Pour la cinquième semaine consécutive, l’affaire de Qabr Chmoun continue de peser sur la scène politique et d’envenimer les relations entre les différentes parties concernées.
C’est d’ailleurs cette affaire qui continue d’entraver la réunion du Conseil des ministres qui est, selon toute probabilité, reléguée à l’après-15 août. À ce stade, la priorité n’est plus de réunir le gouvernement, mais plutôt d’empêcher le PSP de Walid Joumblatt d’aller trop loin dans les accusations et l’escalade verbale dans le cadre de la conférence de presse qu’il doit tenir aujourd’hui.
Les sources proches du PSP ont beau affirmer que son leader Walid Joumblatt est visé et qu’on cherche à réduire son rôle sur la scène politique en prélude à sa mise à l’écart, pour d’autres sources, relativement neutres, les développements dans cette affaire montrent au contraire que le chef druze reste un puissant acteur sur la scène politique libanaise et qu’il demeure incontournable. Pour les partisans de cette thèse, l’affaire de Qabr Chmoun a permis à Joumblatt de retourner la situation en sa faveur et d’être l’un des principaux décideurs de la scène interne, puisque même d’une façon indirecte, c’est lui qui tient entre ses mains la clé du déblocage et de la convocation ou non d’un Conseil des ministres.
Pour les sources relativement neutres déjà citées, « le piège de Qabr Chmoun » semble pour l’instant se refermer autour du président de la République et de son camp. En maintenant son refus de confier le dossier judiciaire à la Cour de justice et en refusant l’idée du vote en Conseil des ministres sur ce sujet en dépit des garanties que lui aurait fournies le président de la Chambre Nabih Berry sur un vote nul (15 voix pour et 15 voix contre, ce qui mène au rejet de la proposition), Joumblatt aurait donc réussi à imposer sa version des faits, tout en resserrant autour de lui les anciens alliés du mouvement du 14 Mars.
Ce mouvement qui, depuis l’élection de Michel Aoun à la présidence de la République et les alliances qui l’avaient précédée, était dans une sorte de coma annonciateur d’une fin évidente, s’est brusquement reconstitué autour de Walid Joumblatt, pour l’aider notamment à « faire face » à la tentative de le mettre à l’écart politiquement. Au point que dans un entretien télévisé à la MTV, le chef des Forces libanaises Samir Geagea a clairement déclaré que « le 14 Mars est une ligne rouge et tenter d’y toucher c’est la transgresser ».
(Lire aussi : Après les accusations de Baabda, la riposte du PSP attendue aujourd’hui)
Les sources précitées ne cachent pas leur admiration devant l’intelligence de Joumblatt qui a réussi à transformer une atteinte contre les déplacements d’un ministre (qui est en soi une infraction à la loi, même si on ne retient pas l’hypothèse de la tentative d’assassinat) en une attaque contre son parti et son rôle. Même la thèse avancée par le PSP selon laquelle les partisans auraient réagi aux propos jugés provocateurs du ministre Bassil ne tient pas. Car d’une part, les agressions avaient commencé à partir de jeudi, alors que la visite de Bassil dans la région n’a eu lieu que dimanche. D’autre part, Bassil a délibérément choisi, dans ses tournées dans toutes les régions du pays, de s’exprimer franchement sans porter des gants, et d’aborder les sujets qui dérangent, pour se démarquer de la classe politique traditionnelle. C’est ainsi qu’il a tenu des propos qui ont dérangé les Forces libanaises à Bécharré et même au Sud, dans le fief du Hezbollah, il a tenu à parler de la nécessité de trouver une solution à la situation des Libanais qui se sont réfugiés en Israël, au risque de déplaire à ses propres alliés. Mais aucune partie n’a réagi comme l’ont fait les partisans du PSP, alors qu’il y avait eu une réconciliation officielle à Deir el-Qamar entre ce parti et le CPL, il y a quelques mois.
Pour ces raisons, les sources précitées estiment que le PSP a profité de la visite de Bassil dans le caza de Aley, le 30 juin, pour retourner la situation en sa faveur et montrer à tous ceux que cela intéresse que Walid Joumblatt reste le leader incontesté de cette région et que, face à sa popularité, les autres ne font pas le poids. De même, ceux qui avaient prédit la fin de son rôle déterminant sur la scène politique interne se sont plantés, puisque, en fin de compte, la tenue d’un Conseil des ministres est tributaire depuis plus d’un mois de sa décision.
Pour ces mêmes sources, il n’est plus important de connaître la vérité sur l’affaire de Qabr Chmoun et de savoir s’il s’agissait réellement d’une tentative d’assassinat d’un ministre et plus, ou bien d’une réaction spontanée à une visite indésirable. Joumblatt et son camp ont déjà réussi à montrer qu’ils restent un acteur déterminant sur la scène politique interne, sans lequel la stabilité est compromise.
Pour compléter le tableau, il ne reste plus à Joumblatt qu’à rétablir le dialogue rompu avec le Hezbollah, depuis sa position sur la « libanité » des fermes de Chebaa. Joumblatt l’a réclamé pour, comme l’ont dit ses proches, obtenir des garanties pour lui et son parti. Mais, jusqu’à présent, le Hezbollah garde un silence total sur cette question et refuse de répondre aux appels du pied du leader druze...
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commentaires (9)
Gibran Bassil devrait être loué pour son franc parler? On voit le résultat.. Sans compter qu’il couvre de ridicule son pays auprès des chancelleries étrangères qui doivent se gausser de ce « chef de la diplomatie » derrière leurs murs d’ambassade. Et si les ministres se préoccupaient de leur seul portefeuille et laissaient de côté leurs activités partisanes comme tout pays « normal » ? Le verrouillage du conseil des ministres par les logiques partisanes est la mère de tous les problèmes dans ce pays ...
AntoineK
21 h 05, le 07 août 2019