L’ambiance était monochrome hier matin à Baabda, au sud-est de la capitale libanaise, sur le chemin menant au palais présidentiel. Des milliers de personnes se sont rassemblées en soutien au Courant patriotique libre (CPL) fondé par le président Michel Aoun, agitant aux côtés du drapeau libanais les drapeaux orange de la formation. L’espace grouille de monde. L’atmosphère générale est joyeuse, quoique sage. On vient pour écouter Gebran Bassil, chef du CPL et ministre des Affaires étrangères. Les enfants sont partout, ils reprennent en chœur les slogans de leurs parents.
Le discours est clair. Ici, on ne vient chercher noise à personne mais soutenir le président. Peu d’insultes, comme pour se distinguer des injures proférées à l’encontre de l’ensemble de la classe politique libanaise depuis le déclenchement du soulèvement populaire le 17 octobre dernier. M. Aoun et son gendre Gebran Bassil font l’objet de la vindicte populaire qui dénonce à tour de bras la corruption des politiciens et l’accroissement des inégalités dans le pays. Dans cette effervescence dominicale partisane, les drapeaux libanais s’affichent partout, en bandana pour se protéger d’un soleil tapageur, sur les tee-shirts et les visages, voire sous forme de tatouage. « On est ici pour soutenir le président Aoun dans son combat contre la corruption », s’exclame Wadad, 50 ans. Cette femme au foyer craint que le blocage de routes mette à mal l’avenir de ses enfants. « Mon fils ne pouvait plus aller au travail et ma fille avait un entretien d’embauche qui a été annulé. Nous étions avec les revendications du soulèvement des premiers jours, mais fermer les routes ainsi, c’est non ! » fustige-t-elle.
(Reportage : Le « non » assourdissant de la rue à Beyrouth)
À ses côtés, une femme à la casquette orange renchérit. « Nous aussi, nous sommes contre la corruption. Mais les manifs ont pris un tournant confessionnel. Pourquoi ceux qui sont descendus dans les rues ne s’en prennent qu’à Aoun et Bassil ? Il y a un favoritisme avec lequel nous ne sommes pas d’accord. »
Un peu plus loin, un groupe de jeunes brandissent des portraits du président faisant honneur à son passé de commandant en chef de l’armée. « Allah, Lebnan, Aoun w bass », scandent-ils, mentionnant ce qui constitue pour eux les trois piliers du pays : Dieu, le Liban et Michel Aoun.
Un jeune homme hisse deux drapeaux, l’un aux couleurs du CPL et l’autre en l’honneur de l’armée libanaise. « Je suis ici pour défendre le président Aoun et la chrétienté dans ce pays et dans la région, clame-t-il. Depuis les accords de Taëf, la présidence de la République est le dernier bastion des chrétiens au Liban. Il faut la protéger. » Cet employé de banque récuse pleinement le slogan phare du soulèvement libanais, le fameux « Kellon, yaani kellon » (Tous, ça veut dire tous). « En disant cela, on met tout le monde sur un pied d’égalité, le voyou et l’honnête homme. Or, le président est le plus propre de tous ! »
La voix de la chanteuse Julia Boutros, épouse du ministre sortant Élias Bou Saab, résonne sur la place. « Liberté, souveraineté, indépendance », entonne-t-on à tue-tête parmi d’autres fidèles du président.
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Manipulations
Une montée d’adrénaline enveloppe la foule qui attend avec impatience son héros. « Héla, héla, héla, héla ho, Gebran Bassil, men hebbo », reprise détournée du slogan populaire chantonné dans les rues du Liban au cours des semaines passées et dont la mère de M. Bassil a fait les frais.
Un homme au micro appelle les ouailles du président à faire preuve de patience. Le discours de M. Bassil est retardé. Il faut attendre les bus venus des quatre coins du pays, de la Békaa, du Nord, de Jounieh... « À ce qu’il paraît, le président n’a plus personne avec lui », lance-t-il sarcastiquement. La foule applaudit.
« Si le président s’en va, qui pour le remplacer ? » s’insurge Lorène, 55 ans.
Le discours commence. Le gendre du président défend le bilan de son équipe, parle d’intégrité et d’honneur, fustige la corruption. Il joue la carte du rassemblement en rappelant que les revendications des Libanais qui battent le pavé depuis deux semaines sont en grande partie celles de son parti également.
M. Bassil rend aussi hommage à sa mère, avant d’en revenir à sa petite marotte, celle qui rassemble les siens et au-delà, la peur des réfugiés. Le chef du CPL tance certains manifestants qui s’étaient targués au cours de rassemblements précédents contre le pouvoir d’un « Bassil dehors, réfugiés dedans ». La foule fulmine en chœur « Non, non, non. »
C’est d’ailleurs pour cela que certains sont ici. « Je défends le président et Gebran Bassil parce qu’il faut renvoyer tous les réfugiés ! » confie ainsi Bassam, 56 ans.
D’autres encore s’en prennent aux révoltés de ces dernières semaines. « Ce sont des barbares, ces gens-là. Dieu sait qui les finance. Il est évident que les Forces libanaises jouent un rôle là-dedans, accuse Georges, 72 ans. Le président Aoun est le plus honnête de tous ceux qui nous gouvernent et il est le seul à même de garantir un Liban indépendant de toutes les dynamiques régionales. » Même son de cloche auprès de Mario, de près de 40 ans son cadet. « Tous les manifestants ne sont pas mauvais. Mais il y a clairement des manipulations venues des FL et de la Montagne, avec Walid Joumblatt et le Parti socialiste progressiste. »
« Moi, je ne suis pas contre la révolution, raconte Lina, une adolescente de 17 ans. Je ne suis pas là contre les autres, mais avec le président. Ce sont les parlementaires qui l’empêchent de faire son travail comme il le faut. »
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commentaires (15)
Pq la route de Baabda ne fut ouverte que pour les partisans du CPL ? Et non aux autres .. Une autre pq est ce que le président a cette manifs fut un speech en live ?!? Et aux autres ce fut des enregistrements ?!? Ah ceux qui affirment que c est bonne question qu ils me répondent à ça ...
Bery tus
23 h 04, le 04 novembre 2019