C’est un Liban sans gouvernement qui devrait accueillir le sommet économique arabe, prévu en principe les 19 et 20 janvier. Une hypothèse qui ne fait que se confirmer au fil des jours. D’autant que les tractations en vue de la mise sur pied du futur gouvernement continuent de buter sur l’obstacle sunnite né de l’insistance de la Rencontre consultative – regroupant les six députés sunnites opposés au Premier ministre désigné Saad Hariri et bénéficiant de l’appui indéfectible du Hezbollah – pour prendre part au futur cabinet. Une bataille articulée autour du tiers de blocage qui continue d’opposer le Hezbollah au leader du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, le parti chiite prenant soin de garder le chef de l’État Michel Aoun loin de ce différend.
À cela est venue s’ajouter la querelle autour d’une éventuelle invitation de la Syrie au sommet économique de Beyrouth, que certains lient étroitement à la formation du cabinet. C’est en tout cas dans ce cadre qu’il conviendrait de placer des propos tenus hier par le président de la Chambre Nabih Berry. S’exprimant au cours des audiences du mercredi à Aïn el-Tiné, M. Berry a ouvertement plaidé pour un report du meeting arabe de Beyrouth en l’absence d’une équipe ministérielle, insistant en outre sur l’importance de la participation syrienne à ce sommet. Se voulant plus clair, il a fait savoir que le cabinet ne sera pas mis sur pied prochainement. Une position qu’il réitérait pour la deuxième fois en l’espace d’une semaine. « La question d’une formation prochaine du gouvernement fait désormais partie du passé. Et tous les projets de solutions dont il a récemment été question étaient voués à l’échec », a déclaré sans détour le chef du législatif, dans ce qui sonne comme une critique des propositions du chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, à Saad Hariri afin de sortir le pays de la léthargie actuelle. Des propos qui interviennent à l’heure où certains milieux proches du 8 Mars ne manquent pas d’accuser M. Bassil d’avoir mis en échec l’initiative lancée peu avant les fêtes par le directeur général de la Sûreté générale Abbas Ibrahim afin de permettre au gouvernement de voir le jour, et ce dans le but de détenir le tiers de blocage.
Outre le pessimisme qu’ils reflètent, c’est surtout par leur timing que les déclarations de Nabih Berry ont toute leur importance. Elles interviennent deux jours après des propos tenus par le président de la République, dans lesquels il avait assuré que le sommet de Beyrouth se tiendra en temps voulu, même si le gouvernement est en phase d’expédition des affaires courantes.
M. Berry réagissait aussi à l’optimisme que Michel Aoun a tenté de distiller lors de son discours annuel devant le corps consulaire et diplomatique hier. Le chef de l’État a ainsi saisi l’occasion pour réitérer son attachement à un cabinet fruit d’un consensus avec Saad Hariri. « L’essence de la démocratie libanaise réside dans le consensus. Partant de là, nous œuvrons en vue de réaliser un consensus large et complet afin de former le gouvernement en concertation avec le Premier ministre désigné », a souligné Michel Aoun. Et d’ajouter : « La formation du gouvernement n’aurait pas dû traîner en longueur si l’on avait adopté d’emblée des critères de représentation justes et précis, issus des élections et qui permettent de trancher en cas de conflit. » Une position en parfaite harmonie avec celle du CPL, dont le chef a longtemps brandi le slogan de la juste représentation gouvernementale afin de justifier toutes ses demandes, dont notamment le tiers de blocage, comme l’a insinué Gebran Bassil depuis Bkerké à l’issue de son entretien avec le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, vendredi dernier.
(Lire aussi : La formation du cabinet entre les obstacles internes et les influences régionales, le décryptage de Scarlett HADDAD)
Modifier Taëf ?
« M. Bassil a mis en échec l’initiative Abbas Ibrahim parce qu’il cherche à obtenir le tiers de blocage », déplorait également un proche de la Maison du Centre interrogé par L’Orient-Le Jour, soulignant par la même occasion que « c’est le Hezbollah qui prend le cabinet en otage, dans la mesure où c’est lui qui a créé l’obstacle sunnite, se livrant ainsi à une épreuve de force contre le courant du Futur ». « Le Futur est convaincu que ce n’est pas à Saad Hariri seul qu’incombe la responsabilité d’un déblocage. D’autant que le Premier ministre a déjà fait beaucoup de sacrifices pour faciliter la mise sur pied du cabinet », ajoute cette source.
Mais bien au-delà de la querelle autour de la question sunnite, certains milieux du Futur ne cachent pas leurs craintes quant à un éventuel forcing que pourrait effectuer le Hezbollah dans le sens d’une Constituante qui modifierait les équilibres politiques instaurés par le système en vigueur, dans la mesure où l’accord de Taëf ne serait plus en harmonie avec le poids politique des chiites au Liban.
Quoi qu’il en soit, et dans une optique strictement liée à la politique politicienne, le « nœud sunnite » semble toujours loin d’être défait prochainement. C’est ce que l’on peut déduire des propos de Abdel Rahim Mrad, député de la Békaa-Ouest, à l’issue de sa rencontre hier avec Nabih Berry à Aïn el-Tiné. « Une des principales entraves à la formation du gouvernement réside dans la représentation de la Rencontre consultative. Celle-ci devrait certainement avoir un ministrable, conformément à ses demandes, c’est-à-dire la nomination d’un des candidats qu’elle a appuyés », a-t-il lancé, martelant que « le cabinet ne verra pas le jour si cette condition n’est pas satisfaite ».
(Lire aussi : Un sommet chrétien prévu à Bkerké pour aider à débloquer la crise gouvernementale)
Un gouvernement de spécialistes
Face à cette guerre d’influence qui n’en finit pas de retarder la genèse de l’équipe Hariri, Bkerké continue de plaider en faveur d’un gouvernement de technocrates, à l’heure où l’on s’attend à une prochaine réunion des leaders maronites sous l’égide du patriarche Béchara Raï. À l’issue de leur réunion mensuelle, les évêques maronites ont réitéré leur appel « à la formation d’un gouvernement restreint de technocrates à même de sauver le pays avant son effondrement », comme on peut lire dans un communiqué rendu public hier. L’occasion pour les évêques de stigmatiser « le recours à des précédents visant à faire adopter le budget, au lieu de se focaliser sur la nécessité de se doter de personnes qui s’acquitteraient de leurs responsabilités ». Une critique implicite au forcing de Nabih Berry pour pousser le cabinet sortant à avaliser le budget 2019 en période d’expédition des affaires courantes.
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commentaires (9)
Les tapis sont caucasiens, du temps ou les relations avec la Perse n’avait pas encore évolué. Ce ne sont bien sûr pas celles de Camille, le roi des rois mendiait alors une sépulture. Aujourd’hui, sous le règne présent, mettre des pieds chaussés (chaussures pas chaussettes) sur des tapis Persans serait un crime de lèse majesté. En attendant que le Caucase (ou le peuple libanais) reprenne ses droits, admirez des chefs-d’œuvre rarement égalés. Et ne piétinez surtout pas, qui que vous soyez !
Evariste
22 h 40, le 10 janvier 2019