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Économie - Éclairage

CEDRE : le gouvernement attendu au tournant pour le budget 2019

Pour respecter ses engagements auprès de la communauté internationale, « le cabinet n’aura pas le choix : il devra augmenter les tarifs de l’électricité dès 2019 », confie un expert à « L’OLJ ».

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et le Premier ministre libanais Saad Hariri lors de la CEDRE, le 6 avril à Paris. Éric Feferberg/AFP

Depuis leur prise de fonction le mois dernier, les nouveaux membres de l’exécutif ne cessent de réitérer leur engagement à lancer les réformes structurelles et projets prévus dans le cadre de la conférence de Paris (CEDRE) d’avril dernier et à lutter contre la corruption. Mais ces déclarations de bonne intention ne suffisent plus à convaincre la communauté internationale, qui attend des actes concrets de la part du nouveau gouvernement avant d’envisager un début de déboursement des 11 milliards de dollars promis à Paris pour la modernisation des infrastructures du pays. Alors que le diplomate français chargé par le président Emmanuel Macron du suivi du processus CEDRE, Pierre Duquesne, est attendu aujourd’hui à Beyrouth pour une série de rencontres avec les responsables du pays et les principaux donateurs de la conférence, L’Orient-Le Jour a sollicité l’éclairage d’un expert pour faire le point sur la situation.

Sur la réduction du déficit public

Le Liban est allé à CEDRE avec un budget 2018, dont le déficit public ne dépassait pas les 9 % du PIB. C’est sur cette base qu’il s’était engagé à réduire d’un point de pourcentage par an le ratio déficit public/PIB sur cinq années consécutives. « Or aujourd’hui, nous sommes à plus de 11 % du PIB. Il ne faut pas que le gouvernement pense qu’il pourra se contenter de baisser le déficit à 10 %, il devra obligatoirement le baisser à 8 %, conformément à ses engagements », prévient l’expert, ayant requis l’anonymat.

Est-ce faisable ? « Le gouvernement n’aura pas le choix : il devra augmenter les tarifs de l’électricité dès 2019, d’autant plus qu’ils n’ont pas évolué depuis 1994. Aussi, il devra réellement geler les recrutements et les augmentations de salaires dans la fonction publique, sans exception, y compris au sein des forces de sécurité », estime l’expert précité. La première mesure risque d’être très dure à adopter sur le plan politique, étant donné qu’une hausse de la production est difficilement envisageable à court terme. Il s’agit néanmoins là des seules marges de manœuvre possibles, assure l’expert, puisque les autres postes de dépenses sont rigides : les dépenses en investissement sont déjà trop faibles pour être réduites et il n’est pas possible d’agir sur le service de la dette dans l’immédiat. « Les banques ont déjà de moins en moins confiance en l’État et font davantage confiance à la Banque du Liban. C’est pour cela qu’elles préfèrent les certificats de dépôt aux obligations. Une restructuration de la dette, quelle que soit sa forme, sera interprétée par les banques locales comme un manquement de l’État à ses engagements. Celles-ci pourraient même décider de répercuter ce manque à gagner sur les clients. Pire, elles pourraient décider de ne plus accepter de financer le déficit public », met en garde l’expert.

Une hausse des recettes est, par ailleurs, difficilement envisageable au moment où la croissance est plus que jamais basse (1 % en 2018). « À la veille de CEDRE, le Fonds monétaire international (FMI) suggérait que le Liban s’aligne progressivement sur la moyenne régionale de la TVA qui est autour de 14 à 15 %, alors que la TVA au Liban est de 11 %, en l’augmentant d’un point de pourcentage par an sur quatre ou cinq ans. Cependant, les rendements d’une telle mesure ne seront pas très importants en raison de la faible croissance », souligne la même source.

