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Précision(s) suisse(s)

Il y a trois jours était évoqué, dans ces mêmes colonnes, le dilemme auquel se trouve confronté notre pays sur la question d’une normalisation de ses rapports avec le régime de Damas : entreprise que commanderait absolument – ou non – la présence sur le sol libanais de plus d’un million de réfugiés syriens.


Pour crucial qu’il soit, ce rébus n’est pourtant pas le seul qu’offrent à la réflexion du citoyen de longues années de mauvaise gouvernance. Sur un registre on ne peut plus terre à terre, et en l’absence de toute initiative étatique visant à régler une crise des ordures ménagères vieille déjà de plus de trois ans, on vous donne ainsi à choisir entre ces deux arômes pour relever à votre goût l’air vivifiant du Liban : arôme nature, dispensé par les décharges sauvages; ou arôme fumé, exhalé par les tout aussi sauvages incinérations sur les bords des routes…


Beaucoup trop longue serait la liste complète des casse-tête figurant au triste menu. Reste tout de même (mais faut-il vraiment s’en réjouir ?) ces petites surprises du chef que nous réserve de temps à autre l’actualité : polémiques opposant parfois États policés et États faillis, ce qui nous dispense, toute honte avalée, de l’embarras du choix. On en prendra pour tout récent exemple ce qu’il faut bien appeler l’affaire des armes invisibles, frappées du prestigieux label made in Switzerland. Qui croire des deux en effet, cet archétype de rigueur tatillonne, cette patrie de l’horlogerie de précision qu’est la Confédération helvétique, ou bien un establishment politique libanais fortement entaché de corruption et allergique à toute notion de transparence ?


Bref rappel, la Suisse annonçait jeudi la suspension, jusqu’à nouvel ordre, des fournitures d’armes au Liban, par crainte de voir ce matériel tomber dans de mauvaises mains. Objet du litige : une quarantaine de fusils d’assaut et de pistolets-mitrailleurs, joujoux servant à la protection rapprochée des personnages publics, mais dont la destination finale demeure obligatoirement sujette à un contrôle régulier. Or, toujours selon les autorités de Berne et l’ambassadrice de Suisse à Beyrouth, seules neuf de ces armes, qui avaient été livrées au ministre des Transports de l’époque, ont pu être localisées et répertoriées par les inspecteurs, l’acquéreur ne s’étant pas montré coopératif…


Ce dernier, qui assumait à l’époque les fonctions éminemment périlleuses, faut-il croire, de ministre des Transports, se défendait hier, arguant des impératifs qu’exigeait sa sécurité personnelle. Il affirmait que les armes, achetées de ses propres deniers, étaient toujours détenues par ses gardes du corps dans ses trois résidences de Beyrouth, Baalbeck et Hermel, mais que les contrôleurs suisses avaient eux-mêmes refusé de se rendre dans l’est du pays pour vérification. Grand seigneur, le brave homme se dit même tout disposé à leur organiser une agréable excursion sur place…


Malencontreuse à plus d’un titre est cette singulière affaire, et pas seulement parce qu’elle vient jeter une lumière crue sur les transactions douteuses auxquelles se livre une bonne partie du personnel politique local. C’est un fait que l’armée libanaise ne s’approvisionne pas auprès de la Suisse, et donc qu’elle n’est concernée ni de près ni de loin par l’embargo, comme ont tenu à le souligner, à l’unisson, le ministre de la Défense et le commandement militaire. Mais c’est un fait aussi que nos fournisseurs traditionnels, et à leur tête les États-Unis, ont toujours été hantés par la perspective de voir détourner une partie de leur matériel. Ces appréhensions ont même connu dernièrement un regain d’acuité avec l’attribution au Hezbollah, classé terroriste, de ministères de poids dans le nouveau gouvernement libanais.


Puisse néanmoins cette lamentable pantalonnade inciter les autorités à mettre un peu d’ordre – et de décence ! – dans la réglementation des équipes de protection affectées aux hauts responsables. La rumeur veut d’ailleurs que la nouvelle ministre de l’Intérieur ne soit pas insensible à ce problème. On reconnaîtra volontiers que dans notre doux pays, la carrière politique est souvent éminemment dangereuse et que les piliers de la république ne peuvent pas gagner leur bureau à bicyclette ; mais pourquoi donc ces interminables convois de grosses 4 x 4 noires (on en comptait jusqu’à douze pour un des ministres sortants) ? Un nombre stupéfiant de policiers et de gendarmes sont détachés un peu partout, souvent sans réelle nécessité, hors de toute menace précise, juste pour le standing, pour la frime. Ils seraient bien plus utiles dans la rue, au service de ce laissé-pour-compte, cet éternel oublié de simple citoyen.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Il y a trois jours était évoqué, dans ces mêmes colonnes, le dilemme auquel se trouve confronté notre pays sur la question d’une normalisation de ses rapports avec le régime de Damas : entreprise que commanderait absolument – ou non – la présence sur le sol libanais de plus d’un million de réfugiés syriens.Pour crucial qu’il soit, ce rébus n’est pourtant pas le seul...