Une grue flottante préparant l'installation d'une plateforme sur le champ gazier du Leviathan, au large d'Israël. Photo d'archive AFP / POOL / Marc Israel SELLEM
Alors que le Liban est à la traîne par rapport à ses voisins du pourtour méditerranéen en ce qui concerne l'exploration et la production de ressources hydrocarbures offshore et que les tensions sont toujours vives avec Israël concernant les frontières maritimes entre les deux pays, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, son homologue grec Alexis Tsipras et le président chypriote Nikos Anastasiades se sont réunis mercredi soir à Jérusalem, en présence du chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, afin de discuter de la construction du gazoduc EastMed, reliant l’État hébreu à l'Europe.
Dans un communiqué commun, publié à l'issue de leur rencontre, les responsables israélien, grec, chypriote et américain se sont engagés à renforcer leur coopération en matière d'hydrocarbures et à "défendre l'est de la Méditerranée et le Moyen-Orient contre toute influence externe malveillante". Le texte souligne également le soutien américain au mécanisme de coopération trilatéral développé par la Grèce, Israël et Chypre en matière de ressources gazières et pétrolières. "Notre idée de base est très importante, il s'agit de créer un réseau sécurisé pour le transfert des ressources énergétiques, de l'est de la Méditerranée, d'Israël, Chypre et la Grèce, vers l'Europe", a affirmé Alexis Tsipras dans une brève déclaration à la presse au début du sommet, en référence à la construction du pipeline Eastmed. Mike Pompeo est actuellement de passage en Israël dans le cadre d'une visite dans la région qui doit le mener au Liban vendredi.
Quelle est la situation en matière d'exploitation des ressources offshore dans l'est de la Méditerranée, où ce projet sera développé ? Où sera-t-il installé et qui sont les pays partenaires ? Ce projet peut-il avoir un impact sur les ambitions libanaises en matière d'exploration et de production de ressources hydrocarbures ? L'Orient-Le Jour fait le point.
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Les hydrocarbures offshore dans l'est de la Méditerranée
Ces dernières années, la Méditerranée orientale est devenue une zone d'exploitation gazière active, notamment après la découverte de gisements au large d'Israël, de Chypre et de l'Egypte, ce qui a donné lieu à des tensions entre divers pays de la région sur les droits et les frontières maritimes.
Au Liban, un premier contrat d’exploration et de production d’hydrocarbures offshore a été signé, en février 2018, avec le consortium composé des compagnies pétrolières Total (France), Eni (Italie) et Novatek (Russie) pour les bloc 9 (sud) et 4 (centre-ouest). Ce contrat a été signé alors qu'Israël continue de revendiquer une partie du bloc 9, situé le plus au sud de la Zone économique exclusive libanaise. Ce litige découle du fait qu'Israël a décidé, en 2011, d’officialiser sa ZEE en empiétant d’environ 850 km² sur celle déclarée un an plus tôt par Beyrouth à l’ONU (totalisant 22 730 km²). Les États-Unis avaient tenté une médiation entre les deux parties il y a quelques mois, mais celle-ci n'a pas abouti.
De son côté, Israël a découvert depuis plusieurs années d'importants champs gaziers, dont celui de Leviathan, dont l'exploitation doit commencer en 2019, et de Tamar. Chypre a pour sa part découvert un gisement, Aphrodite, déclaré commercialement viable et qui contiendrait environ 127 milliards de m3 de gaz.
La découverte de ces gisements ouvre de nouvelles perspectives économiques pour les pays du pourtour méditerranéen mais doit toutefois faire face à plusieurs défis, notamment le manque d'infrastructures existantes pour le traitement des ressources et les tensions géopolitiques entre les différents acteurs.
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Le gazoduc EastMed
Pour assurer l'écoulement de la future production du gaz naturel extrait des gisements chypriote et israéliens, Nicosie, Tel Aviv, Athènes et Rome ont signé, en décembre 2017, un protocole d'accord pour la construction d'un gazoduc sous-marin reliant les côtes de Chypre et d'Israël à l'Europe.
