La corruption dans l’administration fait partie des principaux reproches adressés par les manifestants libanais à la classe dirigeante. Photo AFP
Les Libanais manifestent depuis une semaine contre les dirigeants politiques et institutionnels du pays, dans un contexte de crise économique et financière qui s’est aggravée ces derniers mois. Si c’est bien la décision du ministère des Télécoms de mettre en place un droit d’utilisation pour les appels effectués via des applications de messagerie instantanée telles que WhatsApp qui a mis le feu aux poudres jeudi dernier, les manifestants – au Liban comme dans les pays où est installée la diaspora – désignent presque unanimement la corruption comme l’une des principales causes de leur colère.
Une colère que la série de réformes structurelles annoncée lundi par le Premier ministre, Saad Hariri, au terme d’un délai qu’il avait fixé à ses partenaires au sein du gouvernement trois jours plus tôt, n’est pas parvenue à calmer, même si, parmi les mesures énoncées, le gouvernement assure s’être engagé à suivre la création de la Commission nationale de la lutte anticorruption. Une initiative qui entend également répondre à un engagement des dirigeants du pays vis-à-vis des donateurs de la conférence de Paris d’avril 2018 (CEDRE).
(Lire aussi : Moody’s alerte sur les effets négatifs des mesures annoncées par Hariri)
9 % du PIB
L’ONG basée à Berlin Transparency International (TI) définit la corruption comme un « abus de pouvoir exercé à des fins privées ». Selon le président du groupe des parlementaires contre la corruption (LebPac), Ghassan Moukheiber, elle peut prendre plusieurs formes – pots-de-vin, favoritisme, détournements de fonds ou de prérogatives de puissance publique – et coûte cher aussi bien à l’État qu’à la société – tant sur le plan matériel que psychologique, en amenuisant notamment la confiance des citoyens vis-à-vis de leurs institutions.
Le niveau de corruption au Liban est réputé très élevé, selon plusieurs études publiées ces dernières années. Le pays est par exemple 138e sur 180 pays au dernier classement mondial de l’indice de perception de la corruption établi par TI, avec le concours notamment de la Banque mondiale, qui est également le plus gros donateur de CEDRE avec une enveloppe de 4 milliards de dollars de prêts. Dans son rapport annuel publié en janvier dernier, TI avait en outre placé le Liban, avec les Émirats arabes unis, la Jordanie et le Qatar, pour rester au niveau régional, dans la catégorie des pays à surveiller au cours des prochaines années en raison de leur situation géographique ou économique.
Si peu de chiffres circulent sur l’ampleur du phénomène et son impact sur l’économie, l’ancienne ministre d’État pour le Développement administratif Inaya Ezzeddine avait indiqué fin 2018 que la corruption avait coûté plus de 5 milliards de dollars à l’État en 2018, citant des données recueillies par ses services. Ce montant représente environ 9 % du PIB du pays sur cet exercice. Dans un rapport sur les douanes, l’ONG locale Sakker el-Dekkené a affirmé en 2016 que la corruption au port de Beyrouth coûtait à l’État 794,2 millions de dollars par an.
Face à ces enjeux, le Liban a conclu plusieurs engagements internationaux en matière de transparence et de lutte anticorruption. Mais la plupart des textes adoptés se heurtent à la réalité libanaise, marquée par les luttes d’influence entre les partis politiques et par les répercussions des crises régionales.
Le 22 avril 2009, le pays a adhéré à la convention des Nations unies pour la lutte contre la corruption. Près de 10 ans plus tard, Mme Ezzedine a adopté une stratégie nationale pour la lutte contre la corruption imposant notamment d’impliquer les institutions publiques dans sa mise en œuvre, afin de permettre au pays de se conformer à un des engagements de la convention. Le dispositif s’est toutefois heurté à la résistance de la classe politique. Au printemps dernier, le dossier a été récupéré par une commission ministérielle ad hoc présidée par le Premier ministre, Saad Hariri.
En 2017, le Parlement libanais a en outre voté la loi relative au droit d’accès à l’information qui permet en principe à tout citoyen de prendre connaissance des données relatives aux dépenses engagées par les différents ministères et institutions publiques. Un dispositif dont l’application laisse aussi à désirer.
En juin dernier, le Parlement a enfin adopté une loi sur la lutte contre la corruption dans le secteur public qui institue la commission spéciale évoquée par le Premier ministre pour définir et trouver les moyens légaux de sanctionner les infractions entrant dans cette catégorie. Le texte ne permet cependant pas à cette instance de se substituer aux instances de contrôle existantes, entre autres faiblesses.
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commentaires (6)
Danser moi? Bien sûr. J'ai le rythme dans le sang mais j'ai une mauvaise circulation sanguine. Translation: lutter contre la corruption, bien sûr, mais mais je suis moi-même corrompu. No way out?
PPZZ58
21 h 25, le 25 octobre 2019