Au lendemain de sa seconde rencontre avec le chef du bloc du Liban fort, le Premier ministre démissionnaire s’est entretenu avec le chef de l’État et il a quitté Baabda sans faire de déclaration. Deux conclusions s’imposent déjà : d’abord, le Premier ministre démissionnaire est désireux d’ouvrir un dialogue sérieux sur la composition du prochain gouvernement et, ensuite, il ne semble pas convaincu des propositions que lui a transmises la veille le ministre Gebran Bassil.
Selon des sources du courant du Futur, Saad Hariri souhaiterait en fait obtenir des garanties de la part du Hezbollah au sujet du fonctionnement du gouvernement avant d’accepter la moindre proposition. Pour rappel, M. Bassil avait soumis deux idées, la première porte sur un gouvernement dit de technocrates présidé par une personnalité choisie par M. Hariri, et la seconde formule consisterait en un gouvernement mixte, un mélange de technocrates et de personnalités politiques. Il faut toutefois préciser que le Hezbollah insiste sur la formation d’un gouvernement politique avec la participation de représentants du mouvement de protestation.
Selon des sources proches de ce parti, ce dernier serait convaincu qu’au-delà du bien-fondé des protestations populaires et de la sincérité des jeunes qui descendent dans les rues pour exprimer leur colère et leur rejet de la classe politique, l’objectif ultime du mouvement est de le cibler, lui ainsi que les armes de la résistance.
Depuis le déclenchement de la révolte populaire, les cadres du Hezbollah multiplient en effet les réunions pour analyser la situation et tenter de prévoir l’étape future. Ils sont ainsi arrivés à la conclusion que si, au départ, le mouvement de protestation était spontané et sincère, des parties politiques locales et internationales se sont greffées sur la colère des gens pour tenter d’imposer un agenda politique qui viserait l’affaiblissement du Hezbollah.
Selon les partisans de cette thèse, très rapidement, la fameuse division entre le 14 Mars et le 8 Mars est réapparue, alors que ce qu’on appelle « le compromis présidentiel » l’avait rendue obsolète et avait donné un nouvel exemple de coopération entre les principales composantes du pays, notamment le courant du Futur, le CPL et indirectement Amal et le Hezbollah. Cette coopération qui a permis l’élection présidentielle en 2016 (le président de la Chambre n’était toutefois pas favorable à l’élection de Michel Aoun au départ) ainsi que la formation des deux gouvernements de 2016 à nos jours. En même temps, depuis trois ans, il y a eu plusieurs tentatives d’ébranler ce fameux compromis, tantôt en faisant pression sur le Premier ministre Saad Hariri, tantôt en multipliant les pressions économiques et politiques sur le Hezbollah, pour monter contre lui son environnement populaire, et tantôt encore en cherchant à isoler le chef de l’État et son camp pour les pousser à défaire leur alliance avec le Hezbollah. C’est dans ce cadre que les sources proches du Hezbollah placent la campagne systématique contre le chef du CPL qui vise à le présenter comme une personne rejetée par la population.
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Les sources proches du Hezbollah vont encore plus loin et estiment que derrière le mouvement de protestation populaire tout à fait légitime, des forces occultes cherchent à rééditer le scénario des trois années de la prorogation du mandat d’Émile Lahoud (2004-2007). Il s’agirait ainsi d’isoler le chef de l’État qui serait ainsi boycotté par la plupart des composantes politiques et populaires. Dans ce contexte, les sources précitées considèrent que la manifestation des partisans du CPL dimanche était nécessaire, car elle a montré que ce parti et le chef de l’État continuent d’avoir une grande popularité.
Le plan visant à paralyser le mandat Aoun commencerait donc par la formation d’un gouvernement de technocrates qui écarterait ainsi du pouvoir exécutif le bloc du Liban fort, mais aussi le tandem chiite Amal et le Hezbollah pour laisser le champ libre à de nouvelles figures qui ne sont pas suffisamment politisées pour faire face aux pressions régionales et internationales. De plus, le gouvernement qui serait ainsi formé aurait pour principale mission de procéder à des élections législatives anticipées dans le but de renverser la nouvelle majorité issue des élections de 2018. De cette façon, il y aurait ainsi un changement total des rapports de forces instaurés à la suite de l’élection de Michel Aoun, au sein du gouvernement et au sein du Parlement. Et, après l’encerclement du chef de l’État, viendrait le tour du Hezbollah.
Pour étayer cette approche, les sources précitées évoquent le malaise qui régnait avant le déclenchement du mouvement de protestation, suite à des crises successives au sujet de l’essence, de la farine et du dollar, comme s’il s’agissait de pousser les gens à bout.
Pour toutes ces raisons, les mêmes sources précisent que le 8 Mars ne compte pas accepter un gouvernement de technocrates. Tout en reconnaissant que les représentants du mouvement doivent participer au prochain gouvernement, les sources précitées affirment que le 8 Mars préfère un gouvernement politique, avec des figures crédibles et qui inspirent confiance. Toujours selon les mêmes sources, le 8 Mars n’aurait aucun problème à désigner Saad Hariri pour former le prochain gouvernement, mais il faut d’abord s’entendre sur la composition du gouvernement et non ouvrir la voie, après sa désignation, à une longue période de vacance gouvernementale. Les contacts qui semblent s’accélérer ces derniers jours tournent autour de ces points, mais, à ce stade, nul ne peut prédire s’ils vont aboutir ou non. Pendant ce temps, la rue, elle, continue de protester sans s’essouffler.
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commentaires (9)
Tout le monde sait qu'aucun gouvernement ne peut décider de désarmer le Hezb, il s'agit d'une question régionale. Par ailleurs, mille fois le Hezb a dit qu'il n'y a aucune source ni "de proches" qui parlent à sa place, donc l'article relève de la pure analyse, ni plus ni moins. Le vrai problème est que la rue est anonyme, personne ne la représente, alors qu'il est vital pour le pays de former un gouvernement sans procrastiner. Petit à petit le mouvement populaire du 17 octobre deviendra une source supplémentaire du problème, alors que tous les citoyens voyaient en lui le début d'une solution. Dommage!
Shou fi
18 h 13, le 09 novembre 2019