Le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, prononçant un discours en personne devant ses partisans. Photo d'archives AFP
Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a clairement affirmé samedi matin que sa formation n’était pas en faveur d'une chute du gouvernement du Premier ministre, Saad Hariri, alors que le Liban connaît pour le troisième jour consécutif des manifestations populaires inédites sur tout le territoire, contre la classe dirigeante et la crise économique. Les propos du leader chiite interviennent au lendemain de l'ultimatum de 72h qu'a lancé le chef du gouvernement aux membres de son cabinet pour avaliser une série de réformes afin de redresser la situation économique et financière du pays. Hassan Nasrallah a également mis en garde ses adversaires politiques contre une lutte pour la chute du mandat du président de la République, Michel Aoun, son proche allié chrétien sur la scène libanaise.
"Nous ne sommes pas en faveur de la démission du gouvernement actuel. S'il démissionne, il n'y aura pas de nouveau gouvernement avant un an ou deux, et le temps presse", a prévenu Hassan Nasrallah, lors d'un discours télévisé retransmis en direct à l'occasion de la clôture des commémorations du 40e de l'assassinat de l'Imam Hussein.
"Si nous formons un nouveau cabinet politique, cela ne changera rien, nous serons en train de perdre notre temps. Changer le nom d'un ou deux ministres ne modifiera pas la donne. Certains parlent d'un gouvernement de technocrates, mais dans la situation dangereuse actuelle, un tel gouvernement ne tiendra pas deux semaines. Et ceux qui réclament un tel cabinet seront les premiers à réclamer sa démission. Nous voulons que le gouvernement actuel se maintienne, mais qu'il adopte une nouvelle méthode de travail", a martelé le chef du Hezbollah. "Certains ont évoqué des élections législatives anticipées. Cela veut dire aller vers des mois de préparation et rentrer dans le labyrinthe d'une nouvelle loi électorale. Au final, cela aboutira à l'élection du même Parlement, à quelques différences près. Il sera difficile d'aboutir à un nouveau gouvernement, si l'actuel échoue dans sa mission, a-t-il prévenu. Le problème ne réside pas au niveau de la composition du gouvernement. Il réside dans sa manière de travailler. Adoptez un plan où tout le monde fait des sacrifices et non seulement le peuple. Un plan où les sociétés et les banques font des sacrifices. Nous défendrons toutes les mesures et les réformes difficiles, si elles sont honnêtes".
Des milliers de Libanais manifestent depuis trois jours consécutifs, à travers tout le pays, contre les responsables politiques et la crise économique. Les manifestants ont envahi les rues du pays jeudi soir après la décision du gouvernement de taxer les appels effectués via les applications de messagerie Internet comme WhatsApp. Une mesure aussitôt annulée sous la pression de la rue, mais les Libanais ont poursuivi leur mouvement pour exprimer leur ras-le-bol d'une classe politique accusée d'affairisme dans un pays aux infrastructures en déliquescence et où la vie est chère.
Certains réclament la démission du gouvernement, voire celle du chef de l’État Michel Aoun. Le Premier ministre, Saad Hariri, a annoncé hier qu'il donnait un délai de 72h aux membres du gouvernement pour avaliser les réformes prévues, à défaut, il a laissé entendre qu'il pourrait démissionner. Quelques instants avant le début du discours de Hassan Nasrallah, le chef du gouvernement a convoqué les chefs des groupes politiques présents au cabinet à se réunir pour des concertations au Grand Sérail afin d'obtenir leur accord sur une série de réformes qu'il veut mettre en application. Une séance du cabinet devra se tenir aujourd'hui, ou dans les deux prochains jours, en fonction des résultats des concertations.
(Lire aussi : Au 3e jour des manifestations, Hariri convoque les groupes politiques à des concertations)
"Honteux de se dérober"
Dans son discours, le dignitaire chiite a appelé tous les responsables politiques à assumer leurs responsabilités après les dernières manifestations. "Tous ceux qui sont au pouvoir doivent assumer, à des degrés différents, ce qui se passe aujourd'hui. Il serait facile de dire actuellement que nous ne sommes pas concernés et de rejeter la responsabilités sur les autres, de présenter notre démission, ou encore, surfer sur la vague des manifestations. Certains au Liban se comportent de la sorte, en se déresponsabilisant par rapport au passé et en accusant les autres d'être seuls responsables de la situation. Cela fait preuve d'un manque de patriotisme et de responsabilité. La chose la plus facile à faire est de tenir les autres pour responsables. Lors des incendies qui ont ravagé le pays il y a quelques jours, tout le monde a blâmé le gouvernement. Tous les responsables ont fait cela. Mais dans ce cas, qui est responsable de ce qui est arrivé ?", s'est interrogé Hassan Nasrallah.
