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Liban - Droits de l’Homme

« Pas de compromis aux dépens de nos disparus »

À l’occasion de la Journée mondiale des victimes de disparition forcée, les proches de milliers de personnes enlevées au Liban et des prisonniers en Syrie réitèrent leur appel à l’application de la loi 105.

Les familles rassemblées hier dans le jardin Gebran Khalil Gebran à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée. Photo an-Nahar

Depuis bientôt quinze ans que le jardin Gebran Khalil Gebran, place Riad el-Solh, témoigne de la souffrance des familles des victimes de disparition forcée, l’attente n’a plus de couleurs. Tout comme cette tente dressée en ce 11 avril 2005 par les familles des Libanais détenus en Syrie, dans la foulée de la révolution du Cèdre et de la perspective du retrait des troupes syriennes du Liban, pour réclamer que la lumière soit faite sur le sort des leurs proches. Effilochée, ternie par le temps, cette tente est devenue le symbole du tourment et de la longue attente des familles de quelque 17 000 Libanais (selon les chiffres avancés par les ONG) victimes de disparition forcée, dont plusieurs centaines en Syrie.

D’une année à l’autre, le paysage dans le jardin reste figé. Seules les femmes (mères, épouses, filles, cousines, nièces…), qui portent le flambeau du combat, accumulent les années et la douleur. Hier, celles qui sont encore en vie étaient au rendez-vous, ainsi que quelques hommes, à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée (le 30 août). Venues des quatre coins du pays, elles étaient munies de leurs souvenirs, des portraits fanés de leurs proches, de leur courage et de leur désarroi. Lasses, mais déterminées à poursuivre la lutte, elles sont venues crier haut et fort, une énième fois, leur droit à la vérité et réclamer l’application de la loi 105 sur les victimes de disparition forcée.

« Aux yeux du gouvernement, nous n’existons même pas », s’insurge Nahil Chehwan, dont le mari, Kozhaya, a été enlevé en juillet 1980 sur les lieux de son travail à l’usine de Selaata. Il n’avait que 28 ans. Elle est restée seule avec quatre enfants âgés entre quatorze mois et quatre ans. Assise à l’ombre d’un arbre, elle bavarde avec Nour, une des nombreuses compagnes du chemin. « La loi (105) a été votée, mais elle est restée lettre morte, poursuit-elle énervée. J’espère que Dieu leur attendrira le cœur pour qu’ils émettent les décrets d’application. Nous n’en pouvons plus d’être humiliées. La souffrance nous a lassées. Nous avons le droit de nous fixer sur le sort de nos disparus. »

« Notre dossier doit constituer la priorité de l’État », renchérit Nour, dont le beau-frère, Gergi Hanna, professeur à l’Université libanaise, a été enlevé en 1985 à Tallet el-Khayat, à Beyrouth. La commission nationale chargée du dossier « doit être formée pour que la cause ne meure pas avec nous », poursuit-elle. Nour est rejointe par Lina Jadaa dont le père, Kamal, et le cousin, Semaan, ont été enlevés en 1985 au point de passage de Kaskas. « Je suis venue montrer ma solidarité avec les familles des 17 000 personnes victimes de disparition forcée, lance-t-elle. Notre attente n’a que trop duré. Nous n’en pouvons plus. Trente-quatre ans… c’est long ! »


(Pour mémoire : Disparus : de la nécessité de désigner les membres de la commission nationale dans les plus brefs délais)


« Un même combat »

Dans le jardin, la chanson des disparus La dallayt wala fellayt (Tu n’es ni resté ni parti), qui passe en boucle, ravive les blessures. Anjad Moallem est la fille de Abdel-Hadi, adjudant, enlevé en 1984 par « une milice libanaise qui l’a retenu dans la tour Murr (à Kantari) avant de le livrer aux Syriens », confie-t-elle. Sur un badge épinglé à la poitrine, une photo de son père aux couleurs pâles est collée sous le slogan « Jusqu’à quand ? ». Elle arbore les portraits bien encadrés de deux jeunes hommes, Rida Ahmad Saleh et Antoine Ghaleb Khazakka, eux aussi victimes de disparition forcée. « Notre détresse est la même, que le disparu se prénomme Georges ou Ali, Mohammad ou Joseph, affirme-t-elle. Nous avons les mêmes revendications, à savoir la formation de la commission nationale et l’application de la loi (105). Nous avons le droit de savoir que sont devenus nos pères, frères ou fils. Nous avons le droit, depuis trente-cinq ans que dure notre attente, d’avoir un papa. » « Nous continuerons à pleurer jusqu’à ce qu’ils nous reviennent, insiste de son côté la sœur de Abdel-Hadi. Malgré notre drame, nous avons continué à vivre presque normalement, à manger, à voir le soleil… Mais qu’en est-il d’eux ? Ma mère est partie sans jamais revoir son fils. Elle a été au pèlerinage (de La Mecque) en espérant que son vœu de le revoir serait exaucé. Il ne l’a jamais été. »

