L’ancien ministre Ghazi Zeaïter.
C’est une série d’interrogations et non des moindres que suscite l’affaire de l’acquisition d’armes suisses par l’ancien ministre des Travaux publics Ghazi Zeaïter (groupe parlementaire Amal). Révélé par l’ambassade de Suisse, qui a affirmé avoir suspendu toute livraison de matériel de guerre au Liban et au gouvernement, après la disparition d’armes vendues à une tierce partie libanaise, ce nouveau scandale risque de jeter un peu plus l’opprobre sur un pays qui peine à démontrer son sérieux en matière de respect des procédures et des lois, et dont l’image est ternie chaque jour un peu plus.
Dans les faits, quarante pièces d’armes, soit 10 fusils d’assaut et 30 pistolets-mitrailleurs, avaient été exportées en 2016 au Liban pour le compte du ministre Zeaïter, qui les avait commandées auprès d’une société privée suisse.
Comme le requiert la procédure dans l’État helvétique, le destinataire final doit s’engager par écrit à ne pas céder les armes à des tiers, ou en disposer en dehors des objectifs initialement précisés dans le contrat, sans l’accord écrit du gouvernement du pays d’origine, qui sera en outre autorisé à faire des vérifications sur place. Lors d’un contrôle en mars 2018, seules 9 armes avaient pu être retrouvées chez M. Zeaïter.
Cette version des faits, d’abord révélée par le secrétariat d’État suisse à l’Économie (SECO), a été confirmée par l’ambassadrice de Suisse à Beyrouth, Monika Schmutz Kirgöz, jeudi soir à la chaîne LBCI.
La diplomate a justifié la décision de son gouvernement de suspendre toute livraison d’armes au Liban par le fait qu’un « ancien ministre libanais a acheté quarante armes à la Suisse, dont la plupart ont disparu ». Or, poursuit Mme Kirgöz, le ministre en question « avait accepté lors de la signature du contrat que les autorités suisses puissent s’assurer que les armes n’ont pas été revendues ou données à des parties tierces », a-t-elle raconté. Il s’agit d’une procédure routinière appliquée en Suisse et prévoyant qu’un suivi de la destination des armes et de l’objectif de leur emploi soit régulièrement effectué.
« Une délégation militaire suisse s’est alors rendue au Liban au printemps dernier pour effectuer l’inspection, mais n’a retrouvé chez l’ancien ministre que neuf des quarante armes en question », a ajouté Mme Kirgöz. On apprenait également que M. Zeaïter a reçu par la suite plusieurs requêtes dans le même sens, sans jamais donner suite ou quelque information que ce soit sur le sort des armes.
L’attaché de presse auprès de l’ambassade suisse a précisé hier aux chaînes de télévision locales que M. Zeaïter a signé l’engagement par écrit « au nom du gouvernement libanais » et non à titre privé, entraînant ainsi la responsabilité collective de l’exécutif, visé par la décision suisse.
Le SECO rappelle pour sa part que les deux précédentes inspections menées au Liban en 2013 et 2015 s’étaient déroulées sans incident. Mais il juge désormais que le risque d’une transmission de matériel de guerre à un destinataire final non souhaité est devenu élevé au pays du Cèdre.
Interrogée par L’Orient-Le Jour, l’ambassadrice de Suisse explique que son gouvernement avait effectivement eu « une expérience exemplaire avec la garde républicaine auparavant. Après la vente (d’armes) à cette unité, la Suisse a effectué une mission de vérification après expédition. Tout était en ordre. Par contre, celle de l’année dernière (avec M. Zeaïter) n’a pas été couronnée de succès », a-t-elle déploré.
(Lire aussi : Précision(s) suisse(s), l'édito de Issa GORAIEB)
L’armée dédouanée
L’information relative à la décision de suspendre toute livraison de matériel de guerre au Liban et au gouvernement a été entre-temps maladroitement relayée, certains médias ayant extrapolé cette interdiction à l’armée libanaise qui s’est dépêchée de préciser en soirée que l’institution militaire ne reçoit aucune arme du gouvernement helvétique.
