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La coquine comédie

Un professionnel de la scène peut-il faire un bon gouvernant? Voici soudain que la question connaît un regain d’actualité avec la fulgurante élection, avec plus de 73 % des suffrages, de Volodymyr Zelensky à la présidence de l’Ukraine. Comédien et humoriste de talent, ce juif de 41 ans a surtout été la très populaire vedette d’une série télévisée opportunément baptisée Serviteur du peuple, et dans laquelle il tenait le rôle d’un professeur d’histoire se retrouvant propulsé… à la première magistrature de l’État.


Cet improbable président s’est engagé à casser le système et à supprimer tous les honneurs dus au rang qui est désormais le sien ; mais il n’aura pas la tâche facile, dans cette ancienne république soviétique en guerre contre les séparatistes russophones et confrontée à de graves difficultés économiques. Déjà candidat pas comme les autres, Zelensky avait mené une campagne essentiellement axée sur les réseaux sociaux : ceux-là mêmes qui, en cette ère d’intense communication électronique, font de chaque simple citoyen un apôtre du changement, un censeur, un tribun maître de son opinion et conscient que celle-ci vaut bien, ma foi, celle des fausses élites accaparant le pouvoir.


Volodymyr Zelensky n’est pas, pour autant, un novateur. Dans cette patrie du show-biz que sont les États-Unis, c’est l’acteur Ronald Reagan, lointain prédécesseur de la vedette de téléréalité Donald Trump, qui ouvrait le bal en se faisant élire gouverneur, puis président. Grand président au demeurant, puisque ce prolifique acteur de films de série B gagnait la guerre froide engagée avec l’URSS, dans le même temps qu’il relançait spectaculairement l’économie américaine. Plus modeste était le parcours politique de stars de l’écran tentées par l’aventure, tels Arnold Schwarzenegger et Clint Eastwood ; et plus décevantes encore devaient s’avérer les expériences de reconversion professionnelle signalées en des pays aussi divers que les Philippines, la Pologne ou le Guatemala. Et puis comment omettre, dans cette galerie de portraits, celui de la truculente Cicciolina, nom de scène de cette actrice de films porno d’origine roumaine qui parvenait à se faire élire triomphalement au Parlement italien ?


Alors une fois de plus, un acteur peut-il faire un bon dirigeant politique ? Le fait est que les deux destinées ne sont pas sans présenter des similitudes : la plus évidente étant l’image d’eux-mêmes (le personnage, le rôle ?) que l’un et l’autre projettent, avec plus ou moins de bonheur, sur le public. Voilà qui portait Reagan, encore lui, à se demander ingénument comment diable un président pouvait ne pas avoir été acteur. Voilà qui porte aussi à inverser la question : à se demander combien de responsables politiques de par le monde parviennent à endosser véritablement, de manière crédible, le personnage qu’ils se sont fabriqué.


C’est sur ce théâtre précis que notre pays peut très bien prétendre à tous les oscars de la tragi-comédie. C’est sur les deux tableaux de la médiocrité qu’il trouve moyen de se distinguer. Jamais dans son histoire, le Liban n’aura été gouverné par une telle somme d’incompétence(s), qu’il s’agisse d’affaires d’État ou de frustes prestations de services publics. Jamais le pillage des ressources nationales n’aura été pratiqué à aussi grande échelle que durant ces dernières années. Jamais enfin les prévaricateurs, sûrs qu’ils sont de leur impunité, ne se seront montrés plus maladroits dans l’art subtil du maquillage de scène : si grossier est le fard qu’il n’aide guère à sauver la face.


Pour clore cette triste revue des théâtres, place aux flops monumentaux qu’offre en spectacle la justice, avec l’incroyable épilogue que vient de connaître, devant le tribunal militaire, l’affaire de fabrication de fausses preuves de collaboration avec Israël visant le dramaturge et acteur Ziad Itani. Si le hacker qui a forgé ces documents a écopé d’un an de prison, largement innocentée est, pour sa part, la colonelle en charge de la police cybernétique. Reconnue coupable seulement (!) de recel d’informations, elle écope de deux petits mois, exactement le temps qu’elle a déjà passé en arrestation préventive. Pour tout dire, c’est moitié moins long que l’enquête en détention, assortie d’interrogatoires musclés, qu’a injustement endurée la victime de la machination. Qui au milieu de ce honteux, ce scandaleux ballet d’ombres chinoises, se trouve être, comme par hasard, le seul acteur de profession.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Un professionnel de la scène peut-il faire un bon gouvernant? Voici soudain que la question connaît un regain d’actualité avec la fulgurante élection, avec plus de 73 % des suffrages, de Volodymyr Zelensky à la présidence de l’Ukraine. Comédien et humoriste de talent, ce juif de 41 ans a surtout été la très populaire vedette d’une série télévisée opportunément baptisée...