L’hymne national retentit dans le jardin, suivi d’une minute de silence observée en hommage « aux personnes jetées dans les charniers », « aux parents des détenus qui ne sont plus de ce monde » et à Ghazi Aad, porte-parole de Solide (Soutien aux Libanais en détention et en exil), décédé en novembre 2016, et dont le nom est intrinsèquement lié à la cause des disparus et des détenus libanais dans les geôles syriennes. Le silence est rompu par la voix de Wadad Halaouani, présidente du Comité des familles des disparus et kidnappés au Liban, qui s’élève pour réclamer, au nom des familles des 17 000 disparus, la formation de la commission nationale indépendante qui sera chargée du dossier des disparus. « La loi ne nous a pas été offerte, nous l’avons obtenue à force de lutte au fil de longues années durant lesquelles de nombreux parents sont partis sans se fixer sur le sort de leurs proches », affirme-t-elle, soulignant que ce sit-in vient clôturer une série de manifestations entamées le 20 août dans différents cazas, au cours desquelles les familles ont réclamé l’application de la loi 105.


(Lire aussi : À Beit Beyrouth, le CICR invite à mener l’enquête sur les victimes de disparitions forcées)


La loi 105

Votée le 12 novembre 2018 par la Chambre, cette loi dont les décrets d’application tardent à être publiés prévoit la désignation par le cabinet des membres de la commission, parmi les noms proposés à cet effet par le Conseil supérieur de la magistrature, les ordres des avocats de Beyrouth et de Tripoli, le conseil de surveillance de l’Université libanaise, les ordres des médecins de Beyrouth et du Liban-Nord et la commission parlementaire des Droits de l’homme. Une liste de ces noms a déjà été transmise au gouvernement par le ministère de la Justice. « Qu’est-ce qui empêche que cette loi figure à la tête de l’ordre du jour du cabinet ? se demande Mme Halaouani. Nous savons tous que ce projet n’est pas un sujet litigieux et ne va pas occasionner d’importantes dépenses à l’État. Mais il est nécessaire qu’un budget lui soit consacré en 2020. »

Appelant le gouvernement à « passer à l’acte », Mme Halaouani martèle : « Nous ne ferons pas de compromis aux dépens de nos proches. Nous n’aurons de répit que lorsque la loi sera appliquée. Bien que nous soyons impatients, nous n’accepterons pas n’importe quelle commission. Nous voulons une commission qui nous ressemble et qui ressemble à nos disparus, qui soit à la hauteur de notre cause, de nos souffrances et de notre combat que nous avons réussi à protéger du germe de la division. Nous voulons une commission qui soit formée selon les critères internationaux et qui soit à l’abri du partage d’influence politique et confessionnel. Nous voulons une commission qui croie dans la nécessité de clore ce dossier, l’un des plus horribles legs de la guerre, et dans l’importance d’ouvrir la voie à une vraie réconciliation. » « Ce dossier a été longtemps négligé par l’autorité politique » , commente Sylvana Lakkis, présidente de l’Union libanaise des handicapés physiques. Pour Meike Groen, responsable des disparus au sein du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), le 30 août est « une occasion pour accorder un soutien aux familles des disparus qui attendent toujours une réponse, mais aussi pour rappeler aux autorités leurs responsabilités envers ces familles et leur devoir de leur fournir des réponses ».Ghassan Moukheiber, ancien parlementaire qui suit le dossier de près, estime qu’« il est grand temps de passer à l’acte ». « Il faut penser au plan d’action qui doit suivre », relève-t-il. Il insiste notamment sur « la nécessité de signer un projet d’accord, qui traîne depuis sept ans, entre le CICR et l’État, sur l’ensemble des services que le CICR a rendu concernant la banque d’informations ADN et la banque d’informations ante et post-mortem ».

Melhem Khalaf, avocat et membre fondateur d’Offre-Joie, fait remarquer qu’« un problème aussi profond et grave que celui des disparus ne peut pas être traité avec superficialité ». « Si on est aujourd’hui à réclamer la formation de cette commission, c’est qu’il y a un laisser-aller, pour ne pas dire une paresse à mettre cette loi à l’ordre du jour du Conseil des ministres. Le sérieux n’a pas besoin d’être réclamé, il doit être prouvé. »


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Pourquoi ils ne demandent pas à Nasrallah de demander à son copain et ami Bashar el Assad ou sont ces pauvres disparus ? Parmi eux il y a aussi le fils de mon cousin enlevé en 1978 à Sin el Fil...

Eleni Caridopoulou

18 h 03, le 31 août 2019

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Commentaires (4)

  • Pourquoi ils ne demandent pas à Nasrallah de demander à son copain et ami Bashar el Assad ou sont ces pauvres disparus ? Parmi eux il y a aussi le fils de mon cousin enlevé en 1978 à Sin el Fil...

    Eleni Caridopoulou

    18 h 03, le 31 août 2019

  • Que fait Bassil Gebran sur ce dossier si brulant,en tant que MAE?

    HABIBI FRANCAIS

    12 h 51, le 31 août 2019

  • a part Ghassan moukheiber, AUCUN DEPUTE, MEMBRE D'UN CONSEIL MUNICIPAL, MINISTRE et autres elus/represantants du peuple PRESENTS. QUELLE HONTE !

    Gaby SIOUFI

    12 h 10, le 31 août 2019

  • PAS DE COMPROMIS. MAIS QUI S,EN OCCUPE ? OU EST L,ETAT ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 33, le 31 août 2019

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