Au lendemain de la démission de Saad Hariri, des questions se posent de manière pressante sur les quelques options dont disposent les principaux acteurs politiques en vue d’une sortie de crise. Mais avant de passer en revue ces options ou scénarios possibles, il faut peut-être éclairer sur les raisons de cette démission, un tel éclairage pouvant permettre de mieux mettre en perspective la suite des événements, sans verser dans un optimisme béat ou un pessimisme noir.
Le Premier ministre sortant a-t-il décidé de jeter l’éponge uniquement pour répondre aux aspirations du peuple dans le cadre du formidable mouvement de contestation qui s’est emparé du pays le 17 octobre ? À l’évidence non. Il était clair, tout au long des douze premiers jours de la révolte, que d’autres options que celle du départ du gouvernement, jugé périlleux à l’intérieur comme à l’étranger dans le contexte financier et économique actuel, étaient explorées : on parlait essentiellement d’un remaniement ministériel à la faveur duquel on remercierait quelques « épouvantails » du cabinet Hariri III – ou en tout cas vus comme tels par la masse des manifestants – dont bien sûr le chef du CPL, Gebran Bassil, numéro un incontesté des railleries et quolibets de la foule.
Cette option, on le sait, était parvenue à une impasse, le camp du président de la République rechignant à sacrifier le « dauphin » du mandat et homme fort du pays jusqu’au 16 octobre, à l’autel du courroux populaire, pendant que Saad Hariri, lui, resterait au pouvoir. Mais, pour des raisons évidentes, ce parallélisme était inacceptable pour le Premier ministre, la philosophie du système le mettant au rang du président de la République et du président de la Chambre et non au niveau des ministres.
Il faut rappeler que le CPL et ses alliés ont bloqué la présidentielle pendant deux ans et demi pour faire prévaloir la conception selon laquelle le leader le plus populaire chez les chrétiens doit être élu président de la République, la même logique devant s’appliquer à la présidence du Parlement et à celle de la présidence du Conseil. Concrètement, cela signifie que lorsque le chef de l’État et celui du Parlement sont eux-mêmes des leaders politiques, le Premier ministre ne peut pas être un technocrate apolitique, même si tous les membres de son gouvernement le sont.
Impasse donc du côté de Baabda et du CPL, mais impasse aussi du côté du Hezbollah, dont le secrétaire général, Hassan Nasrallah, s’est employé à égrener les « non » face au mouvement de contestation, avant de traiter implicitement les manifestants d’idiots, d’abord pour ne pas avoir compris que c’est grâce à eux que le plan de sauvetage économique a pu être adopté par le cabinet, et ensuite pour s’être laissé, selon lui, manipuler par des ambassades étrangères et par certaines « parties locales ».
C’est donc face à ce double déni en provenance de ses partenaires-adversaires à l’égard de l’ampleur du mouvement populaire que Saad Hariri s’est trouvé contraint de démissionner, usant de ce levier comme d’une arme à même d’améliorer sa position dans le cadre du jeu politique en cours. De ce fait, le chef du gouvernement sortant apparaît comme le principal bénéficiaire, au sein de la classe politique, du mouvement de contestation, aux côtés peut-être de Samir Geagea dans la rue chrétienne.
(Lire aussi : Le vent mauvais qui les emporte, l'impression de Fifi ABOU DIB)
Les clés du coffre
Mais si M. Hariri a réussi à infliger un camouflet à ses partenaires, cela ne signifie pas pour autant que ces derniers ont déposé les armes. Trop d’embûches sèment le parcours qui s’annonce devant le Premier ministre sortant, quel que soit le choix qu’il fera. Jusqu’ici – il l’a clairement signifié dans son bref discours de démission –, il n’est pas question pour lui de sortir du compromis présidentiel de 2016, ce qui est de nature à rassurer les autres parties contractantes. Mais ce compromis ne tient plus qu’à un fil. Dans un premier scénario, qui semble pour le moment envisageable, Saad Hariri serait appelé à former le prochain gouvernement, qui pourrait être un cabinet plus ou moins restreint, formé de ministres connus pour leur compétence et leur probité. Dans ce cas de figure, le Premier ministre serait certes dans une position plus confortable que dans la précédente équipe, dans la mesure où ses partenaires ont toujours besoin de lui pour de nombreuses raisons, l’une des principales étant qu’il détient, pour ainsi dire, la clé du coffre contenant les 11 milliards de la CEDRE. Cela est naturellement dû au fait que jusqu’à nouvel ordre, M. Hariri est considéré par la communauté internationale, et notamment par les donateurs, comme étant leur interlocuteur politique le plus sérieux au Liban.
Mais cela ne signifie pas que le chef du gouvernement aurait les coudées franches, dans la mesure où il faudrait certainement compter, autour de lui, avec des ministres « technocrates » nommés ou jugés acceptables par les différentes parties politiques en présence.
Le deuxième scénario est celui, ultraclassique, du blocage permanent, où l’on verrait les partenaires du Premier ministre multiplier les demandes rédhibitoires. Mais cette option est risquée, du fait d’abord de la menace d’effondrement financier et économique du pays, dont tout le monde est désormais plus ou moins conscient, et d’autre part des limites de la patience de Saad Hariri et, ce qui est plus important, de la population d’octobre… Celle-ci, il est vrai, semble pour le moment avoir décidé de quitter la rue (sauf à Tripoli-la-vaillante), mais le mouvement ne s’est pas pour autant essoufflé sans résultat. Quiconque, au sein de la classe politique, serait tenté de croire que ce qui s’est passé est un accident passager ou une parenthèse qui s’est refermée et que novembre va ressembler au 16 octobre risque d’être sérieusement contrecarré.
Enfin, le troisième scénario, le plus dangereux : c’est, en cas de rupture du compromis présidentiel, la tentation qu’aurait le Hezbollah de former un gouvernement du 8 Mars. On reviendrait alors à la polarisation politique d’avant le 31 octobre 2016, avec la différence notable qu’aujourd’hui, il y a à la Chambre une majorité du 8 Mars. Aux yeux de la communauté internationale, notamment de l’Occident, de la majorité des États arabes et, surtout, d’Israël, cela signifierait que le Liban est livré au Hezbollah. Une évolution qui serait immanquablement jugée inacceptable, avec les conséquences que l’on peut redouter…
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commentaires (8)
UNE IDÉE urgente : le président promettra peut etre des élections anticipées après une nouvelle loi électorale c'est une idee que je viens d avoir, il faut la lui faire parvenir ça lui donnera un peu de temps et de souffle et a tout le monde aussi , y compris hezbollah
Chucri Abboud
16 h 52, le 31 octobre 2019