Une série de mesures concernant le secteur bancaire libanais ont été prévues samedi à l'issue d'une réunion au palais de Baabda entre le président de la République, Michel Aoun, et plusieurs acteurs de ce secteur, alors que les banques sont sous forte tension au moment où le pays connaît son 24e jour consécutif d'une mobilisation populaire inédite contre le pouvoir jugé corrompu et incompétent et qui a poussé le cabinet de Saad Hariri à démissionner le 29 octobre.
Les ministres sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, de l'Economie, Mansour Bteiche, des Affaires de la présidence, Salim Jreissati, et le gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, ainsi que le président de l'Association des banques du Liban, Salim Sfeir, et des membres de cette association ont participé à cette réunion. Le Premier ministre sortant, Saad Hariri, était toutefois absent.
Selon un communiqué du palais de Baabda, le président Aoun a insisté en début de réunion sur "la nécessité de remédier à la situation financière et bancaire actuelle et de prendre les mesures nécessaires pour répondre aux besoins des citoyens et de les informer de tous les développements en parant à la propagation des rumeurs qui visent le secteur bancaire particulièrement, et la stabilité monétaire d'une manière générale". Le chef de l'Etat a ensuite "insisté sur la coopération entre la Banque centrale et l'ABL", qu'il estime "nécessaire en cette période afin d'atteindre les objectifs prévus".
"Pas de raison de paniquer"
Dans un bref communiqué lu à l'issue de la rencontre, Salim Sfeir a d'abord annoncé que "les ministres sortants des Finances et de l'Economie, ainsi que le gouverneur de la Banque centrale et le président de l'ABL ont été chargés du suivi de la situation bancaire et monétaire, et de publier des communiqués explicatifs afin d'éviter toute confusion ou informations infondées, en cas de besoin". Tentant de rassurer les déposants qui n'arrivent pas à retirer leurs montants des banques, M. Sfeir a affirmé que "l'argent des déposants est préservé et ce qui se passe n'est pas lié à une question de solvabilité, c'est pourquoi il n'y a pas de raison de paniquer". Le président de l'ABL a ensuite annoncé qu'il a été décidé à l'issue de la réunion de "demander au gouverneur de la Banque du Liban de continuer de prendre les mesures nécessaires pour maintenir la sécurité monétaire, la stabilité économique et la sécurité du système bancaire, conformément au Code de la Monnaie et du Crédit, et de proposer les mesures nécessaires pour des solutions pratiques en cas de besoin". Salim Sfeir a enfin fait savoir qu'il a été "demandé au gouverneur de la BDL, en coopération avec l'ABL, d'assurer les besoins des déposants, notamment les petits déposants, afin de stabiliser leur situation économique et sociale, et d'assurer également les facilités nécessaires pour la pérennité des secteurs productifs" du pays.
Par ailleurs, et selon la chaîne LBCI, le gouverneur de la BDL a assuré durant la réunion que "les crédits pour le carburant, la farine et les médicaments sont assurés", alors que les acteurs de ces secteurs tirent la sonnette d'alarme contre une prochaine pénurie. M. Salamé tiendra une conférence de presse lundi à midi et demi pour évoquer la crise du secteur bancaire.
Ali Hassan Khalil a, dans un premier temps, affirmé samedi que le Liban pourrait retarder le remboursement de sa dette en dollars. Il s'est néanmoins rétracté quelques heures plus tard, affirmant que le pays honorera ses engagements à temps.
(Lire aussi : Seules au front, les banques engagées dans une course contre la montre)
"Pression sur les banques"
Acculées, faisant face à une crise sans précédent, les banques tentent de gagner du temps. Elles ont annoncé hier qu’elles fermeront de nouveau leurs portes aujourd’hui et lundi (jour férié). De quoi leur donner un peu de répit alors qu’elles ont fait l’objet tout au long de cette semaine et surtout ces deux derniers jours d’une pression croissante de leurs clients et qu’aucune avancée ne se profile à l'horizon sur la scène politique.
"La pression sur les banques a augmenté de la part des clients locaux et des expatriés", admet Nassib Ghobril, directeur de la recherche à la Byblos Bank, dans un entretien à l'AFP. Des scènes d'échanges tendus entre clients, interdits de retirer les montants réclamés, et employés de banques, soucieux d'appliquer les nouvelles régulations, ont défrayé la chronique. La peur d'une crise bancaire est alimentée, selon M. Ghobril, par des rumeurs sur de possibles coupes dans les dépôts des particuliers par les banques, un scénario inenvisageable".
Dans ce contexte, la fédération des syndicats des employés des banques a appelé à une réunion lundi afin de "se pencher sur les agressions contre les employés". Evoquant des "insultes et mêmes des agressions physiques dans certains cas" par des clients contre certains employés, la fédération a appelé à "prendre une décision pour assurer la sécurité des collègues".
La dette du Liban a atteint 86 milliards de dollars cette année, soit environ 150 % du PIB, et les banques font face à une importante crise de confiance depuis la fin de l’été. Le mouvement de contestation, qui a débuté le 17 octobre, a mobilisé des centaines de milliers de Libanais toutes communautés confondues et a réussi à pousser le cabinet de Saad Hariri à démissionner. La formation d’un nouveau gouvernement se fait attendre.
Vendredi, le directeur régional pour le Moyen-Orient de la Banque mondiale, Saroj Kumar Jha, a affirmé dans un entretien accordé à Associated Press que les pertes accumulées par l’économie libanaise depuis le début des manifestations contre le pouvoir étaient "énormes" et que l’organisation estimait que le PIB du pays devrait se contracter de 1 % en 2019, contre – 0,2 % dans son rapport publié en octobre. Selon lui, cela reviendrait à des pertes estimées "entre 600 millions et 700 millions de dollars par jour pour l’économie entre pertes quantifiables et non quantifiables".
La Banque mondiale avait estimé mercredi que "l’étape la plus urgente" pour le Liban était "la formation rapide d’un gouvernement correspondant aux attentes de tous les Libanais". En cas d’impasse persistante, la moitié de la population pourrait sombrer dans la pauvreté et le chômage "augmenterait fortement", a averti la BM, à l’issue d’une rencontre d’une délégation avec le président Michel Aoun. Selon elle, environ un tiers des Libanais vit déjà sous le seuil de pauvreté.
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14 h 08, le 10 novembre 2019