Une semaine après la démission surprise du Premier ministre Saad Hariri, le pays baigne toujours dans l’obstruction et le blocage. Et pour cause : le pouvoir en place continue d’ignorer sciemment la pression des milliers de Libanais en faveur d’un gouvernement apolitique à même de redresser le pays et son économie moribonde. Les protagonistes au pouvoir semblent déjà engagés dans les sempiternels débats futiles tournant autour du bras de fer au sujet de la future équipe ministérielle, assorti d’infractions à la Constitution en vue d’atteindre ce but.
À l’heure où le palais de Baabda n’a toujours pas fixé la date des consultations parlementaires contraignantes, ce sont la politique politicienne et l’habituel bras de fer sur le partage du gâteau qui battent leur plein. Telle est l’impression qui se dégage de l’entretien, lundi, entre le Premier ministre démissionnaire et le leader du CPL Gebran Bassil. Il s’agissait de la toute première rencontre entre les deux hommes depuis le début du mouvement contestataire qui avait amené M. Hariri à jeter l’éponge, le 29 octobre dernier. Une décision par laquelle il aurait « trahi » le CPL, qui n’en a pas été informé à l’avance, selon les milieux du tandem Baabda-CPL.
Quoi qu’il en soit, et à en croire certaines fuites médiatiques, Gebran Bassil aurait profité de sa rencontre avec M. Hariri pour proposer au leader du courant du Futur, qui semble donné favori pour former le prochain cabinet, une certaine solution à même de calmer la colère des manifestants d’une part, et de répondre favorablement aux demandes de certains partis plaidant pour un gouvernement à dominante politique de l’autre.
Selon les mêmes fuites, le leader du CPL aurait invité Saad Hariri à nommer une personnalité gravitant dans son orbite pour former un cabinet de sauvetage économique. Celui-ci comprendrait des experts connus pour leur expérience et leur bonne réputation, bénéficiant de l’aval des formations politiques, ajoute-t-on de mêmes sources, avant de préciser que la proposition Bassil prévoit également la représentation du mouvement contestataire au sein du prochain gouvernement.
Il reste que la proposition Bassil intervient à l’heure où son parti semble afficher un veto à la mise sur pied d’un cabinet de spécialistes, tel que réclamé par le soulèvement populaire, dans la mesure où d’importants dossiers que le prochain cabinet devrait aborder sont à caractère éminemment politique. Mais Saad Hariri campe sur sa position : il insiste pour que soit formé un gouvernement apolitique qui n’inclurait pas les figures que les protestataires jugent « provocatrices », comme le confie à L’Orient-Le Jour une source au sein du courant du Futur. Elle reconnaît en outre que tant que le chef de l’État Michel Aoun n’a pas encore convoqué les députés au palais présidentiel, les compteurs resteront à zéro. Et ce proche des milieux haririens de souligner toutefois que l’importance de l’entretien Hariri-Bassil réside dans le fait de briser la glace entre les deux leaders. Même son de cloche du côté des aounistes. Ils se félicitent du contact établi entre les deux hommes après une longue rupture. Dans ces milieux, on soulignait, il y a quelques jours, que le parti fondé par Michel Aoun ne nommera pas M. Hariri sans entente préalable avec lui.
Au lendemain de la rencontre de lundi, le CPL semble avoir mis un peu d’eau dans son vin. Le parti n’a pas encore tranché cette question, se contente de préciser à L’OLJ une source au sein du groupe parlementaire Liban fort. Elle rapporte aussi que le bloc n’a pas encore dit son dernier mot au sujet de l’équation établissant un lien direct entre la reconduction du Premier ministre démissionnaire et la nomination de Gebran Bassil à la tête d’un ministère.
Pourtant, une source informée indiquait en soirée que le chef de l’État continue de lier le sort de M. Hariri à celui de M. Bassil.
(Lire aussi : Bassil chez Hariri, une petite brèche dans l’immobilisme ambiant)
Le tandem chiite
En attendant l’issue des contacts que MM. Hariri et Bassil devraient mener loin des feux de la rampe avec leurs alliés respectifs, les regards restent braqués sur le Hezbollah, hostile à un cabinet de spécialistes. Une position dont il aurait informé le président de la République, selon des visiteurs de Baabda cités par l’agence al-Markaziya. Convergeant avec le CPL, le parti chiite estime qu’à l’heure actuelle, le pays ne peut se doter d’un gouvernement apolitique, explique-t-on dans certains milieux, où l’on accuse le Premier ministre démissionnaire de vouloir garder Gebran Bassil et le Hezbollah à l’écart de la future équipe. On assure toutefois que le parti de Hassan Nasrallah ne « voit pas de problème » à un retour de Saad Hariri à la tête d’un gouvernement dit « techno-politique ». Une formule combinant un cabinet de technocrates et un gouvernement à dominante politique.
Outre la nomination (ou non) de Saad Hariri et la formule de la prochaine équipe ministérielle, des questions commencent déjà à se poser autour du partage des quatre portefeuilles dits « régaliens », notamment pour ce qui est du tandem Amal-Hezbollah, surtout si une équipe de spécialistes voit le jour. Pour le moment, rien n’est tranché ni pour le parti de Hassan Nasrallah ni pour celui du chef du législatif Nabih Berry. Mais dans les milieux du 8 Mars, on estime que ce dernier pressera pour conserver le ministère des Finances, et pourrait se contenter de ce seul portefeuille régalien, dans la mesure où les trois autres sont réservés à d’autres communautés religieuses. De même source, on souligne que le président de la Chambre établit, lui aussi, un lien entre la reconduction de Gebran Bassil et celle de Ali Hassan Khalil, ministre sortant des Finances et bras droit de Nabih Berry. Ce dernier est entré hier en contact par téléphone avec M. Hariri. L’occasion d’évoquer les derniers développements sur la scène locale et régionale.
(Lire aussi : La contestation de gauche face au Hezbollah)
Le mouvement contestataire
Du côté de la rue, le mouvement contestataire persiste et signe : il faut former un gouvernement de spécialistes, tel que préconisé par les donateurs de la conférence de Paris (avril 2018). De source proche de ce mouvement, y compris parmi les dissidents aounistes, on apprend que celui-ci, tout en refusant un retour de Gebran Bassil à l’exécutif, semble favorable à un gouvernement dirigé par une personnalité que nommerait le Premier ministre sortant. Ce dernier est lui aussi hostile aux agissements visant à former un cabinet avant même la désignation du Premier ministre, ajoute cette source, assurant que les Arabes et les Européens pourraient investir au Liban et placer d’importants dépôts à la Banque du Liban, si un gouvernement de technocrates était formé.
Le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, poursuit quant à lui son forcing dans le sens de la formation d’un cabinet dans les plus brefs délais. Hier, le prélat a prié pour que Michel Aoun lance ce processus, en tant qu’« action nationale urgente ».
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commentaires (15)
Jusqu'au soulèvement populaire, le PR n'avait pas tout faux, son bilan pèse plus lourd que ce qu'on entend ça et là. La rage populaire est la conséquence prévisible de plusieurs décennies de corruption. Mais c'est aujourd'hui que le pouvoir pèche par ses atermoiements et, surtout, surtout, par son entêtement à maintenir son gendre en place. La rue gronde, écoutez-la !
Marionet
20 h 37, le 06 novembre 2019