C’est une véritable bombe qu’a lancée hier l’ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi, qui a tiré à boulets rouges sur le ministre des Affaires étrangères et chef du Courant patriotique libre (CPL) Gebran Bassil, qualifiant ce dernier de responsable « le plus corrompu » du pays. L’intervention de M. Rifi, qui vient de se réconcilier avec les chefs de file du courant du Futur après un froid qui aura duré plusieurs années, survient en pleine campagne dite de « lutte contre la corruption » dont plusieurs pôles politiques s’érigent en fer de lance, s’accusant mutuellement de détournements de fonds et d’abus de pouvoir.
Dans une longue tirade, M. Rifi a égrené, lors d’une conférence de presse, une série d’affaires de corruption dans lesquelles aurait trempé le chef du CPL, réitérant certaines des accusations qu’il a déjà lancées il y a un peu plus d’un mois et qui lui ont valu des poursuites en justice pour diffamation. Il est ainsi revenu à la charge avec un dossier détaillé sur ce qu’il considère être des pratiques de corruption et d’abus de pouvoir qu’il impute à M. Bassil, à commencer par l’affaire des navires-centrales grâce auxquels le chef du CPL aurait touché des commissions généreuses, jusqu’aux sommes faramineuses que ce dernier aurait empochées pour propulser au pouvoir députés et ministres. « J’ai accusé Gebran Bassil d’être le premier corrompu de la République libanaise et je suis en possession de dossiers qui peuvent le prouver », a affirmé M. Rifi en allusion à ses précédents propos. « J’espérais que la justice me convoque et prenne connaissance des dossiers en ma possession, afin qu’elle fasse son devoir et protège les finances publiques », a-t-il souligné. L’ancien ministre a toutefois regretté que « personne n’ait pris ses propos en considération ». « Je répète et répéterai mes propos et demande aux juges de me convoquer », a-t-il martelé.
Le tribunal des imprimés, présidé par le juge Raffoul Boustany, avait condamné la semaine dernière l’ancien ministre à une peine de trois mois de prison, commuée en une amende de 2 millions de livres, et au paiement de 15 millions de livres au ministre des Affaires étrangères qui avait intenté un procès en diffamation contre lui, suite à des accusations de corruption que le général Rifi lui avait adressées.
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Navires-centrales
En ce qui concerne la location polémique de navires-centrales permettant de combler le déficit de la production du courant électrique, Achraf Rifi a accablé M. Bassil, l’accusant d’avoir notamment profité du secteur de l’électricité et affirmant que le recours à la location de navires-centrales était « la cause principale de l’augmentation de la dette publique ». Il a souligné que Gebran Bassil était au départ contre la location de centrales flottantes mais qu’après une visite, en 2010, de responsables de la société Karadeniz louant ces bateaux au ministre, il était devenu « un des plus féroces partisans » d’un futur contrat avec cette société. Il a dans ce contexte souligné que la moitié du montant versé par le Trésor à la société couvre « une prime en cas de diminution de la consommation de fioul par les navires », rappelant que l’Inspection centrale avait mis en garde en 2013 contre Karadeniz.
Le coût total des navires-centrales pour les cinq premières années s’élève à 755 millions de dollars, a-t-il précisé. « De grâce, quel homme sage et intègre accepterait de louer des centrales-flottantes pour le double du coût ? » s’est interrogé M. Rifi, se disant prêt à remettre à la justice le dossier en sa possession. Pour étayer ses accusations de corruption, l’ancien ministre a repris, vidéo à l’appui, les propos lancés au mois de mars dernier par le ministre des Finances, Ali Hassan Khalil, qui avait également accusé le chef du CPL de « tentative de vol et de corruption » dans le dossier de la construction de la centrale de Deir Ammar 2. M. Khalil a estimé que M. Bassil a cherché à usurper le montant de la TVA imposée sur le contrat qui s’élève, selon lui, à « plusieurs millions de dollars ». M. Khalil avait expliqué qu’il s’était opposé à ce projet en raison de l’ajout de la TVA à son coût, alors que la Cour des comptes avait affirmé que cette taxe était incluse dans le contrat de base et ne devait pas être payée en supplément du coût total. M. Rifi a également invité la justice à entendre d’autres responsables politiques, dont le chef des Kataëb, Samy Gemayel, et l’ancien chef de gouvernement Nagib Mikati, qui, a-t-il dit, ont tous fait état des « malversations » du ministre des Affaires étrangères.
Poursuivant sur sa lancée, M. Rifi a affirmé que « la plupart de ceux qui se sont portés candidats » aux dernières législatives « sur les listes de Gebran Bassil ont payé des sommes exorbitantes » au chef du CPL, un candidat malheureux ayant payé 17 millions de dollars à M. Bassil.
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« Parlementaire, pas présidentiel... »
Par ailleurs, l’ancien ministre a accusé le président libanais Michel Aoun d’avoir violé la Constitution et empiété sur les prérogatives du gouvernement et du Premier ministre Saad Hariri avec ses propos prononcés dimanche sur le budget de l’État pour l’exercice 2019. « Le pays traverse une crise qui est en train d’être réglée. Tout le monde doit travailler jour et nuit pour la résoudre le plus rapidement possible car la situation ne permet pas de perdre du temps », avait indiqué le président Aoun, appelant « ceux qui n’ont pas l’expérience nécessaire pour résoudre cette crise rapidement à venir à Baabda ». « Nous les aiderons à la résoudre », a-t-il lancé, sans préciser à qui ce message s’adressait, appelant les responsables à clore ce dossier jeudi. « Nous sommes dans un régime parlementaire, pas présidentiel », a conclu M. Rifi.Aussitôt la conférence de presse terminée, le bureau de presse de M. Bassil a publié un communiqué dans lequel il déclare son intention d’engager de nouvelles poursuites contre l’ancien ministre de la Justice qui, précise le texte, vient de « réitérer ses propos mensongers en dépit d’une décision de justice le condamnant pour avoir omis de présenter les preuves » étayant ses accusations. « Nous allons prouver une fois de plus à l’opinion publique, et par le biais des voies légales, la non-crédibilité de M. Rifi qui a constamment recours au mensonge et à la diffamation, dans le but de se renflouer en vue de récupérer une popularité qu’il n’a plus », conclut le texte.
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commentaires (11)
COMMENT IL A FAIT LE PRÉSIDENT "OFFICIEL" DE LA RÉPUBLIQUE BASSIL POUR DEVENIR, À UNE VITESSE VERTIGINEUSE, UN ARCHI MILLIONAIRE ? QUI VA L'INTERROGER ? AOUN ? OU HASSAN NASRALLAH ?
Gebran Eid
19 h 10, le 23 avril 2019