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La nasse

Depuis plus d’un mois que traîne en longueur la triste affaire de la fusillade de Qabr Chmoun, qui s’est traduite par un gel de toute activité gouvernementale, voilà soudain que s’emballe la périlleuse valse et que sont étalés au grand jour les enjeux de la crise.


En intermède aussi stupéfiant qu’inattendu, on aura eu droit, le week-end dernier, à un vertigineux chassé-croisé mettant en vedette les cibles présumées de ces tirs échangés en ce funeste dimanche de juin. Ces mortelles rafales, le ministre d’État pour les Affaires des réfugiés Saleh Gharib n’a cessé d’assurer, et avec lui la moitié de la République, qu’elles le visaient très précisément dans le cadre d’un guet-apens en règle, dressé sur l’itinéraire de son convoi par des partisans du leader druze Walid Joumblatt. Erreur sur la personne, se décide pourtant à faire savoir, sur le tard – près de cinq semaines plus tard ! – le palais présidentiel : c’est en réalité le ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, gendre et héritier politique du chef de l’État, qui aurait échappé au vil traquenard en se séparant à temps du convoi.


C’est encore une hallucinante valse des enquêteurs qui avait ouvert le bal, les plaignants rejetant, comme on sait, les conclusions du Renseignement de la police qui excluait la thèse de l’embuscade. Suivait alors la sarabande des instances judiciaires aptes à se saisir du dossier, tant la Cour de justice que le tribunal militaire se trouvant vivement récusées par l’un ou l’autre des deux camps. Depuis, les enchères n’ont cessé de monter. Dans la termitière d’une justice libanaise peu encline à s’ébranler de son propre chef, le Parti socialiste progressiste donnait hier un magistral coup de pied, dénonçant en effet sa vulnérabilité aux interventions et pressions occultes et mettant directement en cause deux ministres proches du président Michel Aoun. Le parti, qui s’estime victime d’une machination visant à le soumettre à un procès politique, allait jusqu’à mettre en demeure le chef de l’État de régler le problème, sous peine de graves réactions politiques et populaires.


À ce réquisitoire, tant le Conseil supérieur de la magistrature que le camp présidentiel répondaient hier avec une apparente retenue. Mais qu’on ne s’y trompe pas : en fait de guet-apens, c’est le pays tout entier qui se retrouve pris en ce moment dans la nasse. À tout seigneur tout honneur, c’est la première fois que des reproches d’une telle gravité sont adressés au chef de l’État, parvenu au milieu de son sexennat ; on peut y voir le signe que le président aura été bien mal servi, en définitive, par la dévorante ambition et les maladroites affirmations de puissance de son dauphin pratiquement déclaré.


Cependant, il y va bien davantage que de la santé du régime, ou encore de la survie d’un gouvernement frappé de toutes les impuissances et qui n’arrive même pas à se réunir malgré les énormes défis politiques, financiers et sociaux qu’il est censé relever sans plus de délai. C’est le pays tout entier qui est menacé dans ses œuvres vives, dans sa stabilité et sa sécurité, dans son essence même, par les atteintes répétées à la réconciliation de la Montagne auxquelles donnent lieu les irresponsables jeux de la politique et du pouvoir.


Autant de raisons de faire place… à la raison. Assez virevolté en vaines gesticulations, de grâce. Beyrouth n’est pas Vienne et la valse des malheurs, les Libanais en ont vraiment soupé !


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Depuis plus d’un mois que traîne en longueur la triste affaire de la fusillade de Qabr Chmoun, qui s’est traduite par un gel de toute activité gouvernementale, voilà soudain que s’emballe la périlleuse valse et que sont étalés au grand jour les enjeux de la crise.En intermède aussi stupéfiant qu’inattendu, on aura eu droit, le week-end dernier, à un vertigineux chassé-croisé...