Dans cette République pour rire, qui finira par tomber d’elle-même comme une poire blette, la praxis politique reste sur une ligne immuable, illustrée depuis plus de trois quarts de siècle par une image forte : deux fauteuils entourant une table basse, sur laquelle trône un vase de contrefaçon en plastique et une boîte de kleenex. Des éléments qui font partie de notre patrimoine institutionnel, puisque invariablement, se trouvent assis dans ce décor minimaliste deux ahuris en train de deviser sur les « problèmes-de-l’heure-à-la-lumière-des-derniers-développements ». Des fois même, y en a qui vivent dangereusement : ils se téléphonent et font ça la nuit...
Présidents, ministres, députés ou hauts fonctionnaires… Aussi loin que peut remonter la mémoire des Libanais, on n’a pas souvenance d’avoir jamais vu l’un d’eux, pas une seule fois, assis derrière un bureau en train d’écrire ou tapoter sur un clavier d’ordinateur. Quelle que soit l’identité des personnages, leurs taux de triglycérides, leurs vices cachés ou même les champignons intimes dont ils font l’élevage, ils se sont toujours pointés devant les caméras, affalés, la peau glutineuse, la panse flasque, les bras ballants, le rire gras… Un grand moment de télévision !
Que des centaines de milliers de manifestants battent le pavé depuis trois semaines en leur crachant dessus, rien n’y fait.
– « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir? »
– « Ni bureau, ni stylo, ni ordinateur portable… Je ne vois rien que des chefs politiques qui s’assoient, des forêts qui flamboient et la situation qui merdoie. »
La main sur le cœur, là où se loge le portefeuille, voilà maintenant que le Mollasson futuriste et le Basileus gendré remettent le couvert en mitonnant gentiment des arrangements de derrière les fagots. Enfin, des arrangements, on dit ça juste pour causer, en attendant qu’exsudent les premiers miasmes in-utero de la magouille.
En revanche, les consultations parlementaires peuvent toujours attendre. Patience, les gueux ! À chaque coup tordu suffit sa peine… Les Libanais n’auront plus qu’à enjamber l’extrême limite du fil du rasoir qui surplombe le gouffre, et là, lorsqu’ils auront un pied bien suspendu au-dessus du néant et l’autre bien posé sur une flaque de purin, les deux comparses leur torcheront une solution bâclée tout juste bonne à les maintenir sous respiration artificielle. Tenez, reniflez, ceci est mon sac poubelle…
À ce train, l’automne passera vite et d’ici l’hiver, la feuille de réformes haririenne s’en ira rejoindre ses consœurs pour égayer la saison finissante des feuilles mortes.
Le Liban est un éternel recommencement…
gabynasr@lorientlejour.com
commentaires (9)
Gaby Nasr , vous êtes un délice ! Pliée de rire à vous lire , face au tableau surréaliste qui n'échappe pas à votre oeil de lynx ... Je m'appelle Anne , j'ai 72 ans , et depuis ma naissance à Beyrouth je n'ai jamais rien vu venir d'autre que cette politique qui merdoie et se gargarise de palabres autour des vases en plastique . Bravo , et encore Bravo ! Et au plaisir de vous lire encore et encore !
Anne Da Costa
08 h 01, le 10 novembre 2019