Le nouveau cabinet verra-t-il enfin le jour dans les délais fixés par le Premier ministre désigné Saad Hariri, c’est-à-dire à la fin de la semaine, alors que le Liban entre dans son neuvième mois de blocage gouvernemental ? Selon des milieux politiques proches du processus de formation de la nouvelle équipe ministérielle, les contacts menés par Saad Hariri ont réussi à aplanir les obstacles. Partant, la naissance du gouvernement serait imminente, selon des sources proches du palais de Baabda. « Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué », a affirmé hier en revanche le vice-président de la Chambre Élie Ferzli à l’issue de la réunion du bureau de la Chambre des députés, précisant que « nous avons mis en place un filet de sécurité en tant qu’alternative si le gouvernement n’était pas formé ».
Mais qu’est-ce qui a modifié la donne ? Quelles sortes de pressions ont poussé les différentes forces politiques à assouplir leurs positions et à renoncer à leurs conditions rédhibitoires ? Selon une source ministérielle, plus d’un facteur serait entré en jeu pour donner un coup de fouet à la genèse du nouveau cabinet. Le mot d’ordre serait venu de l’extérieur, accompagné de fortes pressions en faveur d’un dénouement à la crise.
Plusieurs capitales de décision, notamment Washington, Moscou et Paris, auraient coordonné leurs efforts sur le Liban face à la politique du bord du gouffre des composantes politiques locales. Une forte pression russe aurait ainsi été exercée sur l’Iran, le Hezbollah et les forces politiques alliées pour accélérer le processus de formation du gouvernement, en plus de la tension entretenue par Washington à travers les sanctions US contre l’Iran et le Hezbollah – et qui est amenée à monter d’un cran dans les jours à venir. Quant à Paris, il n’a jamais cessé d’inciter toutes les parties à s’entendre pour débloquer le processus, pour ne pas courir le risque de voir s’évaporer l’aide de la conférence CEDRE.
Les menaces d’escalade militaire israélienne ont également joué un rôle déterminant, Tel-Aviv utilisant sans doute la scène libanaise pour adresser des messages à certaines parties régionales. Sans oublier le danger grandissant d’un effondrement économique, à l’ombre de rapports alarmants d’institutions financières internationales. Bkerké, la société civile, les milieux syndicaux et les instances économiques ont aussi mis chacun son grain de sel pour pousser la machine à se mettre en marche. Bref, aucune partie ne peut plus se permettre de maintenir le statu quo, qui risque de dégénérer en crise.
(Lire aussi : Gouvernement : encore « un petit nœud » sunnite à trancher...)
Des milieux proches du président de la République rapportent que ce dernier aurait insisté pour qu’un gouvernement soit formé à la fin du mois, sans quoi il serait contraint de prendre position, dans la mesure où il ne saurait accepter les atermoiements dans le processus de formation. N’avait-il pas dit, avant les législatives de 2018, que le cabinet issu du scrutin serait symboliquement le premier de son mandat ? Or voilà qu’il se rapproche désormais de la mi-mandat, avec un blocage qui devient de plus en plus coûteux politiquement pour lui. Saad Hariri, qui attendait que les différentes parties approuvent sa mouture, s’est fixé des délais pour mener le navire à bon port, menaçant cette fois de n’écarter aucune option au cas où ses efforts ne sont pas couronnés de succès. Le Premier ministre désigné s’est retrouvé récemment sous le feu de ses détracteurs, qui l’ont accusé de céder sur les prérogatives du président du Conseil et d’affaiblir ce poste. Certains ont même été jusqu’à l’appeler à se récuser, après des mois de tentatives avortées qui seraient un aveu d’impuissance face aux forces de facto.
Les développements régionaux en Syrie, en Irak, au Yémen ont également contribué, avec les positions de Washington, Moscou et Paris et les pressions accrues sur le Hezbollah à travers les sanctions – c’est dans ce cadre que s’inscrit d’ailleurs la visite que mène actuellement le secrétaire adjoint américain au Trésor pour la lutte contre le financement du terrorisme, Marshall Billingslea –, à abattre les différents obstacles. Le Hezbollah a compris les enjeux actuels et le danger de ces développements, qui pourraient lui coûter cher dans l’étape à venir. Le gouvernement serait donc devenu pour le parti chiite un moyen de s’assurer une couverture légale face à la campagne dont il est la cible et de préparer son retour de ses équipées militaires dans le monde arabe. Le secrétaire général du Hezbollah a ainsi adopté une posture positive et des positions souples lors de son entrevue sur la chaîne al-Mayadeen, samedi, évoquant sa disposition à entamer l’étude d’une stratégie défensive mise sur pied par l’État, ce à quoi il s’opposait depuis belle lurette – et alors que plusieurs pays et l’ONU encouragent sans cesse Baabda à ressusciter la table de dialogue national pour l’établissement de cette stratégie défensive fondée sur le monopole par l’État de la violence légitime.
Ce sont donc principalement les angoisses et les craintes du Hezbollah face à ce qui pourrait se profiler à l’horizon qui ont été déterminantes dans la balance et qui l’ont poussé à interagir positivement avec le mot d’ordre international en faveur d’un déblocage de la crise. Le parti chiite ferait donc pression sur ses alliés de la Rencontre consultative sunnite pour qu’ils acceptent la formule de participation qui leur est proposée : leur représentation ferait partie de la quote-part du président Aoun et du groupe parlementaire du « Liban fort », comme cela était auparavant le cas pour le chef du Parti démocrate Talal Arslane et le député du Tachnag Hagop Pakradounian.
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commentaires (12)
QUE DU BAVARDAGE ET RIEN DU CONCRET.
Gebran Eid
19 h 12, le 31 janvier 2019