Les propos du ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman, qui a accusé le 31 janvier 2018, le Liban de "provoquer" Israël en lançant les procédures pour l'exploitation des ressources offshore dans un bloc proche de ses frontières ont remis sur le devant de la scène le différend entre Beyrouth et Tel Aviv concernant la délimitation de leurs frontières maritimes.
"Lorsqu'ils (les autorités libanaises) attribuent l'exploitation d'un champ gazier, notamment le bloc 9, qui, selon tous les normes, nous appartient, il s'agit d'un comportement très très provocateur", a lancé M. Lieberman. "Les compagnies respectables qui sont concernées par l'attribution de l'exploitation de ces champs gaziers sont, à mon avis, en train de commettre une grave erreur, car cela est contraire à toutes les lois et les protocoles en la matière", a-t-il ajouté.
Ces propos ont provoqué un tollé au Liban qui a décidé de lancer une offensive diplomatique et de saisir les Nations-Unies, ajoutant une nouvelle plainte à la longue liste de doléances déjà déposées contre Israël pour ses violations régulières de la souveraineté libanaise.
Voici quelques clés qui permettront de mieux comprendre le différend libano-israélien autour de la question des frontières maritimes.
Au coeur du problème, la ZEE
D'après le droit de la mer, la Zone Économique Exclusive (ZEE) est un espace maritime sur lequel un État côtier exerce des droits souverains en matière économique. Cette zone s'étend de la ligne côtière jusqu'à une profondeur maximale de 370 km. Dans le cas du Liban et d'Israël, c'est notamment la délimitation de cette zone qui pose problème. Dans sa ZEE, l'État côtier "a des droits souverains aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu'en ce qui concerne d'autres activités tendant à l'exploration et à l'exploitation de la zone à des fins économiques, telles que la production d'énergie à partir de l'eau, des courants et des vents", selon l'Article 56 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.
Cette ZEE ne doit pas être confondue avec les eaux territoriales, c'est à dire l'espace maritime sur lequel s'étend la pleine souveraineté de l'État, c'est à dire qu'il peut y exercer ses lois et réglementer toutes ses utilisations. Les eaux territoriales s'étendent jusqu'à 22 km à partir de la côte.
L'explication du contentieux
Extrait d'une carte produite par le département d'Etat américain
- En 1995, le Liban signe la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, ce qui l'engage à respecter les procédures internationales stipulées dans ce document pour le tracé de ses frontières maritimes. Cette Convention définit notamment les principes généraux de l'exploitation des ressources de la mer (ressources vivantes, ressources du sol et du sous-sol). Israël fait partie des pays qui n'ont pas signé cette Convention, avec les États-Unis, le Pérou, la Syrie, la Turquie, le Venezuela et l'Érythrée.
- En 2007, le Liban signe un accord avec Chypre concernant la délimitation des ZEE des deux pays, qui n'a toutefois jamais été approuvé par le Conseil des ministres libanais et par conséquent jamais été adopté par le Législatif. Cet accord délimitait de façon floue la limite sud de la ZEE.
- En avril 2009, une commission interministérielle établit toutes les coordonnées des frontières de la ZEE du Liban, sur base des points définis dans l'accord précédemment conclu avec Nicosie et auquel sont ajoutés des points au nord (numérotés de 7 à 17) et au sud de la zone, numérotés de 18 à 25. Le point 23 de cette série de coordonnées correspond à la limite sud-ouest de la ZEE libanaise et est supposé être un point tripartite, marquant la limite entre les zones chypriote, libanaise et israélienne.
- Un mois plus tard, en mai 2009, la carte de la ZEE libanaise est approuvée par le Conseil des ministres.
- En juillet et octobre 2010, Beyrouth envoie à l’ONU le tracé de sa frontière maritime avec Chypre et Israël, établi sur base des points délimitant sa ZEE.
En 2011, les Israéliens adoptent officiellement le tracé de leur propre ZEE, en se basant sur l'accord établi en 2007 entre le Liban et Chypre (et donc une délimitation floue de la ligne sud) et non les points définis en 2009. Problème : les points choisis par l’État hébreu pour délimiter la limite-nord de sa ZEE diffèrent de ceux de la frontière-sud de celle du Liban. La pointe sud-ouest de la ZEE libanaise se trouve 17 kilomètres plus au sud que le point considéré par Israël comme marquant la limite nord-ouest de sa zone.
Ce chevauchement de quelque 850 km2 créé donc un triangle revendiqué par les deux pays comme appartenant à leurs propres ZEE et qui est à l'origine de leur contentieux. Un contentieux aggravé par les perspectives d'exploitation des ressources pétrolières et gazières.
(POUR ALLER PLUS LOIN : Les dessous du nouveau litige frontalier entre le Liban et Israël)
Les médiations internationales depuis 2011
Les Etats-Unis : En 2011, sous l'ancien président américain Barack Obama, les Etats-Unis ont proposé un plan de partition du triangle litigieux revendiqué par le Liban et Israël, fruit de négociations menées par le médiateur Frederic Hof. Cette médiation n'a toutefois jamais abouti et le mandat du médiateur n'a pas été renouvelé par l'administration de Donald Trump.
Les Nations unies : L'ONU ne peut pas trancher dans le différend libano-israélien, étant donné que la délimitation des frontières doit être le fruit de négociations entre les différents pays impliqués. La Finul avait suggéré en 2011 d'élargir son mandat (qui selon la résolution onusienne 1701 se limite à un déploiement le long de la ligne bleue terrestre) à une éventuelle ligne bleue maritime. Toutefois, Israël a rejeté cette proposition.
