barrières et unifié les Libanais. Ala' en était à l'avant-garde. Demain, pour ses adieux, couvrez les places et les routes de drapeaux libanais", a-t-il conclu.
Le fils de Walid Joumblatt, Taymour Joumblatt, a également rendu hommage à Ala' Abou Fakhr. "Ta conviction depuis le départ était de faire partie de cette marche des hommes libres. Ton destin était de mourir pour un nouveau Liban, devant ton enfant, ton épouse et tes compagnons dans un spectacle tragique qu'ils n'oublieront pas et que nous n'oublierons pas", a écrit le chef du groupe parlementaire du PSP sur son compte Twitter. "Notre tristesse est grande. Notre cœur est avec ta petite famille. Aujourd'hui, la nation est toute ta famille. Ton fils sera fier parce que tu est tombé pour bâtir une nation meilleure", a-t-il conclu.
Les deux hommes s'étaient rendus dès hier soir à Choueifat, d'où la victime était originaire. Walid Joumblatt avait alors appelé ses partisans au calme. "L’État est notre seul recours, sinon nous allons vers le chaos", avait-il affirmé. Une position qui avait été saluée par le Premier ministre démissionnaire Saad Hariri.
Le patriarche maronite, Béchara Raï, a lui aussi rendu hommage à Ala' Abou Fakhr, en lui dédiant la prière du rosaire, en soirée, à Bkerké. "Nous avons tous perdu le sourire mais nous n'avons pas perdu l'espoir, et nous continuons de prier avec ferveur, même si les nuages s'amoncellent", a dit Mgr Raï. "J'exprime mes condoléances à la famille du martyr Ala' Abou Fakhr, et comme tous ceux qui aiment Ala' et comme tous les Libanais, nous le considérons comme le martyr de la contestation populaire", a ajouté le chef de l'Eglise maronite. "Nous prions pour que son sang ait été versé pour la rédemption du Liban". "Nous regrettons de voir des agressions contre les manifestants et des blessés dans leurs rangs. Nous refusons catégoriquement toute forme d'agression, d'où qu'elle vienne (...)", a insisté Mgr Raï. "Nous ne voulons aucune forme d'affrontement, ni avec l'armée, ni avec les forces de l'ordre. Nous prions pour elles, au moment où elles sont déployées sur tout le territoire pour protéger les citoyens et la liberté d'expression".
Selon un communiqué de l’armée, une rixe a eu lieu entre un groupe de protestataires qui coupaient la route et des militaires qui passaient à bord d'un véhicule appartenant à l'armée. Un soldat a alors ouvert le feu pour les disperser. L’institution militaire ajoute avoir ouvert une enquête après l'arrestation du militaire qui a ouvert le feu. En fin de journée, la troupe a publié un second communiqué dans lequel elle annoncé que la direction générale du renseignement de l'armée a déféré le tireur, un adjudant chef, devant la justice.
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"Descendez tous dans la rue pour Ala'"
"Nous avons pleinement confiance en l'Etat. C'est vrai qu'il y a une injustice, mais nous laissons la justice faire son enquête", a déclaré sur la chaîne locale LBCI le frère de la victime, originaire de Choueifat, dans le caza d'Aley. "A ceux qui aiment Ala', je leur dis : ne coupez pas les routes demain. Venez le célébrer à Choueifat. Je m'en excuse auprès de nos frères sur les places publiques, mais ce sera un jour de funérailles à Choueifat", a-t-il ajouté.
"J'espère que les présidents qui sont collés sur leurs sièges aient pitié du peuple. Que Dieu protège tous les jeunes du Liban. Je les appelle à poursuivre la révolte, à ne pas baisser les bras", a confié de son côté la mère de Ala' Abou Fakher au micro de la LBCI.
"Mon mari est mort en martyr. Je resterai dans la rue pour lui, car nous étions descendus dans la rue, lui et moi, main dans la main. Descendez tous dans la rue pour Ala'. Il aimait sa patrie", a de son côté crié son épouse, en pleurs.
Dans la matinée, le chef du Parti démocratique libanais Talal Arslane, rival traditionnel de Walid Joumblatt sur la scène druze, a condamné la mort d'Ala' Abou Fakhr, et présenté ses condoléances à la famille du cadre du PSP tué et aux habitants de Choueifat, appelant les Libanais à "se fier à l'Etat". "La période demande calme et sagesse, pour prévenir toute sédition", a-t-il ajouté sur son compte Twitter.
Walid Joumblatt a reçu une lettre de condoléances de la part du chef de l'Etat, Michel Aoun, selon la LBCI. Le leader druze a également reçu une série d'appels téléphoniques de la part de plusieurs responsables et anciens dirigeants, notamment le chef du Parlement, Nabih Berry, les anciens chefs de l'Etat Michel Sleiman et Amine Gemayel, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, et son épouse, la députée Sethrida Geagea, l'ancien Premier ministre Tamam Salam, la ministre de l'Intérieur Raya el-Hassan, l'émir Talal Arslane, ainsi que les ambassadeurs de France et des Etats-Unis, Bruno Foucher et Elizabeth Richard.
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À quoi joue Joumblatt ? Paix à ton âme Alaa tu es un martyr de la nation. Mais à quoi joue Joumblatt ? Il est passé en toute liberté et avec les éloges tous les barrages jusqu'à l'hôpital où était hospitalisé le défunt alors que les citoyens ordinaires ne peuvent pas espérer passer. Donc ce que je comprenez c'est le PSP qui bloque les routes de khaldé. Et maintenant il demande de couvrir les places de drapeaux libanais. Genre il n'a rien à se reprocher et n'est pas visé par les manifestants. Et le slogon kelon yaane kelon ?
16 h 20, le 13 novembre 2019