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Liban - Semaine forestière

« Une forêt sans gestion devient plus vulnérable »

Des interviews effectuées au cours de la VIe Semaine forestière qui a lieu actuellement au Liban bouleversent les idées reçues sur notre conception des forêts et du reboisement.

La biodiversité originelle de la forêt, un élément essentiel à prendre en compte lors de la restauration d’un site dégradé. Photo Bigstock

Quelles sont les premières idées qui traversent l’esprit du Libanais lambda quand on évoque le sujet des forêts ? Une hécatombe, une destruction systématique due à l’expansion urbaine, aux carrières, aux plaies de toutes sortes… Or la réalité est plus subtile et le problème majeur serait en partie ailleurs, comme l’indique Fady Asmar, ingénieur agronome et directeur du projet

SALMA (« Smart Adaptation of Forest Landscapes in Mountain Areas », financé par le Fonds mondial de l’environnement, GEF, et exécuté par la FAO avec le ministère de l’Agriculture au Liban).

« La priorité reste la gestion des forêts, affirme l’expert à L’Orient-Le Jour, lors d’une rencontre en marge de la VIe Semaine forestière, un événement régional organisé par le ministère de l’Agriculture et la FAO au Liban. Comme nous avons pu le démontrer, la superficie des forêts augmente, mais c’est une forêt désordonnée, fragile, vulnérable parce qu’elle n’est pas gérée. On a l’impression que la couverture forestière se réduit parce qu’on est habitué à vivre dans notre bande côtière et de ne pas aller plus loin. »

Si la superficie n’est pas vraiment un problème, selon lui, la forêt sans gestion humaine durable est facilement la proie des feux de forêt, des insectes… « Tous les problèmes que nous constatons sont le résultat de ce manque de gestion, insiste-t-il. Une grande partie des forêts actuelles a poussé sur des terrains agricoles abandonnés. Pendant longtemps, les pâturages et les charbonniers contribuaient naturellement à la gestion de la forêt et lui permettaient de survivre, contrairement à la perception négative que l’on a d’eux de nos jours. »

La forêt doit être utilisée et éclaircie, dans le cadre d’une gestion durable et étudiée, affirme Fady Asmar. « C’est ainsi que l’on revoit des fleurs et autres espèces, et par là même les ennemis naturels des insectes ravageurs, explique-t-il. On déplore surtout des insectes sur les pins pignons, une espèce très importante économiquement, et ce fléau est notamment dû au fait que ces forêts plantées sont uniformes, avec des individus du même âge et de la même espèce. »



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Préserver les forêts mais ne pas les surprotéger
Pour lui, « il ne faut plus regarder nos forêts comme un paysage, un tableau à ne pas toucher, il faut réapprendre à y vivre ». « C’est une grande décision, il faut mettre en place un plan de gestion basé sur des études, souligne M. Asmar. Il y a un grand travail à faire sur les mentalités. Nous avons très longtemps surprotégé nos forêts sous prétexte de les préserver. »

Le projet SALMA prévoit d’intervenir dans plusieurs communes en y élaborant un plan complet, sur un total de mille hectares. « Dans un cadre plus global, nous préparons une configuration des écosystèmes forestiers pour savoir comment agir suivant les milieux, ajoute-t-il. Nous travaillons également sur les insectes et les feux de forêt pour rendre ces milieux moins vulnérables et aider les communautés locales à profiter des forêts et à développer des produits économiques, qu’ils soient des produits alimentaires ou relatifs à l’écotourisme. »


(Lire aussi : Forêts et changement climatique : un impact à double sens)


Quand les arbres communiquent entre eux
La gestion durable est un élément de résilience, mais aussi et surtout la biodiversité doit être étudiée et prise en considération. Magda Bou Dagher Kharrat, directrice du département des sciences de la vie et de la Terre-biochimie de l’Université Saint-Joseph et présidente de l’ONG Jouzour Loubnan, joint la connaissance académique à l’action sur le terrain. À L’OLJ, elle exprime l’idée que « la forêt n’est pas une succession d’arbres d’une espèce donnée ».

« Il faut être attentif à la diversité qu’il y a dans une forêt, non seulement en termes de diversité d’arbres, mais aussi au niveau de toute la partie souterraine que l’on ne voit pas, les micro-organismes du sol, qui sont essentiels pour la santé de la forêt, explique-t-elle. On a découvert récemment que les arbres communiquent entre eux par le biais de ce réseau souterrain : si un arbre est stressé, il envoie un signal aux autres pour qu’ils se préparent. Il faut prendre tout cela en considération lorsque l’on étudie la biodiversité d’une forêt en vue de la gestion durable. »

Au lieu d’un simple reboisement, la spécialiste préfère se référer à la « restauration d’écosystèmes dégradés ». « Il ne suffit pas de planter des arbres, et surtout une seule espèce en un lieu donné, dit-elle. Il faut tout d’abord savoir à quoi ressemblait la forêt dégradée, à quelle altitude elle est, quels sont la nature du sol, le taux de précipitation, la communauté qui y vit… La restauration est la reconstitution d’une réalité donnée, par un simple reboisement. Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en jeu, en commençant par la diversité génétique de l’espèce la plus adaptée. »

