« Lorsque nous parlons politique, répondez-nous en politique et non par des insultes et des attaques personnelles. » C’est par ces mots qu’une activiste, Halimé Kaakour, résume la colère des femmes qui participent massivement depuis le 17 octobre à la révolte populaire, et qui sont devenues, depuis, la cible de vexations de toutes sortes.
Lors d’une rencontre-débat organisée mardi soir à place des Martyrs, des dizaines de femmes et d’hommes venus les soutenir ont dénoncé d’une même voix la guerre psychologique et machiste lancée contre elles depuis qu’elles ont investi la rue pour défendre leurs droits et se prononcer en faveur du changement.
Ce n’est pas la première fois que la femme libanaise – réputée pour son engagement assidu au sein de la société civile – prend part aux mouvements de contestation. Mais c’est certainement la première fois que sa présence est aussi manifeste et son influence aussi déterminante.
Ayant fait preuve d’un courage désarmant, notamment face aux tentatives de répression du mouvement, elles ont bravé les dangers et réclamé des transformations profondes en vue de l’amélioration de leur statut à tous les niveaux.
Ce sont elles principalement qui se sont retrouvées en première ligne et ont servi à maintes reprises de force tampon entre les forces de l’ordre et la masse des protestataires, sans jamais être intimidées.
« Cette révolution, nous l’avons baptisée la révolution contre la peur », lance Nada Bou Farhat, actrice et activiste. « Cette peur, dit-elle, ce n’est pas nécessairement celle que nous inspirent les hommes, mais celle que la guerre civile et les conflits armés ont semée dans les esprits de nos parents qui, à leur tour, nous l’ont transmise. »
Une peur que ces femmes de la révolution – par leur compétence, leur culture et leur sagesse – ont réussi à vaincre pour « réclamer haut et fort leurs droits les plus élémentaires ».
Convaincue « comme jamais auparavant » de la justesse des causes défendues dans le cadre du mouvement de contestation, Reina Hamad rappelle pour sa part que la fermeture de la voie express du Ring « est principalement l’œuvre de femmes et de jeunes filles au courage inouï ».
Venue témoigner de son expérience sur le terrain, elle raconte comment les femmes ont brisé toutes les barrières sociales qui jadis s’élevaient devant elles. Elles ont déferlé de toutes parts pour exprimer leurs doléances et instiller leurs valeurs et principes.
« Ce sont les femmes qui ont été à l’origine de la reformulation des slogans », rappelle l’activiste en allusion à la suspension, depuis une semaine environ, des chants et slogans injurieux scandés à l’adresse des politiques qui ont marqué les premiers jours de la révolte.
C’est précisément le langage offensant que les femmes veulent bannir du lexique de la révolution, pour lui substituer une terminologie plus proche des valeurs qu’elles défendent. Et pour cause : cette arme redoutable que constitue le lexique des termes vexatoires a été délibérément utilisée contre elles, dans le but de les intimider et de les dissuader de maintenir des revendications, qui dans une société patriarcale et machiste constituent une menace pesante.
« La participation de la femme à la révolte et son influence politique terrorisent les tenants du système en place », commente Halima Kaakour. Pour elle, c’est en recourant à toutes les formes de violence – physique, psychologique, sexiste –, en avilissant son image et en salissant sa réputation, notamment par le biais des commentaires désobligeants lancés dans la rue et sur la plateforme des réseaux sociaux, que les machistes expriment leur peur.
« Ensemble, aux côtés de toutes celles qui ont été victimes de cette violence, et de celles qui ont leur mot à dire en politique, nous disons d’une même voix : vous ne réussirez pas à nous terroriser, encore moins à nous embarrasser ou à nous affaiblir. Nous n’oublierons pas vos commentaires vexatoires, tout simplement parce que c’est vous qu’ils rabaissent et non les filles et les femmes que vous cherchez à cibler », lance Mme Kaakour. « Lorsque vous aurez des arguments à caractère politique pour répondre à notre discours politique, eh bien avancez-les. Sinon taisez-vous », ajoute-t-elle.
L’activiste faisait allusion aux multiples insultes dirigées notamment contre la député Paula Yacoubian et aux blagues de mauvais goût qui ont visé sa collègue Sethrida Geagea, ainsi qu’aux invectives dont les femmes ont été la cible dans le cadre du mouvement de contestation. « Un des députés a même utilisé le qualificatif de “cabaret” pour décrire notre combat dans la rue », déplore Halima Kaakour.
Gravement blessée à la cheville pendant les affrontements sur le pont du Ring, Léa Freiha est venue sur sa chaise roulante, pour défier tous ceux qui seraient tentés de recourir à l’intimidation par la violence. « C’est la première fois que je prends part à des manifestations. Ce qui m’a encouragée, c’est cette unité inédite entre Libanais qui s’est révélée au grand jour. Également, la conviction que notre contribution à ce mouvement populaire va avoir inéluctablement un impact à l’avenir », dit-elle. Et de conclure avec une assurance certaine : « Je vous le dis : il n’y aura pas de guerre civile. Quoi qu’ils disent, elle n’aura plus jamais lieu. »
Pour mieux marquer le rôle prépondérant de la femme au sein du mouvement de révolte, et une solidarité à toute épreuve, un appel a été lancé pour un grand rassemblement de femmes prévu ce soir, à 19h, place des Martyrs.
Pour mémoire
Au cœur de Beyrouth, on réclame aussi les droits des femmes ou la préservation de la vallée de Bisri
L'icône de la révolution libanaise célèbre son mariage place Riad el-Solh
Manifestations : une femme jetée au sol par un militaire à Furn el-Chebbak, l'armée s'explique
En un coup de pied, une Libanaise devient le symbole de la contestation
commentaires (3)
Bravo, bravo, bravo...
N. Noon
20 h 35, le 06 novembre 2019