Le projet de budget de 2019, qui n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres, « sera un vrai test pour le gouvernement libanais face à ses bailleurs de fonds. Les comptes publics ont profondément dérivé en 2018 et le gouvernement a été incapable de maîtriser cette dérive. On est passé de 6 % du PIB en 2017 à 11 % en 2018 : la situation est catastrophique », insiste l’expert. « Il ne semble pas que le gouvernement ait compris la gravité de la situation, car les quelques informations qui circulent sur le futur projet de budget sont inquiétantes. Il sera probablement demandé au FMI de vérifier la sincérité, la crédibilité et la faisabilité du projet de budget », poursuit-il.


(Lire aussi : CEDRE : Bruno Foucher s’entretient avec plusieurs nouveaux ministres)

Sur la réforme du secteur de l’Électricité

Pour l’expert, la réforme de l’électricité ne doit pas être abordée uniquement sous l’angle de la hausse de la production mais devra se faire sur plusieurs niveaux, indissociables les uns des autres : la création d’une autorité de régulation avant le lancement des projets inclus dans CEDRE ; la hausse de la production ; la modernisation du réseau de transport et de distribution ; l’amélioration de la collecte des factures et l’installation de compteurs intelligents ; ainsi que la hausse des tarifs, en préservant la partie la plus pauvre de la population. En somme, « la réforme est claire et connue de tous : tout est dans le plan de Gebran Bassil de 2010, qui n’a jamais été mis en œuvre. Une version actualisée de ce plan a été votée en 2017, qui n’a pas non plus été appliquée. Le budget de 2018 prévoyait une hausse des tarifs d’Électricité du Liban et, encore une fois, cela n’a pas été fait. Nous attendons la création de l’autorité de régulation depuis le début des années 2000 », regrette-t-il. « Pour la communauté internationale, la déclaration ministérielle ou encore les discours du nouvel exécutif sur la lutte contre la corruption sont des choses positives, mais restent de l’ordre des promesses et ça ne suffit plus. Des actes et des décisions suivies d’effets sont attendus. Qu’il s’agisse des bailleurs de fonds de la CEDRE ou des entreprises privées, aucun centime ne sera déboursé sans un minimum de visibilité. Il faut des actes », martèle l’expert.

Près de 2,1 milliards de dollars d’investissements dans le secteur de l’électricité sont prévus dans le cadre de la première phase du programme d’investissement présenté à la CEDRE, principalement pour la construction de deux centrales à Selaata et Zahrani pour la production de 1 000 MW supplémentaires (dont le coût est estimé à 600 millions de dollars pour chacune des centrales). Ces investissements devraient en principe faire l’objet de partenariats public-privé (PPP). Or, le CPL, qui a la main sur le ministère de l’Énergie depuis plus de dix ans, considère que les prérogatives constitutionnelles du ministre lui permettent de garder le contrôle sur ces procédures. Et donc s’oppose à ce qu’elles relèvent du Haut Conseil pour la privatisation et les partenariats (organe rattaché à la présidence du Conseil des ministres, chargé de la mise en œuvre des partenariats public-privé)

« Il faut donner au HCPP les moyens humains et financiers dont il a besoin. Il faudra qu’il ait la compétence sur tous les secteurs, y compris sur l’électricité. Or nous ne sommes pas sûrs que ce soit le cas. La communauté internationale se moque des considérations politiques et sectaires. Elle ne peut pas comprendre pourquoi l’on souhaite réserver un traitement particulier à ce secteur, si ce n’est pour de mauvaises raisons », souligne l’expert.

Sur la réforme des passations de marchés publics

Il faudra créer ex-nihilo une structure habilitée à passer les marchés publics, dont les membres, les méthodes et les procédures seraient conformes aux standards internationaux et dont la crédibilité ne pourra pas être contestée, recommande l’expert. « Aucune des structures existantes ne remplit ces conditions. Il y a un soupçon fort des donateurs sur l’efficacité et la transparence des organismes chargés de l’attribution des marchés publics », fait-il remarquer.

