La décision prise mardi par le Premier ministre libanais Saad Hariri d'annoncer sa démission a "choqué le Hezbollah" et a été perçue comme un acte de défiance, selon des sources citées par l'agence Reuters.
Lors d'une réunion, lundi, entre Saad Hariri et Hussein Khalil, conseiller politique de Hassan Nasrallah, le chef de l'Exécutif sortant aurait accusé le parti chiite de "soutenir Gebran Bassil", qu'il a identifié comme le principal saboteur des négociations pour un remaniement ministériel qui aurait permis de calmer la rue, rapportent ces quatre sources ayant assisté à cette réunion. M. Hariri aurait annoncé son intention de démissionner à M. Khalil qui a été "choqué" par cette décision et lui a conseillé de ne pas "céder aux manifestants", poursuivent-elles. Le départ de Saad Hariri, provoquant de facto la chute de son gouvernement, a été donc perçu comme un "acte de défiance" vis-à-vis du parti chiite.
La brève réunion rassemblant MM. Hariri et Khalil a eu lieu à la Maison du Centre, résidence du Premier ministre sortant. "J'ai pris ma décision, je veux démissionner pour créer un choc positif et donner aux manifestants une partie de ce qu'ils veulent", aurait dit le Premier ministre au responsable chiite. Ce dernier aurait alors estimé que le mouvement de contestation est "presque fini, qu'il va rendre son dernier souffle". "Armez-vous de courage, nous sommes à vos côtés", aurait-il ajouté, sans parvenir à faire fléchir Saad Hariri. Le chef du gouvernement sortant se serait alors plaint devant le responsable du Hezbollah qu'il "ne bénéficie pas du soutien dont il a besoin pour un remaniement ministériel" qui aurait pu calmer la rue et permettre une mise en application rapide des réformes, selon une des sources ayant assisté à la réunion. "Je ne peux plus supporter" cette situation, aurait-il poursuivi.
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"Pieds et poings liés"
Au cours de leur entretien, Saad Hariri aurait affirmé à Hussein Khalil que le point d'achoppement majeur des discussions politiques était le chef du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), Gebran Bassil. Et M. Hariri d'accuser le Hezbollah "de se tenir derrière Bassil et de le soutenir".
Depuis le début de la révolte populaire contre la classe dirigeante, le 17 octobre, Hassan Nasrallah s'est exprimé à deux reprises contre toute chute du gouvernement Hariri qui provoquerait, selon ses propos de vendredi dernier, "le chaos, l'effondrement économique et une éventuelle nouvelle guerre civile". Il avait en outre accusé le mouvement de contestation d'être financé par "des ambassades étrangères".
Dans ce contexte, une source "familière de la façon de penser du Hezbollah" confie à Reuters que la démission du gouvernement constitue "une gifle" pour le parti chiite qui "désormais a les pieds et les poings liés". "Le plus grand gagnant" de ce développement est Saad Hariri, a-t-elle ajouté. Selon cette source, le parti de Hassan Nasrallah n'a toutefois pas attaqué frontalement la décision du Premier ministre sortant "afin de laisser la porte ouverte à sa nomination comme chef d'un nouveau cabinet". "Le Hezbollah doit assurer ses arrières" dans cette crise, estime cette source.
Le groupe parlementaire du Hezbollah a de son côté estimé jeudi que la démission de M. Hariri aggravait la crise politique, estimant que "l'ingérence américaine est la principale cause du chaos ambiant". Le leader du parti chiite, Hassan Nasrallah, doit s'exprimer vendredi à 14h30. Dans un communiqué publié à l'issue de leur réunion hebdomadaire, les députés du Hezbollah ont estimé que la démission de M. Hariri "va contribuer à perdre du temps dans la mise en œuvre des réformes et le vote du budget 2020", appelant l'ensemble des forces politiques à prendre "toutes leurs responsabilités".
Formule préliminaire aux consultations
Le Liban est actuellement dans l'attente de l'annonce de la date qui doit être fixée par le chef de l’État Michel Aoun pour les consultations parlementaires contraignantes. Ces consultations, au cours desquelles le président doit recevoir tous les groupes parlementaires, sont prévues dans la Constitution en vue de nommer le futur Premier ministre.