Mme Bou Kharrat confirme notamment qu’une forêt dont la biodiversité est très importante a une absorption plus efficace du CO2. « La diversité d’espèces contribue à cela », souligne-t-elle. En effet, entre arbres à feuilles et conifères, chaque espèce a son point culminant d’absorption du CO2, à différents moments de l’année. « Les arbres qui résistent au feu ne sont pas nécessairement ceux qui résistent aux insectes ou à la sécheresse, dit-elle. Comme il est impossible de savoir à quels problèmes s’attendre, plus la biodiversité est grande, plus la forêt a des chances de résister. »

Elle prône cependant l’intervention humaine là où le changement climatique laisserait les forêts sans ressources. « La zone méditerranéenne où nous nous trouvons sera très affectée par le changement climatique, explique-t-elle. Et les espèces d’arbres auront tendance à migrer plus haut : dans le cas de la cédraie de Tannourine par exemple, celle-ci se trouve déjà au point le plus haut de l’espèce. Là, nous pouvons envisager une migration assistée, quand on aide l’espèce à s’établir ailleurs : on prélève les graines et on les plante dans une zone où elles ont la chance de survivre. »


(Lire aussi : Des approches innovantes pour restaurer la biodiversité et lutter contre le changement climatique)


La communication… sur le positif !

Un des ateliers de travail de la Semaine forestière méditerranéenne portait sur l’importance de la communication autour de la forêt et de ses aléas. Interrogée sur les ingrédients réussis d’une communication autour de la forêt, Pilar Valbuena Perez, ingénieure forestière spécialisée en communication et vice-présidente du Réseau des communicateurs forestiers méditerranéens, souligne que « le plus grand défi, c’est que la communication autour des forêts méditerranéennes tourne autour des événements négatifs ».

« Il y a toujours un pic d’intérêt autour des tweets sur des incendies de forêt par exemple, poursuit-elle. Les exemples plus positifs circulent parmi un public d’initiés, or il faut sortir ces messages du cercle des forestiers et montrer au grand public d’autres aspects primordiaux comme la gestion durable des forêts, la valeur économique de ce milieu, ou encore son rôle dans l’atténuation des effets du changement climatique. Il faut se rendre compte de l’importance des ressources et des biens qu’on reçoit de la forêt et de la protection des riverains parce qu’ils vivent de ces ressources renouvelables : bois de chauffage, champignons, protection des sources d’eau… »


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Quelles sont les premières idées qui traversent l’esprit du Libanais lambda quand on évoque le sujet des forêts ? Une hécatombe, une destruction systématique due à l’expansion urbaine, aux carrières, aux plaies de toutes sortes… Or la réalité est plus subtile et le problème majeur serait en partie ailleurs, comme l’indique Fady Asmar, ingénieur agronome et directeur du projet...

commentaires (4)

Pour un lecteur de l'Orient-Le Jour résidant loin de son pays natal, une photo d'un pin parasol sous le ciel bleu de son beau pays, prise par Bigstock, vaut toutes les têtes des Bouteflika, Natanyahu, Erdogan, Trump, Poutine, Maduro & consorts. Merci Suzanne Baaklini

Un Libanais

16 h 13, le 04 avril 2019

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Commentaires (4)

  • Pour un lecteur de l'Orient-Le Jour résidant loin de son pays natal, une photo d'un pin parasol sous le ciel bleu de son beau pays, prise par Bigstock, vaut toutes les têtes des Bouteflika, Natanyahu, Erdogan, Trump, Poutine, Maduro & consorts. Merci Suzanne Baaklini

    Un Libanais

    16 h 13, le 04 avril 2019

  • CA VA SANS LE DIRE. MAIS QU,ILS COMMENCENT A ADMINISTRER L,ECONOMIE ET LES FINANCES DU PAYS ET QU,ILS TRAINENT EN JUSTICE LES GRANDS REQUINS ET NON SEULEMENT LES PETITS POISSIONS DE LA CORRUPTION AVANT DE SE TOURNER VERS LA GESTION ECOLOGIQUE. MAIS AVEC DES ABRUTIS CORROMPUS JUSQU,AUX OS, IGNORANTS, INCOMPETENTS ET M,ENFOUTISTES QUE POUVONS- NOUS ATTENDRE ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 45, le 04 avril 2019

  • Je suis pour une communication positive autour de la gestion durable des forêts. Si je me souviens bien, l'année passée le village ou la ville de Jeb Jannine au Liban (Békaa avec leur joli pont romain) ils ont fait une iniative pour planter des arbres autour du village, j'éspère que leur initiative est un exemple de communication positive.

    Stes David

    09 h 09, le 04 avril 2019

  • Excellente série d'articles où j'apprends plein de choses, des choses indispensables à une gestion durable de l'écosystème des forêts et à l'avenir de nos enfants. Je me demande si les enfants scolarisés sont sensibilisés à ces questions à l'école : balades en forêts avec explications sur les risques et les potentiels des forêts, identification des espèces d'arbres sous formes de jeux et de quiz, apprentissage des gestes et comportements vertueux pour protéger la biodiversité, etc.

    Marionet

    08 h 45, le 04 avril 2019

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