Dans une volonté affichée d’amorcer la bataille contre la corruption prônée par de nombreux députés lors du débat de confiance, la commission parlementaire des Finances et du Budget présidée par Ibrahim Kanaan a tenu hier une troisième réunion (après celles de lundi et mardi) consacrée à la question des embauches « abusives » effectuées dans la fonction publique depuis août 2017, date à laquelle la nouvelle loi sur l’échelle des salaires a interdit tout recrutement dans les ministères et les administrations publiques.
Selon un tableau publié par le député Alain Aoun sur son compte Twitter, le ministère de l’Éducation aurait recruté 72 % des 4 404 fonctionnaires controversés.
Lors d’une conférence de presse tenue place de l’Étoile après la réunion de la commission, qui a eu lieu en présence du président de l’Inspection centrale Georges Attié et de la présidente du Conseil de la fonction publique Fatmé Sayegh, M. Kanaan a affirmé qu’il compte « se référer à l’autorité judiciaire compétente sitôt achevées les séances d’audition des responsables ».
Interrogé par L’Orient-Le Jour, le président de la commission des Finances affirme à cet égard qu’il a entendu hier le ministre des Affaires sociales Richard Kouyoumjian (FL) et l’a salué pour « n’avoir embauché aucune personne ». Wehbé Katicha, député FL qui a assisté à la réunion, indique dans ce cadre à L’OLJ que le prédécesseur de M. Kouyoumjian, Pierre Bou Assi, avait même renvoyé 600 contractuels dont le ministère n’avait pas besoin.
Quant au nouveau ministre de l’Éducation Akram Chehayeb, M. Kanaan affirme qu’il l’a invité à s’expliquer sur les chiffres liés à son ministère, mais qu’il ne s’est pas présenté. « J’ai alors demandé au président du Parlement, Nabih Berry, de le convoquer officiellement pour que la commission puisse l’auditionner mardi prochain. »
Réforme structurelle
M. Kanaan affirme en outre à L’OLJ qu’il entend demander à la Cour des comptes d’effectuer une enquête, soulignant aussi qu’il pourrait recourir au Conseil d’État. Il précise que son action se base sur des rapports établis par le Conseil de la fonction publique et l’Inspection centrale, qui lui ont été respectivement transmis en novembre dernier et durant le mois courant. Il ajoute avoir demandé une copie des décisions de recrutement émises par le Conseil des ministres, sachant que « la loi interdit toute embauche avant que ne soit établi un inventaire global des fonctions, axé sur leur nombre et leur nécessité ».
Lors de sa conférence de presse, M. Kanaan a par ailleurs affirmé que les chiffres ne s’arrêtent pas aux 4 404 nouveaux postes alloués, de multiples infractions ayant été commises avant août 2017. « Il est prouvé que 15 200 personnes avaient été recrutées en dehors des qualificatifs légaux de fonctionnaires, entre salariés et contractuels », a-t-il déclaré, ajoutant « vouloir élargir à cette donnée la demande de reddition de comptes ». « Notre démarche s’inscrit dans une volonté d’entreprendre une réforme structurelle pour parvenir à l’édification d’un État qui agit selon la loi, à l’écart de la politique et du communautarisme ».
(Lire aussi : Recrutements abusifs dans la fonction publique : le point sur les chiffres)
« Problèmes inexistants »
Mais justement, n’est-ce pas se baser sur des considérations politiques que d’attribuer au ministère de l’Éducation, dont avait la charge Marwan Hamadé (camp joumblattiste), l’octroi de 72 % des postes controversés ?
Joint par L’OLJ, M. Hamadé affirme que les recrutements auxquels a procédé son ministère sont « totalement légaux », dénonçant « une polarisation sur des problèmes inexistants, qui s’inscrit dans une tentative de camoufler la spoliation de milliards de dollars dans le secteur de l’électricité ».
Le député joumblattiste évoque à cet égard « la campagne du Hezbollah contre l’ancien ministre des Finances Fouad Siniora ». Hassan Fadlallah, député du parti chiite, avait en effet prévenu il y a dix jours qu’il était sur le point de « publier des documents qui pourraient mener de nombreuses personnes en prison », en référence notamment à l’ancien ministre des Finances.
M. Hamadé fait observer à ce propos que les attaques en cours « visent essentiellement les parties qui se sont opposées à la manière dont le dossier de l’électricité était géré au sein de l’ancien gouvernement ».
« Nous n’avons rien à nous reprocher, puisqu’aucun instituteur n’a été embauché en dehors du concours organisé par le Conseil de la fonction publique et en dehors des décisions du Conseil des ministres », ajoute par ailleurs l’ancien ministre de l’Éducation. Et d’expliquer : « Les recrutements ont été effectués sur base d’une procédure entamée en 2012 et poursuivie à l’époque où Élias Bou Saab occupait le poste de ministre de l’Éducation. » « Le processus s’effectue en plusieurs étapes : le Conseil des ministres autorise le Conseil de la fonction publique à recevoir des demandes ; celui-ci organise des examens ; il envoie les lauréats à la faculté de pédagogie de l’Université libanaise pour une formation de deux ans ; les stagiaires sont alors recrutés en vertu d’une décision du ministre de l’Éducation, entérinée par un décret du Conseil des ministres que signe le président de la République. »
Interrogé en soirée par la chaîne MTV, le nouveau ministre de l’Éducation Akram Chehayeb a affirmé dans ce sillage que « les concours ont eu lieu en 2015, et ceux qui les ont réussis sont entrés à la faculté de pédagogie en 2017 ». Aujourd’hui, deux ans plus tard, les lauréats sont recrutés.
M. Chehayeb indique par ailleurs que les chiffres avancés par la commission des Finances « ne sont pas précis », soulignant que les fonctionnaires au sein du ministère de l’Éducation recrutés après août 2017 « ne dépassent pas 59, dont 30 prennent en charge des élèves à besoins spécifiques ».
Le ministre de l’Éducation a enfin affirmé qu’il se rendra mardi place de l’Étoile auprès de la commission des Finances qui l’a convoqué.
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18 h 51, le 28 février 2019