Dans un discours prononcé jeudi soir à l'occasion de son mi-mandat, M. Aoun a affirmé être en faveur d'un gouvernement dans lequel les ministres seront "choisis pour leurs compétences et non en fonction de leur affiliation politique".
Selon des sources au fait des contacts concernant le prochain gouvernement, citées par LBC, les consultations devraient débuter en fin de semaine ou au début de la semaine prochaine. Elles ajoutent que les contacts entre la Maison du Centre et le palais de Baabda vont reprendre afin de trancher la question. Selon ces sources, M. Hariri, ou une personne qu'il pourrait désigner, a le plus de chances de former le prochain gouvernement.
Des sources au palais de Baabda, citées par la LBC, ont de leur côté rapporté que le futur gouvernement sera formé dans des circonstances exceptionnelles et il est donc nécessaire de préparer le terrain au niveau des différents blocs parlementaires afin de se mettre d'accord sur le nom de la personne qui sera chargée de former ce cabinet. Le timing des consultations doit en outre être lié, selon ces sources, aux conditions sécuritaires dans le pays. Le temps pris par Baabda avant de lancer ces consultations devrait alors, selon les mêmes sources, permettre de faire un tour d'horizon des différentes tractations à mettre en œuvre pour la formation du cabinet, ce qui permettrait de former plus rapidement le nouveau gouvernement.
Selon des sources ministérielles, citées également par la LBC, le président Aoun convoquera les consultations contraignantes lorsqu'il estimera qu'elles ne risquent pas de mener à des dissensions entre les blocs et donc à une trop longue vacance gouvernementale, le chef de l’État considérant que l'expédition des affaires courantes équivaut à une vacance du pouvoir, étant donné la situation économique et sécuritaire actuelle. D'après ces sources, Michel Aoun poursuit ses contacts avec les différents responsables afin de s'assurer de la désignation d'un futur Premier ministre qui soit agréé par la majorité parlementaire. Il évalue, en ce sens, la possibilité de nommer à nouveau Saad Hariri ou "une personnalité d'un autre bord politique". Aucune discussion n'a toutefois encore été lancée sur la forme que prendrait le futur gouvernement et le nombre de portefeuilles.
Selon des informations de la chaîne locale LBCI, Saad Hariri s'est entretenu pendant une heure et demie jeudi après-midi avec le ministre démissionnaire des Finances, Ali Hassan Khalil, de la situation du gouvernement. A 18 heures, M. Hariri a reçu à la Maison du Centre l'ancien Premier ministre Nagib Mikati.
Ces atermoiements ont provoqué, mercredi soir, la colère de la rue. Après un retour au calme dans la journée, suivant l'annonce de la démission de Saad Hariri et la réouverture de la majorité des axes routiers du pays, la mobilisation avait repris de plus belle en fin de journée. Des centaines de Libanais étaient à nouveau descendus dans la rue, aux différents endroits occupés depuis le début de la contestation. Jeudi matin, la majorité des routes avaient été rouvertes, mais quelques barrages routiers persistaient.
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commentaires (10)
N’ayez crainte le peuple s’est réveillé. Toutes vos suppositions tarabiscotées relèvent de la fiction. Lorsque le SBIR de Hassan dit que le mouvement s'essouffle et que, pour appuyer ses dire lâche ses chiens pour casser des libanais innocents. Il pousse Harriri et le peuple Libanais dans leurs retranchements, car les Libanais ne fonctionnent pas comme ça. Il ne faut pas les chercher. Plus on essaie de les humilier et plus ils deviennent combatifs et féroces pour défendre leur pays libre et fier de ses citoyens. Ils l’ont déjà fait et n’attendent personne pour les défendre. Pour ça il est impératif qu’ils restent unis derrière leur drapeau et leur armée. Libanais est notre seule appartenance et nationalisme est notre unique religion en ce moment et le Liban est notre seule prière.
Sissi zayyat
18 h 05, le 31 octobre 2019