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Nos Lecteurs ont la Parole - par Sonia BASMAJI

Étienne de La Boétie, plus que jamais d’actualité

Encore un réveil avec, dans l’esprit et le cœur, cette étouffante sensation de panique face à un nouveau danger qui guette le Liban. Face à un gouvernement qui persiste dans son obstination à ébranler la précieuse illusion d’équilibre qui berce le peuple. Cette fois pourtant, il ne s’agit pas de l’habituelle annonce de nouvelles démarches officielles bien plus laconiques que fructueuses. Les habitants de Mansourieh ont occupé les rues de leurs quartiers, avec la flamme de la révolte dans leurs yeux. La dernière initiative du pouvoir exige en effet l’installation de câbles à haute tension (220 kV) à proximité de leurs logements. À l’aube de mes 19 ans, je ne manque pas toutefois de noter la mine résignée de mes parents à chaque fois que j’évoque la notion de rébellion face aux injustices à l’œuvre dans ce pays. Néanmoins, en témoignant de la farouche détermination profondément ancrée dans les yeux des protestataires, je lisais enfin dans le regard de la génération de mon père et de ma mère un sentiment profond de révolte, qui n’était pas sans attiser en moi les flammes de l’espoir.

Durant ma deuxième année au lycée, j’ai découvert le Discours de la servitude volontaire (1574) d’Étienne de La Boétie. La jeunesse de l’auteur n’avait fait qu’accroître mon admiration pour ce texte. Une doctrine si simple et engageante qu’il serait insensé de ne pas en épouser la cause. Ses paroles sur la valeur de la liberté me tiennent particulièrement à cœur : « La seule liberté, les hommes ne la désirent point, non pour autre raison, ce semble, sinon que s’ils la désiraient, ils l’auraient, comme s’ils refusaient de faire ce bel acquêt, seulement parce qu’il est trop aisé. » Cette affirmation décrit judicieusement la condition libanaise, celle d’un agrégat qui ne veut point s’accorder les biens de l’émancipation sociopolitique, faute d’une irrépressible langueur. Maintenant, au-delà du chatoyant optimisme de La Boétie, je commence à remettre en cause certaines idées. Certes, la crise à Mansourieh n’est qu’un échantillon du désastre dans lequel le Liban risque de sombrer. Mais ce cri retentit haut et fort. Le pouvoir clame sans cesse que de telles installations ne vont pas affecter la santé des habitants, que plusieurs études ont mis en avant le peu de preuves des effets cancérigènes de ces câbles. En revanche, le peuple n’a rien voulu entendre et a poursuivi sa protestation. Pourquoi ? Simplement les Libanais traversent cette phase de farouche frustration qu’Étienne de La Boétie sollicitait de ses contemporains afin de mettre en marche la machine de la perfectibilité. Les Libanais ne veulent plus de corps politiques qui réduisent leurs demandes à rien moins que de frêles échos. Au-delà de l’affaire des câbles, ce qui incite en eux cette farouche résolution, c’est leur désir d’éradiquer une invisibilité longuement négligée qui les met au ban de la société. Le scénario décrit dans le Discours de la servitude volontaire paraît prendre la trajectoire anticipée par l’écrivain, à quelques exceptions près.

La Boétie transporte ses lecteurs dans l’univers d’une masse résignée face à l’oppression du tyran, qui a choisi la passivité au lieu de la confrontation. Au Liban, en revanche, l’effervescence se fait ressentir. Notre quotidien est ponctué de pics de rage de la part des citoyens, qui retombent ensuite dans le découragement et l’inertie. En fait, notre sens de la révolte fluctue sans répit, nous tournons dans un cercle vicieux sans même penser à en trouver la voie de sortie. Les manifestations ne peuvent aboutir à des réformes concrètes si nous insistons à garder le despote sur son trône. Mon plus cher souhait serait que le peuple libanais grave dans sa mémoire des instants tels que les événements à Mansourieh la prochaine fois qu’il aura un bulletin de vote entre les mains. Le Discours de la servitude volontaire est une ode au geste rebelle, un appel à l’action dans lequel Étienne de La Boétie verse toute sa bonne foi en la volonté invincible d’un public qui a effectué une prise de conscience. En revanche, cet écrivain néglige le fait qu’avant de combattre le tyran, il est impératif de s’assurer que l’intégralité des citoyens veulent aller à la confrontation. En d’autres termes, nous ne pourrons vraiment affronter l’oppresseur externe que lorsque nous aurons mis à mort notre propre despotisme, celui qui fulmine en nous depuis si longtemps.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Encore un réveil avec, dans l’esprit et le cœur, cette étouffante sensation de panique face à un nouveau danger qui guette le Liban. Face à un gouvernement qui persiste dans son obstination à ébranler la précieuse illusion d’équilibre qui berce le peuple. Cette fois pourtant, il ne s’agit pas de l’habituelle annonce de nouvelles démarches officielles bien plus laconiques que...

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