C’est une semaine particulièrement décisive qui s’annonce au niveau de la formation du gouvernement. Et pour cause: le Premier ministre désigné, Saad Hariri, devrait « trancher » la question ministérielle comme il l’avait promis mercredi dernier à l’issue de son entretien avec le chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, à Clémenceau. Sauf que, de l’autre côté, le Hezbollah ne cherche toujours pas – ou alors ne parvient pas – à débloquer le processus et se contente d’appeler à… la prière.
C’est ce message que le secrétaire général du parti, Hassan Nasrallah, a transmis samedi soir aussi bien à Saad Hariri qu’au chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, et tous les protagonistes concernés par les tractations ministérielles. Dans un entretien accordé à la chaîne al-Mayadine, le dignitaire chiite a reconnu que les négociations en cours butent encore sur le fameux obstacle sunnite né de l’insistance des six députés sunnites hostiles à M. Hariri à prendre part au cabinet, et sur la révision du partage des portefeuilles au sein de la future équipe. Le secrétaire général du Hezbollah n’a toutefois pas manqué de se féliciter d’ « efforts sérieux » dans le sens de la mise sur pied du cabinet. « Saad Hariri tente d’arrondir les angles », a-t-il déclaré, tout en appelant à « la prière » pour que ces efforts aboutissent à un dénouement heureux. Insistant sur l’importance de former un gouvernement dans les plus brefs délais, Hassan Nasrallah a assuré qu’ « il n’y a aucune ingérence extérieure dans la mise sur pied du cabinet ». Le numéro un du Hezbollah a, par ailleurs, évoqué ses rapports avec le président de la République, Michel Aoun, et le chef du CPL. « Rien n’a changé en ce qui concerne nos relations, nos contacts, notre entente avec le Courant patriotique libre (CPL, aouniste) », a-t-il affirmé. « Absolument rien ne peut entacher la confiance établie avec le président Michel Aoun », a-t-il ajouté, soulignant que cette relation avait été renforcée par « les prises de position, publiques ou non, du président Aoun lors de la guerre de juillet 2006 ». Il a indiqué avoir une relation « amicale et de confiance » avec le chef du CPL, Gebran Bassil, soulignant toutefois qu’« être alliés ne signifie pas que nous sommes un seul parti. Il est normal qu’il y ait des divergences d’opinion ».
Emboîtant naturellement le pas au secrétaire général du parti, le cheikh Nabil Kaouk, membre du conseil politique du Hezbollah, a confirmé que l’embellie gouvernementale n’est pas pour demain. Lors d’une cérémonie à Houmine el-Faouqa (Nabatiyé), il a déclaré sans détour: « La crise gouvernementale s’amplifie. Et rien ne garantit une proche solution, parce que certains continuent de nier le droit de la Rencontre consultative (regroupant les six députés hostiles au courant du Futur) à être représentée au sein du gouvernement. »
Des propos auxquels il conviendrait d’ajouter une déclaration de Abdel Rahim Mrad, député de la Békaa-Ouest et un des six parlementaires antihaririens. S’exprimant dans le cadre d’une table ronde à Tripoli, M. Mrad est revenu à la charge, insistant sur « le droit » du groupe auquel il appartient de prendre part à l’équipe Hariri. « Notre ministrable devrait représenter la Rencontre consultative exclusivement en Conseil des ministres. Il ne devrait pas exprimer la volonté des autres », a-t-il tonné. Une façon pour le député de faire barrage à toute solution prévoyant l’inclusion du ministre sunnite en question dans le lot du chef de l’État, comme le veut le CPL pour s’emparer du tiers de blocage.
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À Paris…
Cette nouvelle escalade de la part du Hezbollah et de ses alliés confirme que la mise sur pied du cabinet n’est pas aussi proche que s’efforçaient à le montrer les milieux de MM. Bassil et Hariri au cours de la semaine écoulée. Mais cela ne semble pas réduire la détermination du Premier ministre à accomplir sa mission. Ainsi, une source proche de la Maison du Centre assure à L’Orient-Le Jour que Saad Hariri n’envisage aucunement de jeter l’éponge. Loin de là. Il poursuit ses efforts en quête d’un déblocage. Il n’en reste pas moins qu’il est déterminé à « trancher » la question cette semaine, ajoute-t-on de même source, expliquant que la décision du chef du gouvernement oscille entre la mise sur pied du cabinet (après avoir surmonté tous les obstacles) et la redynamisation du cabinet sortant.
Pour ce qui est des propos de Hassan Nasrallah, les milieux de la Maison du Centre n’y trouvent pas de « données nouvelles ». Selon eux, le secrétaire général du parti chiite a lié la léthargie gouvernementale aux développements régionaux, notamment l’avenir de la présence iranienne dans la région, à l’heure où la République islamique fait face à de dures sanctions américaines. Il cherche donc à maintenir le blocage gouvernemental.
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Quoi qu’il en soit, Saad Hariri poursuit, depuis Paris, où il se trouve en visite privée depuis jeudi, ses contacts visant à défaire les derniers nœuds qui bloquent les tractations. C’est dans ce cadre qu’il convient de placer ses trois réunions successives avec Gebran Basssil dans la capitale française. Une source proche du leader du CPL souligne à L’OLJ que MM. Hariri et Bassil ont passé en revue les cinq propositions présentées par le ministre des Affaires étrangères afin de pouvoir inclure un représentant des sunnites du 8 Mars au cabinet. Il s’agit, entre autres, d’un éventuel élargissement du cabinet à 32 ou 36 ministres. Sauf que les proches de Gebran Bassil sont catégoriques: pas de nouvelles concessions. D’autant que le tandem Baabda-CPL en a fait beaucoup en acceptant d’accorder un siège du lot présidentiel aux sunnites du 8 Mars. Le président de la République a également accepté de permettre aux députés en question de nommer les personnalités qu’ils souhaitent pour occuper ce poste, ajoute-t-on dans les mêmes milieux, avant de poursuivre sur un ton catégorique: le ministre sunnite devra faire partie du lot du chef de l’État. Une façon pour le tandem Baabda-CPL d’affirmer sa volonté de détenir le tiers de blocage. Même si certains observateurs estiment qu’il s’agirait d’un « tiers de blocage à temps partiel » dans la mesure où le ministre en question serait naturellement proche du Hezbollah.
Saad Hariri a également profité de son déplacement en France pour s’entretenir avec le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, en présence du ministre sortant de la Culture, Ghattas Khoury. Contrairement aux récentes spéculations médiatiques selon lesquelles M. Hariri aurait tenté de convaincre M. Geagea de se désister du ministère de la Culture au profit du chef du législatif, Nabih Berry (qui accorderait alors l’Environnement au CPL), des sources proches de Meerab assurent que les FL n’entendent pas faire de nouvelles concessions et sont attachées à leur quote-part de quatre ministres. Une position indiscutable que Saad Hariri connaît et comprend bien, ajoutent les milieux FL.
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22 h 39, le 28 janvier 2019