Parallèlement, une réforme de la magistrature devra être menée, car actuellement elle dépend du pouvoir politique. « Les nominations, mutations et avancements doivent dépendre du Conseil de la magistrature, élu par leurs pairs. C’est une condition nécessaire pour que les magistrats ne se sentent plus redevables du pouvoir politique », ajoute la même source.


(Lire aussi : CEDRE : la Banque mondiale poursuit ses consultations avec les responsables libanais)

Sur le plan McKinsey pour le Liban et le déficit de la balance des paiements

Commandé par le gouvernement libanais début 2018, le plan McKinsey pour la diversification sectorielle de l’économie libanaise liste des recommandations pour doper les secteurs productifs et les exportations du pays, en établissant des objectifs chiffrés aux horizons 2025 et 2035. Mais pour l’expert interrogé, « McKinsey décline toujours, pour les pays de la région, un même produit qui n’a jamais été couronné de succès. Leur stratégie pour l’émirat de Dubaï au début des années 2000 les a menés tout droit au crash de 2008. De même, la vision de 2030 pour l’Arabie saoudite n’est rien d’autre que de la communication. Leur rapport pour le Liban n’a pas échappé à cette règle et n’est au final qu’une compilation de données ». « En revanche, CEDRE a un objectif plus ciblé. Il vient répondre au besoin urgent du Liban de moderniser ses infrastructures », assure-t-il. « Quant à la question de savoir pourquoi une économie de spéculations a pris le pas sur une économie de production, et pourquoi le ratio exportations / importations n’a cessé de se dégrader, il faut s’interroger sur la responsabilité du peg (stabilité du taux de change de la livre par rapport au dollar, NDLR). Le peg est indirectement une incitation à importer. Et les produits importés étant moins chers que leurs équivalents locaux, la compétitivité de l’industrie locale diminue. Mais ce n’est pas aux donateurs de se mêler de cette question », conclut l’expert.


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Le Liban va de mal en pire et tous emprofitent

Eleni Caridopoulou

20 h 51, le 27 février 2019

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Commentaires (6)

  • Le Liban va de mal en pire et tous emprofitent

    Eleni Caridopoulou

    20 h 51, le 27 février 2019

  • Des mesures impopulaires qui feront bouger la rue dans un pays ou l’électricité sous toutes ses formes est super chere

    Antoine Sabbagha

    20 h 25, le 27 février 2019

  • Déjà il faudrait que tous le monde paie l’électricité et la tva ! Ce qui est loin d’être le cas au Liban ....et le port de beirut : pourquoi «  2 poids ,2 mesures «  ? Pourquoi certains ne paient rien lorsque des marchandises arrivent au port ? Comment voulez vous lutter contre la corruption s’il y a de telles injustices à la base ?

    L’azuréen

    14 h 44, le 27 février 2019

  • - Augmenter les taris de l'électricité (!) au détriment de ceux qui la payent... Vive les "Moteurs" et les branchements clandestins. - Embauches illégales de 4695 fonctionnaires qui n'ont ni bureaux, ni chaises, ni papiers ni stylos... - Diminuer le nombre des députés de 128 à 28 c'est amplement suffisant - Démolir les kiosques qui empiètent sur le domaine public, c'est bien. Mais démolir les complexes balnéaires qui empiète,t sur le domaine maritime public, c'est mieux .

    Un Libanais

    13 h 17, le 27 février 2019

  • Comment peut on augmenter quelque chose qu'on ne reçoit pas , quand on augmente l'électricité ? Si on attend le gouvernement au tournant , de quel tournant on parle , on ne finit pas de tourner .

    FRIK-A-FRAK

    09 h 26, le 27 février 2019

  • SANS LE BUDGET ET LES REFORMES PAS DE CEDRE. C,EST CONNU. AU TRAVAIL URGENT DONC !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 54, le 27 février 2019

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