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Liban - justice

Acquittement de Suzanne el-Hajj : le parquet de cassation militaire présente un recours contre le jugement

« L’unicité du parquet et l’absence d’intérêt du demandeur rendent difficile la recevabilité de ce pourvoi », indique à « L’Orient-Le Jour » le pénaliste Akram Azouri.

Le sit-in, hier, devant le siège du tribunal militaire autour de Ziad Itani.

Le commissaire du gouvernement près la Cour de cassation militaire, Ghassan Khoury, a présenté hier un pourvoi en cassation contre la décision du tribunal militaire présidé par Hussein Abdallah, qui avait innocenté jeudi l’ancienne directrice du bureau de lutte contre la cybercriminalité au sein des Forces de sécurité intérieure (FSI), Suzanne el-Hajj, et condamné à un an de prison Élie Ghabach, un pirate informatique. Dans son pourvoi, M. Khoury a réclamé la condamnation de Mme el-Hajj et l’annulation des circonstances atténuantes dont a bénéficié M. Ghabach.

Le jugement rendu par le tribunal militaire avait suscité de vives critiques dans les milieux du courant du Futur, mais aussi chez les Forces libanaises (FL) et le Parti socialiste progressiste (PSP), au motif que l’abandon des poursuites contre Mme el-Hajj était une décision politisée dont les auteurs « règlent leurs comptes personnels à travers la justice » et reflètent « la lutte d’influence » entre des institutions de l’État.

Le recours en cassation a été présenté par M. Khoury après examen du dossier qui lui avait été transféré plus tôt dans la journée par le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire,

Peter Germanos, en coordination avec le procureur général près la Cour de cassation, Imad Kabalan. À noter que M. Germanos, qui avait requis en mars 2018 des poursuites à l’encontre de l’ancienne responsable au sein des FSI, a demandé lui-même que celle-ci soit innocentée.


(Lire aussi : L’acquittement de Suzanne el-Hajj dégénère en empoignade politique)

Le pourvoi, apanage de la partie perdante

Des sources judiciaires proches du parquet de cassation affirment à L’Orient-Le Jour qu’en vertu de la loi sur la justice militaire, ce parquet a la prérogative de former un pourvoi dans un délai de 30 jours à compter de la publication du jugement.

Contacté par notre journal, l’ancien ministre et ancien bâtonnier Rachid Derbas, avocat de Mme el-Hajj, estime au contraire que « le recours est illégal », soulignant qu’« il est irrecevable en la forme ». « Le tribunal a rendu son jugement en vertu de ce qu’a requis le parquet. Il est donc inconcevable que le parquet intente un recours contre cette décision », estime-t-il, évoquant le principe de « l’unité du parquet ». M. Derbas ajoute par ailleurs qu’en l’espèce, l’exigence d’un « intérêt » pour une recevabilité du pourvoi n’est pas satisfaite.

Akram Azouri, pénaliste, est du même avis. Il affirme que « l’action publique est représentée, non par plusieurs parquets, mais par un parquet unique qui a plusieurs procureurs ». « Comment, dès lors, un parquet peut-il se pourvoir en cassation contre un jugement rendu en adéquation avec son propre réquisitoire ? » se demande M. Azouri, insistant sur « le principe de l’unicité du parquet avec une pluralité des représentants ».

Le spécialiste indique en outre que « pour qu’un pourvoi soit recevable, il faut avoir un intérêt à le former », notant que « cet intérêt est limité à la partie qui a perdu en première instance ». « Or, en l’espèce, le parquet a gagné, puisque Suzanne el-Hajj a été innocentée comme l’avait réclamé le commissaire du gouvernement auprès du tribunal militaire, Peter Germanos », enchaîne-t-il, estimant que « le pourvoi sera rejeté par défaut d’intérêt, parce que le défi procédural, à savoir la motivation de la recevabilité du recours, sera dur à surmonter, sachant que celui-ci est cantonné à la partie perdante au procès ».