Et de poursuivre : "Soyons honnêtes, la situation économique et financière actuelle ne date pas d'aujourd'hui, elle est le résultat d'accumulations des 20 à 30 dernières années au moins. Je ne veux pas entrer dans les détails des causes de cette crise. Mais tout le monde doit assumer ses responsabilités. Même nous. Chacun en fonction du degré de ses responsabilités. Car il est honteux de se dérober à ses responsabilités. Tout le monde doit assumer ses responsabilités, je le répète". "Ensuite, chacun doit participer aux solutions. Ceux qui se retirent seront jugés par le peuple libanais. On ne peut pas diriger le pays pendant 30 ans et ensuite prétendre être honnête et affirmer ne pas être responsable de la situation actuelle. Tout le monde doit participer aux solutions, à défaut cela aboutira à l'inconnu, notamment sur le plan politique et sécuritaire", a-t-il ajouté, évitant à chaque fois de nommer les responsables auxquels il fait allusion.
(Lire aussi : Le tandem Amal-Hezbollah dans la rue : réaction « spontanée » ou mot d’ordre politique ?)
"Deux grands dangers"
Hassan Nasrallah a ensuite exposé sa vision de la situation dans laquelle se trouve le pays. "Il y a deux grands dangers : le premier est l'effondrement économique et monétaire. Le second, c'est une déflagration populaire, notamment en raison des taxes imposées au classes pauvres et aux revenus limités. Lorsque vous les accablez, vous poussez le pays à l'implosion. Et dans les deux cas, le pays sera perdu. Nous pouvons, en tant que Libanais, empêcher un effondrement économique et monétaire, sans pousser le pays vers l'implosion. Cela requiert de l'engagement et de l'honnêteté".
"Ce qui s'est passé ces derniers jours montre qu'imposer des taxes et des frais supplémentaires ne fera que pousser le pays à l'implosion. C'est la taxe sur WhatsApp qui a provoqué le déferlement des manifestants dans la rue. Cela est un indicateur important, a estimé le leader chiite. Au pouvoir et aux décideurs je dis qu'ils doivent comprendre que les gens ne peuvent plus supporter de nouvelles taxes et de nouveaux impôts. Ceux qui détiennent des millions et des milliards s'en fichent d'une augmentation de la TVA. Mais les gens aux revenus limités ne peuvent plus supporter cela". Et d'affirmer : "Auparavant, les responsables croyaient que de telles mesures pouvaient passer. Mais les décideurs doivent tirer les leçons de ces derniers jours : le peuple libanais ne tolère plus de nouvelles taxes. Ils iront dans la rue, et la classe politique ne pourra plus gérer la situation". "Les nouvelles taxes, les frais supplémentaires, les impôts, tout cela ne constitue pas des réformes. (...) Il y a d'autres options, des idées présentées en Conseil des ministres et au palais présidentiel de Baabda. Les options sont disponibles. Nous ne sommes pas un Etat failli, nous devons gérer cette crise", a-t-il dit.
(Lire aussi : « Soixante-douze heures pour changer de comportement, sinon... »)
Pas de manifestations contre les banques
Le chef du Hezbollah a dans ce contexte démenti que son parti comptait organiser des manifestations populaires contre le secteur bancaire, alors que le parti chiite fait l'objet de sanctions américaines de plus en plus étouffantes qui imposent aux banques libanaises d'exclure le parti de leurs établissements. Le numéro deux du parti, cheikh Naïm Kassem, avait également démenti ces informations il y a quelques jours.
"Nous démentons les informations selon lesquelles nous prévoyons des manifestations contre les banques. Cela est faux. Certains médias insistent là-dessus malheureusement et cela nuit à la situation économique. Oui, nous sommes dérangés par certaines banques, mais cela, nous en parlerons ultérieurement", a affirmé le leader chiite.