Ce pipeline couvrirait une distance de près de 2.000 km, passant du champ israélien Leviathan, au chypriote Aphrodite, avant de poursuivre sa route au large de la Crète et du sud de la Grèce, pour finalement arriver au talon de la botte de l'Italie, ce qui en ferait le plus long du monde. Il aura une capacité annuelle d'environ 0,3 à 0,45 milliards de m3, et pourrait être achevé d'ici 2025. En juin 2017, Benjamin Netanyahu avait qualifié ce projet de "révolutionnaire et très prometteur", à l'issue d'une réunion avec son homologue grec et le président chypriote.
Le lancement de la construction de ce gazoduc ne devrait toutefois pas se concrétiser avant les élections européennes de mai, Rome, dont la signature est requise pour poursuivre les procédures, ayant demandé à ce que cette signatures attende jusqu'à après le scrutin.
Pour Mona Sukkarieh, consultante en risque politique et cofondatrice de Middle East Strategic Perspectives, la participation de M. Pompeo au sommet israélo-gréco-chypriote, mercredi soir à Jérusalem, confirme "le soutien de Washington au renforcement de la coopération au niveau régional en général", et ne doit pas être exclusivement vue comme un soutien au projet EastMed. Laury Haytayan, experte en ressources pétrolières et directrice régionale du Natural Resource Governance Institute (NRGI), estime, quant à elle, que la présence du chef de la diplomatie américaine à cette réunion est surtout motivée par le fait que "les Etats-Unis, sachant que les Russes sont intéressés par le gazoduc EastMed, veulent s’imposer comme acteur énergétique dans la région".
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Quelles conséquences pour le Liban ?
La semaine dernière, le ministre libanais des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a adressé un mémorandum à l'ONU, à l'Union européenne, ainsi qu'à Rome, Athènes et Nicosie pour les mettre en garde contre d'éventuels empiétements sur la ZEE du Liban, dans le cadre de la construction du gazoduc EastMed. "Le Liban ne permettra pas qu'on porte atteinte à ses droits et à sa souveraineté", avertit notamment Gebran Bassil.
Si Mona Sukkarieh rappelle que "le projet du tracé du gazoduc EastMed en discussion ne passe pas par la ZEE libanaise", Laury Haytayan souligne que EastMed est "l'un des deux projets régionaux dangereux pour l’éventuel futur secteur des hydrocarbures libanais". L'autre menace étant le Forum du gaz de la Méditerranée orientale (EMGF), dont la création avait été annoncée en janvier dernier au Caire. Ce forum rassemble l’Égypte, Chypre, la Grèce, l’Italie, Israël, la Jordanie et la Palestine, et ambitionne de développer des infrastructures, des politiques et des projets communs. Israël faisant partie de ce forum, le Liban ne peut y participer. Ces deux projets sont problématiques en ce sens qu'ils représentent une sérieuse concurrence pour le Liban en terme de puissance et de capacité d'exportation.
Quelles seraient, dès lors, les ouvertures possibles pour un Liban éventuellement producteur de ressources gazières ? Une des possibilités serait "l’établissement d’un forum parallèle, qui inclurait le Liban, la Syrie, la Russie, la Turquie, l’Iran, ce qui constitue un projet de longue haleine, avec beaucoup de défis économiques, politiques et techniques à relever", indique Mme Haytayan. La seconde option serait le recours au gaz naturel liquéfié, "qui peut être transformé sur place et transporté par bateaux, sans avoir à construire de coûteux pipelines".
Mona Sukkarieh estime néanmoins qu'EastMed est avant tout un projet politique et souligne les "difficultés techniques et économiques" que rencontre le développement du gazoduc. La construction d'une telle infrastructure "n'est pas économiquement viable, ni pour le moment, ni dans un futur proche", assure-t-elle, estimant que son coût serait bien supérieur aux 7 milliards de dollars régulièrement annoncés. Le coût de cette infrastructure, additionné au prix élevé de l'exploitation des ressources, se répercuterait sur le prix du gaz à son arrivée sur le marché européen, qui ne serait dès lors "pas compétitif". "D'ailleurs, aucune des entreprises concernées par la production des hydrocarbures au Levant n'a témoigné de l'intérêt pour ce projet", note-t-elle. "Économiquement, il est beaucoup plus logique que les entreprises affichent leur intérêt à investir dans le Forum du gaz de la Méditerranée orientale que dans le pipeline", estime, quant à elle, Mme Haytayan.
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pas etonnant que le Liban soit mis de cote dans ce business....quelle entreprise serieuse a t elle envie d investir dans un Etat failli colonie iranienne?
10 h 13, le 22 mars 2019