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Liban - Commémoration

Au Lycée Abdel Kader, des témoignages sur la mémoire de la guerre et la construction de la paix

Un défi : briser le tabou de la guerre en témoignant,

Pour la quatrième année consécutive, la communauté du Lycée Abdel Kader (LAK) s’est réunie jeudi dernier pour évoquer la mémoire de la guerre et la construction de la paix, projet initié en 2015 par Mme Lamia Hitti, professeure d’histoire-géographie au lycée. Un défi, selon elle, que celui de briser le tabou de la guerre en témoignant, chacun selon son vécu, de ce qu’il reste des souffrances de notre passé que nous avons, encore à ce jour, du mal à intégrer au tableau de notre présent.

« Quand je suis amenée, dit-elle, à témoigner de cette expérience lors de rencontres autour de la mémoire de la guerre dans des écoles ou dans des universités, certains expriment une profonde admiration pour le travail de mémoire que nous faisons, mais d’autres se montrent sceptiques et me demandent : vous n’avez pas peur de raviver des blessures ? Non je n’ai pas peur, bien au contraire, je suis convaincue qu’il est temps de panser nos blessures, sans cela, elles vont s’infecter… Les Libanais ont mal. »

Pour alimenter cette réflexion collective et constructrice sur la paix, les témoignages se sont donc succédé au LAK, les intervenants aussi, chaque fois en avril, le 13, à cette date où, en 1975, les balles perdues et le bruit des obus avaient décidé de se substituer aux mots.

Cette année, les élèves de première et terminale de l’atelier Culture-Actualité animé par Mme Josette Haddad (professeure de sciences économiques et sociales et d’histoire-géographie au Lycée Abdel Kader) ont choisi de travailler sur le thème de l’exil et se sont représentés sur les planches de leur théâtre pour signifier l’arrachement à la terre de ceux qui ont été, un jour, contraints de partir.

Éclats de vie est cette pièce à laquelle ont pu assister, le 11 avril, plus de 350 lycéens du LAK, en présence par ailleurs de figures libanaises et françaises de la sphère éducative, de la littérature, des 6e et 7e arts : Mme Salwa Siniora Baassiri, directrice générale de la Fondation Rafic el-Hariri, Mme Véronique Aulagnon, conseillère de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France, M. Yves Royer, proviseur du Collège Élite de Beyrouth, Mme Joumana Haddad, écrivaine, activiste, M. Joseph Bou Nassar, acteur, metteur en scène, M. Youssef el-Haddad, poète, dramaturge, ancien chef du département d’art dramatique à la faculté des beaux-arts de Beyrouth.

C’est l’histoire vraie d’une famille, celle de Josette Haddad, qui, au même titre que tant d’autres familles, va « subir » l’exil. « Je me souviens, écrit-elle, des allers-retours d’un père en éternelle partance, tiraillé entre la France et le Liban, exposé à la mort à chaque fois qu’il empruntait la route de l’aéroport, débarquant quelques jours pour embarquer à nouveau, vers ce “là-bas” en feu, en ruine, convaincu qu’il pouvait encore sauver quelque chose, des miettes de patrie… Je me souviens d’une mère-courage, affrontant la distance par le verbe, narguant le destin avec une telle élégance qu’on ne pouvait imaginer à quel point dans son cœur sa souffrance était grande d’avoir été privée de son Joseph, d’avoir dû renoncer à son Liban… »

Et de poursuivre : « La guerre, c’est pour moi l’odeur de ces valises ouvertes, du pain libanais enveloppé dans un tissu par une téta qui ne m’avait pas vue grandir, des pistaches, du linge en vrac, des cadeaux pour pardonner l’absence… La guerre, c’était écrire à papa, encore et encore, ne sachant si nos lettres arriveraient ou non à destination, guetter un voyageur pour lui confier une enveloppe qu’on embrasserait dix millions de fois, comme si les baisers pouvaient bannir les frontières, traverser les montagnes… »

Ce sont ces lettres que l’enseignante va faire découvrir à ses élèves, chacun se projetant très rapidement (presque naturellement) dans le rôle d’un frère ou d’une sœur, de la mère, du père… Puis c’est la jeune Tala Charif (1re L) qui proposera intuitivement un script.

Adopté. Et avec la précieuse contribution à ce travail de Mme Saada Houry, professeure de français et de théâtre au lycée, les éclats d’obus deviennent « Éclats de vie ».

Lever ainsi le voile sur tant d’intimités, conclut Josette Haddad, c’est une façon « autre » de ramener à la terre notre appartenance en même temps que nos identités plurielles, de prendre conscience que les paix ne peuvent espérer voir le jour que par le cheminement du souvenir en chacun de nous, car « ceux qui ne connaissent par leur histoire s’exposent à ce qu’elle recommence ».



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