C’était un jeudi soir. Devant la grille du musée Sursock, un couple de jeunes Italiens regarde à travers la grille, visiblement déçu : le musée est fermé depuis le 18 octobre. Au loin, on peut entendre les cris de la foule qui scande « thaoura » en chœur.
« L’ambiance est bizarre mais intéressante. Je ne sais pas vraiment comment décrire ce qu’il se passe en ce moment », raconte Ricardo, venu rendre visite à une amie qui habite Beyrouth depuis quelques mois. « Je vais aux manifestations presque tous les jours, ajoute Chiara en souriant, nous n’avons pas peur du tout. »
Si la révolution au pays du Cèdre aura dissuadé certains touristes de venir, d’autres ont adapté leur voyage à ces circonstances pour le moins imprévues. Depuis le 17 octobre, les Libanais ont investi la rue afin de manifester contre une classe politique qu’ils estiment corrompue et inefficace. Les touristes présents au Liban assistent à cette « révolution à la libanaise » avec un mélange de curiosité et d’inquiétude.
Entre les discussions politiques, les scènes de concert, les stands de nourriture et les barrages transformés en salons, le mouvement spontané s’est métamorphosé en rassemblement organisé. « Cela ressemble à un grand festival », raconte Jacques, touriste français ayant passé une semaine au cœur des manifestations. « C’est une conception originale de la révolution. Pour moi, la révolution, ça veut dire tout brûler, tout casser, comme ce que font les gilets jaunes en France, alors qu’ici c’est beaucoup moins violent », explique-t-il encore. Présent mardi dernier lorsque les « chemises noires » ont envahi la place, il décrit cet événement comme « le seul moment » où il a pu « lire tension et angoisse sur le visage des gens ». Il ajoute, ému : « En tant que Français, ce n’était pas ma lutte, bien sûr, j’y étais en tant qu’observateur. Mais en même temps, les gens étaient très accueillants et m’encourageaient à chanter les slogans, je me sentais solidaire. »
Américains, Français, Polonais ou encore Mexicains sont venus admirer les grottes de Jeïta, la ville de Byblos ou encore le palais de Beiteddine, mais leur voyage a été quelque peu perturbé par le début de la révolution. « Nous avons voulu quitter Beyrouth pour la journée (vendredi), mais nous avions peur de ne pas pouvoir y revenir le soir en raison des blocages », raconte Hercules, jeune Suédois venu passer quelques jours chez un ami. « J’ai pensé annuler mon voyage, car les premiers jours les images des feux et des casseurs étaient inquiétantes, témoigne-t-il encore, mais je me suis rendu compte que tout allait bien. »
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Villes fantômes
D’autres, plus téméraires, ont choisi de visiter le Liban comme prévu, mais ont pâti des routes bloquées et d’une ambiance étrange. « Nous avons visité des villes fantômes », observe Lucie, une jeune Française venue passer une semaine de vacances avec sa famille. « Byblos et Batroun étaient vides, il n’y avait personne dans les rues. Nous pensions visiter un bord de mer plein de vacanciers », renchérit-elle. À Saïda et Tyr, même constat : « Nous n’avons croisé aucun touriste, mais il n’y avait aucun manifestant non plus, c’était étrange. »
Pour les hôtels et agences de voyages, la situation demeure incertaine. « Au début, certains de mes clients me posaient beaucoup de questions à propos de leur sécurité, mais ils ont bientôt compris que tout allait bien », raconte Nick, de l’auberge de jeunesse Meshmosh. « J’ai même accompagné un groupe de touristes au cœur des manifestations », déclare-t-il encore en riant. « Nous avons eu beaucoup d’annulations et venons tout juste de rouvrir », déplore en revanche une employée de Nakhal, agence de voyages basée à Beyrouth. « Nous avons d’ordinaire des excursions régulières à Jeïta et Byblos chaque jeudi prévues pour 60 personnes. Ce jeudi, seules deux personnes sont venues. » Malgré les difficultés à quitter la capitale, la place des Martyrs, l’Œuf ou l’ancien théâtre sont devenus des lieux touristiques à part entière. « Je suis allé à l’Œuf, dont l’intérieur est saisissant », narre Jacques, venu y écouter une discussion avec un ancien ministre. Certains ont créé un parcours à travers les différents lieux des manifestations. « Avant, notre tour de Beyrouth ne passait pas par le centre-ville, explique à L’OLJ Moustapha, fondateur d’Alternative Tour Beirut, mais désormais, nous avons inclus une étape à travers les lieux des manifestations, afin d’expliquer la situation actuelle et de montrer la réappropriation des espaces publics par les Libanais, l’émergence des graffitis… C’est au cœur de notre projet, qui mêle tourisme, éducation et changement social. »
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Pour que la révolte devienne révolution, le commentaire d’Élie FAYAD
commentaires (5)
Festival de la révolution belle définition de nos touristes qui aiment le Liban même en danger . Encourageant .
Antoine Sabbagha
19 h 39, le 06 novembre 2019