Chypre : En tant que troisième partie concernée par la délimitation des frontières et des ZEE à l'est du bassin méditerranéen, Chypre a également tenté une médiation. En 2011, lors de la délimitation de la zone israélienne, Tel Aviv et Nicosie ont signé un accord sur les différents points de démarcation, ce qui avait suscité des protestations libanaises. A l'époque, le ministre chypriote des Affaires étrangères avait répondu aux récriminations libanaises en assurant que les points tripartites des ZEE ne pouvaient être fixés que sur base d'un accord entre les trois Etats concernés et en proposant la création d'une commission libano-chypriote chargée de cette mission. Aucune suite n'avait été donnée à cette suggestion.
Le bloc 9, c'est quoi ?
Le bloc 9, évoqué par Avigdor Lieberman le 31 janvier 2018, est un des deux blocs, avec le bloc 4, de la ZEE libanaise pour lesquels le Liban a attribué des licences d'exploration et de production d'hydrocarbures offshore, au terme d'une procédure d'appel d'offres. Alors que le bloc 4 se situe au centre de la Zone, le bloc 9 se situe à sa frontière sud et longe la ligne de démarcation revendiquée par le Liban, et qu'Israël considère donc comme appartenant à sa ZEE.
L'attribution des licences d'exploration et production par le Liban
Les offres du consortium international, mené par le géant français Total et composé de l’italien ENI et du russe Novatek, et auquel ont été attribuées les licences d’exploration et de production d’hydrocarbures offshore pour les blocs 4 et 9, ont été acceptées mi-décembre par le gouvernement libanais.
En début de semaine, le consortium a déposé au ministère de l’Énergie les deux accords signés pour l’exploration et la production de pétrole. Le ministre de l'Énergie, César Abi Khalil, avait alors déclaré que, conformément aux dispositions du protocole d’appel d’offres permettant aux détenteurs de droits pétroliers d’établir des filiales à 100 %, les deux accords d’exploration et de production ont été dûment signés par Total E & P Liban S.A.L. (établie au Liban et détenue à 100 % par Total S.A.), Eni Lebanon B.V. (établie aux Pays-Bas et détenue à 100 % par Eni International B.V.) et Novatek Lebanon (établie au Liban et détenue à 100 % par JSC Novatek).
La cérémonie officielle de la signature des deux accords aura lieu le 9 février à 15h, sous le patronage du président de la République, Michel Aoun, au Pavillon Royal du BIEL, à Beyrouth.
Selon le président-directeur général d’Eni, Claudio Descalzi, les premiers forages auront lieu courant 2019.
Les menaces
Depuis plusieurs années, ce contentieux frontaliers alimente un échange de menaces entre responsables israéliens et libanais
Lorsque les gisements gaziers israéliens de Tamar et Leviathan ont été découverts en 2009, le Hezbollah a ainsi menacé Tel Aviv de répercussion en cas d'exploitation de ces ressources, estimant qu'elles revenaient au Liban. Et ce alors même que le tracé des frontières maritimes libanaises notifié à l'Onu en 2010 passe largement au nord de ces champs israéliens, qui ne sont donc pas revendiqués par les autorités libanaises.
En 2011, suite à l'annonce des limites de la ZEE israélienne, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a menacé Israël de bombarder ses installations en cas d’empiétement sur la zone libanaise.
Côté israélien, le Haaretz rapportait, début janvier, que de hauts responsables de l'armée jugeaient le Hezbollah capable d'attaquer les plateformes israéliennes pour l'extraction du gaz naturel offshore. De telles frappes engendreraient "le déclenchement d'une troisième guerre contre le Liban", avertissaient-ils dans la foulée. Quelques jours plus tard, réagissant aux déclarations d'Avigdor Liebermann, le Hezbollah affirmait être prêt à riposter à "toute agression contre nos droits pétroliers et gaziers et à protéger les richesses du Liban".
Dans ce contexte, les deux États envisagent des mesures de défense de leurs infrastructures maritimes. Début janvier, le Haaretz rapportait ainsi que le gouvernement israélien avait chargé l'armée de défendre les plateformes gazières. Côté libanais, un dirigeant aurait suggéré que la question de la défense des futures plateformes soit évoquée lors de la prochaine conférence du Groupe international de soutien au Liban, qui aura lieu à Rome cette année et sera consacrée au soutien à l'armée.
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Le Liban n’a pas besoin d’une autorisation israélienne pour l’attribution d’un permis d’exploration des blocs 9 et 4 dans l’offshore Libanais. Il ne s’agit pas d’un permis d’exploitation d’un champ gazier car aucune découverte d’hydrocarbure n’a été réalisée jusqu’à présent dans la ZEE Libanaise. Il n’est pas rare d’ailleurs que les limites entre des ZEE appartenant aux pays voisins soient disputées. Les cas sont nombreux et les plus difficiles sont finalement réglés au moyen de négociations directes ou par l’arbitrage. Les règles techniques et juridiques sont claires en la matière. En l’espèce, les compagnies signataires ne sont pas vraiment concernées par cette affaire car il s’agit ici de la limite internationale qui est du ressort des états. Je ne pense pas non plus que l’opérateur qui sera vraisemblablement Total commencera son premier forage d’exploration dans la zone prétendument disputée. Dans tous les cas, il faut mieux régler cette affaire au plus tôt car elle sera infiniment plus difficile à résoudre dans le cas où une découverte dans le bloc 9 serait faite.
23 h 29, le 05 février 2018