Les places des Martyrs et de Riad Solh étaient noires de monde hier dès 16 heures. Les manifestants ont répondu en masse aux appels de la société civile, formant l’un des rassemblements les plus importants depuis le début du soulèvement populaire, il y a 18 jours. « Kellon, yaani kellon » (tous sans exception), répétait la foule en chœur. Comme en réponse aux discours officiels, généralement conciliants, de ces quelques jours – le président de la République Michel Aoun, jeudi, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, vendredi, le ministre démissionnaire des Affaires étrangères et chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, hier dimanche –, les protestataires ont prouvé par leur présence massive qu’ils ne lâchaient rien.
De plus, l’incertitude entourant les concertations parlementaires pour la formation d’un nouveau gouvernement, suite à la démission du Premier ministre Saad Hariri mardi dernier, n’ont fait que renforcer la détermination de la rue. « Nous restons prêts à manifester, à bloquer les routes et à faire grève, criait une meneuse au micro hier, place des Martyrs. Cela n’a aucun sens de laisser nos étudiants aller à l’université pour mendier un travail une fois leur diplôme en poche. »
Siraj, un universitaire, a fait le déplacement, comme beaucoup de manifestants, « pour garder la révolution vivante ». « Il faut que les officiels soient conscients du fait qu’ils ne peuvent plus prendre leurs décisions sans tenir compte de nous, dit-il à L’Orient-Le Jour. Nous leur montrons que nous continuons à faire pression. »
Cet état d’esprit était présent chez tous les manifestants interrogés, qui sont loin d’avoir été convaincus par les responsables, les soupçonnant même de vouloir récupérer les acquis de la révolution. Pour Mayada, la trentaine, « si Hassan Nasrallah voulait vraiment combattre la corruption, il aurait demandé à son député Hassan Fadlallah de révéler les dossiers qu’il affirme avoir en sa possession, et il n’aurait pas adopté ce ton moqueur dans son premier discours après le début des manifestations ». « Quant à Gebran Bassil, il semble surtout vouloir se justifier, poursuit-elle. Mais il a fait plus de tort que de bien au président de la République en suggérant, par la manifestation organisée aujourd’hui (hier), que la route de Baabda n’est ouverte qu’à ses propres partisans. Ils n’arriveront cependant pas à nous priver du principal acquis de cette révolution décentralisée qui a aboli les barrières confessionnelles. »
Les responsables « récupèrent les discours de la révolution », déclare un couple de manifestants, qui estime cependant que les protestataires « ne se laisseront plus ni séduire ni provoquer ». Concernant la formation du futur gouvernement, ils estiment que le peuple « ne va plus lâcher prise » et que si les noms des futurs ministres ne sont pas satisfaisants pour les Libanais, « ils descendront encore et encore » manifester dans les rues du pays. Les événements de la soirée n’ont pas tardé à leur donner raison.
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« Je ne veux plus frapper à des portes »
Les jeunes forment toujours la grande masse des manifestants. Lynn vient de décrocher un master et, malgré de brillantes études, reste sans travail en raison d’une santé précaire et d’une mobilité réduite. « À chaque fois que je présente mon CV, on me dit qu’il est excellent mais qu’on ne peut m’accepter en raison de ma santé, dit-elle. Certains me conseillent d’aller frapper à des portes de hauts responsables, mais je refuse de le faire. Je suis là parce que je veux vivre dans un pays où mes droits sont préservés. »
De jeunes universitaires issus de la montagne mettent le doigt sur la plaie quand ils évoquent un conflit de générations. « Nous ne sommes pas de la génération de la guerre comme nos parents, disent-ils. Eux se méfient des autres religions. Nous, nous sommes différents. Nous avons des amis de tous les horizons, nous ne voulons plus être divisés et ne laisserons pas les responsables semer la zizanie entre nous, comme cela semble être leur intention par leurs atermoiements et leurs discours doucereux. »
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Débat avec des journalistes d’investigation
Les révolutionnaires ont bel et bien pris leurs quartiers au centre-ville, où un drapeau de plusieurs mètres de long fait son entrée en soirée, porté par plusieurs jeunes. Outre la plateforme centrale qui a accueilli hier Madi K., le fameux DJ de Tripoli, face à un public qui s’étendait sur toute la place des Martyrs, le parking de l’immeuble des lazaristes a été le théâtre de débats. Un débat particulièrement animé qui s’est déroulé en présence de plusieurs journalistes d’investigation de la chaîne al-Jadeed, qui viennent de faire l’objet d’une émission sur cette même chaîne deux jours plus tôt. Leurs reportages ont été effectués durant les années précédentes sans avoir eu l’effet escompté auprès de la justice. Un public nombreux et fasciné écoute les journalistes et pose des questions, avide d’en savoir plus.
Du côté de Riad Solh, il est difficile de se mouvoir tant la foule est dense. Un meneur harangue les protestataires et scande des slogans essentiellement dirigés contre le système bancaire et en relation avec la crise économique. Un jeune artiste fait sensation avec une chanson personnelle qui mêle le « zajal » traditionnel au rap…
De l’attitude des manifestants se dégage une seule certitude : ils ne sont pas près de sortir de la rue. Les appels à la grève se succèdent sur la place comme sur les réseaux sociaux. Un peu plus haut, le pont du Ring ne tarde pas à être de nouveau fermé par les manifestants. Une nouvelle semaine de mouvements populaires s’annonce.
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commentaires (8)
quand le liban sera declare en faillitte et que les banques et institutions internationales poursuivront en justice les politiciens pour saisir leur biens immobiliers et leur argent caches dans des offshore , on saura qui est corrompu et qui ne l'est pas ( cad 101% des politiciens a un moment ou un autre) avant cela personne n'y fera rien car Hezballah, le complice de Aoun ne le permettra pas , par la force certainement souvenez vous de cela et preparez vous a la riposte comme Bachir l'a fait en 1975
LA VERITE
17 h 59, le 04 novembre 2019