(Lire aussi : La coquine comédiel'éditorial de Issa GORAIEB)


Sit-in

De nombreux activistes de la société civile ont observé hier après-midi un sit-in contre la décision du tribunal militaire, réclamant « la réouverture du procès et un jugement juste ». Devant le siège de l’instance, et à l’initiative de plusieurs associations (Agenda légal, Beyrouth Madinati, Li Hakki, l’Observatoire populaire contre la corruption…), ils ont crié leur indignation, exprimant leur refus de « procès militaires pour les civils », et demandant « la suppression du tribunal militaire ». Parmi eux, Ziad Itani, qui a prononcé un mot dans lequel il a critiqué les médias parce qu’ils n’ont pas mentionné le procès en dommages-intérêts qu’il a intenté, déplorant que « le seul souci des journalistes est de suivre l’affaire el-Hajj/Ghabach ». « Je me solidarise avec chaque victime qui risque d’être opprimée comme je l’ai été », a-t-il lancé par ailleurs, soulignant qu’il œuvrera à créer une commission de lutte contre la torture.

Le communiqué publié par les associations organisatrices a affirmé dans le même sens que « l’affaire Ziad Itani est l’affaire de chaque individu oppressé ». Notant que le dramaturge « a été soumis aux pires tortures alors que la loi sur la lutte contre la torture avait été adoptée un mois auparavant (septembre 2017), les manifestants ont stigmatisé le fait que le tortionnaire continue d’exercer ses fonctions au sein de la Sécurité de l’État ». Ils ont mis en garde contre « la récurrence d’affaires similaires dans lesquelles la lutte entre les services et les conflits d’intérêts politiques et confessionnels feraient de nouvelles victimes », appelant dans cet esprit à « un pouvoir judiciaire indépendant ». « Nous réclamons le limogeage et le jugement du magistrat Peter Germanos, ainsi que la suppression du tribunal militaire et l’unification des services sécuritaires », poursuit le texte, réclamant que « Suzanne el-Hajj soit jugée par les tribunaux civils et punie de sanctions en adéquation avec son crime ».


(Lire aussi : L’entourage de Hariri fustige la décision de blanchir Suzanne el-Hajj)


Hani Hajjar veut être muté

On apprend par ailleurs que vendredi, au lendemain de l’acquittement de Mme el-Hajj, le juge Hani Hajjar, assistant du commissaire du gouvernement Peter Germanos, a demandé au Conseil supérieur de la magistrature d’être muté de son poste. En mars 2018, les poursuites à l’encontre de Mme el-Hajj avaient été enclenchées après une réunion qui avait regroupé MM. Hajjar et Germanos, ainsi que l’ancien procureur général près la Cour de cassation, Samir Hammoud.

Jointe par L’OLJ, une source proche du Conseil supérieur de la magistrature affirme qu’un magistrat n’a pas le droit de contester sa désignation à un poste et de demander son affectation à un autre. Si cette prérogative était accordée, on aurait vu souvent des magistrats demander le changement, ce qui aurait créé une perturbation au sein des tribunaux.

Il est vrai qu’en cas de tension entre membres d’un même tribunal, il est parfois opportun de procéder à des permutations, mais en tout état de cause, cela ne peut se faire par une demande expresse, affirme la source. Elle indique plus particulièrement que Hani Hajjar, également conseiller juridique du chef du gouvernement Saad Hariri, a eu un différend avec M. Germanos, lié au réquisitoire par lequel ce dernier a demandé la libération de Suzanne el-Hajj. Comme la relation entre le commissaire du gouvernement et son assistant est hiérarchique, celui-ci n’a pas le droit de contester les décisions de son supérieur, ce qui l’a poussé à vouloir abandonner son poste au tribunal militaire.

Selon des informations recueillies par la chaîne LBCI, l’examen de la requête ne signifie pas que celle-ci sera approuvée, d’autant qu’une permutation judiciaire nécessite un décret en ce sens signé par le président de la République, le chef du gouvernement et le ministre de la Justice.


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