Pour sa part, le ministre de la Défense Élias Bou Saab devait confirmer à son tour que la Suisse n’a pas livré des armes à l’armée. « Les informations attribuées à la Suisse et selon lesquelles des armes livrées à l’armée libanaise ont disparu sont fausses », a dit le ministre. « Nous ne permettrons pas que l’armée libanaise soit prise à partie, et ceux qui veulent connaître la vérité peuvent s’adresser à l’ambassadrice de Suisse au Liban », a-t-il ajouté.
Une source auprès du ministère de la Défense a précisé à L’OLJ que cette confusion serait probablement due au fait que le gouvernement suisse, qui a reçu une fin de non-recevoir de la part de M. Zeaïter, a fini par envoyer une lettre de notification au ministère des Affaires étrangères qui l’a transmise au ministre de la Défense de l’époque, Yaacoub Sarraf. Contacté, ce dernier affirme « avoir fait le nécessaire et transmis, il y a plusieurs mois, la lettre à M. Zeaïter pour effectuer le nécessaire. Ce dernier n’a pas réagi », assure l’ancien ministre, qui précise dans la foulée qu’il n’était pas « tenu d’effectuer lui-même un suivi de ce dossier ». M. Sarraf a déploré le fait que le gouvernement, « qui n’a rien à voir dans cette affaire qui est une simple transaction privée entre le ministre et une société suisse, soit visé ». De sources informées, on apprenait toutefois que l’exportation des armes pour le compte de M. Zeaïter n’aurait pas pu se faire sans l’accord préalable de l’un des ministères concernés. « La moindre cartouche qui parvient au Liban doit nécessairement obtenir le paraphe soit du ministère l’Intérieur, soit de celui de la Défense. »
(Pour mémoire : Le Conseil de sécurité réaffirme la nécessité du désarmement de « tous les groupes armés »)
La version de Zeaïter
Sitôt l’affaire ébruitée, Ghazi Zeaïter a rejeté la faute aux contrôleurs suisses qui, a-t-il dit, n’ont pas voulu se rendre à Baalbeck-Hermel où il est domicilié, pour vérifier que le reste des armes étaient présentes sur place. Il a dès lors invité les personnes concernées au sein de l’ambassade suisse à prendre contact avec lui afin d’organiser tous les contrôles nécessaires. Sur ce point, Mme Monika Schmutz Kirgöz répond : « Je peux confirmer que les membres de la mission de contrôle dépêchée par le gouvernement suisse étaient prêts à se rendre à Baalbeck-Hermel et en ont informé la partie libanaise. »
Dans un communiqué publié par son bureau, l’ancien ministre a indiqué avoir lui-même acheté ces armes, assurant qu’elles sont bien utilisées pour sa sécurité personnelle, dans le cadre prévu dans le contrat passé à l’époque avec la partie suisse. M. Zeaïter a précisé que le marché – dont la valeur est estimée à 40 000 dollars selon la LBCI – a été conclu en 2016, lorsqu’il était ministre des Travaux publics dans le gouvernement de Tammam Salam.
Ce nouvel esclandre vient remettre sérieusement en cause la crédibilité des autorités libanaises et leur manière de traiter avec des gouvernements tiers, mettant à mal une classe politique qui tente l’impossible pour se refaire une virginité.
La légèreté avec laquelle cette affaire a été abordée et la décision conséquente du gouvernement suisse risquent d’affecter, même indirectement, la relation qu’entretient l’armée libanaise avec plusieurs pays tiers qui la soutiennent, États-Unis en tête.
Ancien officier de l’armée, le général Khalil Hélou affirme craindre que les efforts monstres que déploie l’institution militaire à l’égard des pays donateurs pour faire preuve de rigueur et gagner leur confiance ne soient torpillés par des bévues de ce genre.
« Le gouvernement doit immédiatement ouvrir une enquête pour mettre au clair cette affaire qui recèle encore plusieurs zones d’ombre. Nous ne pouvons absolument pas dilapider les acquis réalisés pendant quarante ans par l’armée et ceux qui défendent son honneur et son prestige », a-t-il dit.
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commentaires (21)
C'EST UN PAUVRE CE MONSIEUR GHAZI ZEAÏTER. IL A TROIS DEMEURES SEULEMENT ? C'EST RIEN DU TOUT À CÔTÉ D'AUTRES. SI LUI A BESOIN DE 40 FUSILS POUR SA SÉCURITÉ, SON CHEF BERRI A BESOIN DE COMBIEN ????
Gebran Eid
14 h 51, le 24 février 2019