(Lire aussi : La rue a remis les compteurs à zéro)
Les "conseils" aux manifestants
Hassan Nasrallah s'est ensuite adressé aux manifestants libanais qui battaient toujours le pavé aujourd'hui, leur adressant une série de "conseils". "Nous respectons votre droit à manifester. Nous ne nous contentons pas de nous montrer compréhensifs. Et il n'y a aucun doute que votre message a bien été reçu par les responsables, la preuve, le retrait de la taxe sur WhatsApp. Je le dis clairement : il n'y a personne derrière ces manifestations : pas de partis politiques, pas d'ambassades de puissances étrangères. Ce sont les Libanais en colère qui sont descendus dans la rue. Comme tout le monde, je suis ce qui se dit à la télévision ces derniers jours. Nous avons écouté toutes les voix qui se sont exprimées. On nous a appelés à descendre dans la rue. Mais si le Hezbollah avait rejoint les manifestants dans la rue, la donne aurait changé, et on aurait dit que des puissances étrangères, comme l'Iran, s'ingèrent dans la situation. Mais il est dans votre intérêt, vous les manifestants, que nous restions à l'écart. Vous devez aujourd'hui faire attention à ce que le pouvoir reste à l'écart de vos manifestations, car votre mouvement social se transformera en mouvement politique", a-t-il affirmé.
"Vous avez accompli un très grand travail durant les deux derniers jours. Mais je vous conseille de vous protéger des forces politiques qui surfent sur la vague de votre mouvement, et je vous conseille de ne pas vous en prendre aux commerces, et de ne pas insulter les autres. Vous pouvez m'insulter, mais n'insultez pas les autres. Nous recommandons également aux forces de l'ordre de se montrer patientes face aux manifestants, et aux manifestants de ne pas s'en prendre aux forces de l'ordre", a poursuivi Hassan Nasrallah.
"Nous serons partout"
Le leader chiite a toutefois prévenu que son parti pourrait recourir à l'avenir à une mobilisation dans la rue, mettant en garde contre un "changement" de la situation du pays. "Lorsque la situation l'imposera, nous aurons recours à la rue. Mais jusque-là nous estimons que cela n'est pas nécessaire. Même si le gouvernement a décidé une série de mesures, celles-ci nécessitent encore l'approbation du Parlement. De toute façon, lorsque le Hezbollah descend dans la rue, sa mobilisation sera différente de toutes les autres. Nous restons dans la rue des mois, des années s'il le faut. Si nous décidons de recourir à la rue, toute la situation du pays changera. Cela pourrait arriver, mais nous espérons que cela ne sera pas nécessaire. Si nous décidons d'aller dans la rue, nous serons partout, et en force. Mais actuellement, nous appelons à la coopération entre les composantes du gouvernement et à ne pas se dérober aux responsabilités".
Et d'adresser une dernière mise en garde à ses adversaires politiques : "À ceux qui veulent mener la lutte pour la chute du mandat je dis : vous ne pouvez pas faire chuter le mandat (du président Michel Aoun), vous perdez votre temps". "Nous sommes déterminés à travailler de manière sérieuse, et nous nous engageons à ne pas abandonner notre peuple et à ne pas laisser le pays sombrer et brûler. Nous ne permettrons à personne de pousser le pays vers sa fin. Nous ne devons pas désespérer, car le désespoir est propre aux faibles", a conclu le chef du Hezbollah.
Lire aussi
Feux de route, l'édito de Issa GORAIEB
Qu'ils partent, d’accord... Mais après ?, l'analyse d’Élie Fayad
Le mauvais pari du gouvernement, le billet de Kenza Ouazzani
Power to the People, le billet de Médéa Azouri
Le Liban entre réformes improbables et révolution impossible
En un coup de pied, une Libanaise devient le symbole de la contestation
"Vous ne pouvez pas faire chuter le mandat du président Michel Aoun". Le document d'entente du 6 février 2006 dit l'Accord de Mar-Mikhaél (Chiyah) n'a pas été conclu pour les chiens !
17 h 08, le 20 octobre 2019