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Chorale de crise

Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause !

(Film de Michel Audiard, 1970)

…Dieu, ce qu’ils ont pu causer, quant à eux, en ce début de semaine, comme pour rattraper tout le temps passé à se remettre du formidable choc qu’était, par sa soudaineté, son ampleur, sa cohésion et son endurance, la contestation populaire initiée le 17 octobre.


À tout seigneur tout honneur : de la décevante interview télévisée du président de la République, on veut bien retenir d’abord son assurance d’un très prochain démarrage des consultations parlementaires visant à désigner un nouveau Premier ministre. On se réjouira d’une dénonciation, elle aussi bien tardive, de cette hérésie qu’est la démocratie consensuelle pratiquée depuis des années et qui condamne le pouvoir exécutif à la paralysie. Mais c’est pratiquement tout. Car le chef de l’État n’a pas caché sa préférence pour un cabinet incluant aussi bien des représentants des partis politiques que des technocrates : formule inacceptable pour les contestataires, qui d’ailleurs ont aussitôt traduit leur colère en réoccupant les rues, plutôt que de quitter le pays comme le leur conseillait, avec la plus grande maladresse, le premier magistrat de la République. Pour en rester à la chronique du palais présidentiel, c’est une scène pour le moins insolite qui y avait lieu le week-end dernier, avec cette réunion consacrée à la crise économique et qui groupait, autour de Michel Aoun, les instances bancaires étatiques et privées, ainsi que le ministre sortant des Finances. Nul à ce jour n’a expliqué en effet l’absence, à ces assises, du chef du gouvernement démissionnaire, pourtant premier concerné par l’expédition des affaires courantes : lesquelles affaires, d’ailleurs, ne se contentent plus de courir, et se font maintenant la course au triple galop.


Lundi, les Libanais avaient eu droit à un véritable déluge de logorrhées sur le petit écran, lesquelles n’ont en rien entamé toutefois leur exigence d’un grand nettoyage dans toutes ces écuries d’Augias qu’abrite l’État. Ils ont ainsi entendu le gouverneur de la Banque du Liban défendre sa gestion, puis s’évertuer à les rassurer quant à la totale sécurité de leurs dépôts : à charge cependant pour les responsables politiques, et aussi les banquiers, de faire leur travail. Les foules qui manifestent depuis près de trois semaines dans la rue ont exulté à l’annonce, par le président de l’Assemblée, du report d’une séance parlementaire qu’elles étaient bien décidées à torpiller en barrant de leurs flots furieux tous les accès au Parlement. Mais ces foules demeurent irréductiblement hostiles au projet de loi d’amnistie, revêtu du caractère d’urgence, qui devait y être soumis au vote.


Urgence pour qui, on vous le demande. Certes pas pour un bon millier de fanatiques ou terroristes qui, depuis des années, croupissent sans jugement dans les prisons, mais dont l’élargissement sans autre forme de procès serait un angoissant cauchemar sécuritaire. Nulle hâte n’est nécessaire non plus (bien au contraire !), pour ce qui est de classer les dizaines de milliers de mandats d’arrêt lancés contre des trafiquants de drogue et autres personnages de cet acabit. Si urgence il y a par contre dans ce projet de loi, c’est seulement pour une classe dirigeante accusée de corruption à grande échelle et qui peut y trouver plus d’un moyen de passer entre les mailles et failles du filet…


À ce singulier concours d’éloquence du lundi se joignait le chef d’un Hezbollah visiblement surpris, irrité et sans doute alarmé par l’évolution d’un mouvement de protestation qui n’a pas épargné ses fiefs, longtemps verrouillés, cadenassés, de la Békaa et du Liban-Sud. Une fois de plus, Hassan Nasrallah ne s’est pas privé d’agiter le spectre d’un effondrement économique, de troubles sociaux et même de guerre civile, tous maux évidemment imputables à autrui. Il a vanté les avantages d’une alliance non plus seulement politique mais économique avec l’Iran qui vient de s’enrichir d’un nouveau et gigantesque gisement de pétrole, il a même appelé à des échanges accrus avec la Chine ; mais l’homme qui excluait péremptoirement toute démission du gouvernement sous la pression de la rue, qui se refusait à l’avènement d’un cabinet apolitique se dit désormais ouvert à toutes les options.


Et voilà, tout un chacun ou presque a poussé sa chansonnette. À l’émissaire français débarqué hier en pleine cacophonie, on souhaitera tout de même bonne chance dans le décryptage de toutes ces partitions.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause ! (Film de Michel Audiard, 1970)…Dieu, ce qu’ils ont pu causer, quant à eux, en ce début de semaine, comme pour rattraper tout le temps passé à se remettre du formidable choc qu’était, par sa soudaineté, son ampleur, sa cohésion et son endurance, la contestation populaire initiée le 17 octobre. À tout seigneur tout...