Philippe Devernay/AFP
Pour aider les élèves handicapés, vous avez mis en place une stratégie intitulée Ensemble pour une école inclusive. La tâche est dure, même en France, où les handicapés ont beaucoup de facilités par rapport au Liban. Dans les établissements scolaires francophones, jumelés avec la France, les facilités aux handicapés sont souvent absentes et cette catégorie se trouve marginalisée. Disposeriez-vous d’une stratégie commune avec le ministère de l’Éducation dans les pays francophones comme le Liban, afin de remédier à ce fléau ?
J’ai en effet mis en place une politique volontariste pour la prise en compte du handicap à l’école. Cette politique s’applique pleinement aux écoles françaises à l’étranger, et donc aux 43 écoles qui dispensent un enseignement français au Liban et qui accueillent près de 60 000 élèves – ce qui fait du Liban le plus gros réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). La prise en compte du handicap est l’un des critères d’évaluation des écoles qui postulent pour être homologuées par mon ministère. De même, chaque année, au Liban, nous aménageons les épreuves du baccalauréat français pour des dizaines d’élèves en situation de handicap. En revanche, s’agissant des écoles à programme libanais, qui scolarisent plus 90 % des élèves du Liban, il ne nous appartient évidemment pas de décider quelle doit être la politique du gouvernement libanais dans ce domaine, mais nous sommes prêts à partager notre expérience, comme nous le faisons avec beaucoup de plaisir dans d’autres domaines, par exemple en matière de dématérialisation des corrections d’examens.
Au Liban, la grogne des professeurs et des parents d’élèves monte depuis plusieurs années. Cela met en danger la survie des établissements scolaires catholiques qui prennent déjà des mesures d’austérité, et mécontente les parents d’élèves qui doivent payer plus cher la scolarité de leurs enfants. L’État libanais en faillite économique n’a pas de réponse à ce problème. Peut-on sauver la situation, sachant que la contribution de la France à l’AEFE a été réduite ?
Je suis avec beaucoup d’attention la situation des écoles au Liban, depuis l’adoption de la loi dite 46 à l’été 2017, qui s’est traduite par une hausse importante et immédiate des salaires des enseignants et, par conséquent, par une hausse importante des frais de scolarité pour les familles dans le secteur privé, lequel scolarise près de de 70 % des élèves libanais. En effet, les écoles à programmes français, comme toutes les autres, sont fortement touchées par cette mesure. Nous sommes parfaitement conscients de cet impact négatif, mais il ne nous appartient pas de remettre en cause la décision du législateur libanais. Nous comprenons que des discussions sont en cours entre les différents acteurs de l’éducation, le MEES et les parlementaires pour étudier comment cette mesure pourrait être aménagée.
S’agissant de la France, nous avons décidé de sanctuariser les postes existants relevant de l’AEFE afin de renforcer les dispositifs pilotes de formation que nous mettons en œuvre au Liban au profit de toutes les écoles homologuées et labellisées. Mieux, nous comptons doubler le nombre d’élèves fréquentant ces écoles homologuées et labellisées d’ici à 2025. C’est pourquoi nous avons ouvert à cette rentrée un nouvel institut de formation pédagogique. C’est pourquoi nous avons doublé en trois ans le nombre de centres d’épreuves du baccalauréat français au Liban. C’est pourquoi, aussi, nous accompagnons de façon très proactive tous les établissements qui souhaitent rejoindre nos réseaux. Nous avons beaucoup de demandes, y compris au sud et au nord du pays, où la France renforce sa présence.
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Le président Macron a le souci de renforcer la francophonie, et son budget a été considérablement augmenté. Mais les Libanais se sentent abandonnés par la France. L’anglais grignote petit à petit le territoire de la francophonie. Comment la France pourrait-elle sauver la situation, par le biais d’une éducation décloisonnée qui privilégierait la culture extra-muros ?
Vous avez raison de le souligner : le français n’est pas une langue étrangère comme les autres au Liban ; c’est une langue libanaise, qui s’est diffusée grâce aux missions chrétiennes au Liban, même si elle n’est plus depuis longtemps l’apanage d’une seule communauté. Ainsi, plus de 50 % des élèves libanais de toutes confessions suivent un cursus bilingue arabe-français, et 100 % d’entre eux apprennent le français, au moins comme troisième langue. De même, la France reste, de loin, la première destination pour les étudiants libanais qui décident de s’expatrier.
Certes, l’anglais a beaucoup progressé ces dernières années, notamment dans la vie quotidienne des Libanais, qui ont besoin de maîtriser cette langue pour travailler avec et dans des pays anglophones. Ce qu’il faut éviter, c’est que le Liban perde son plurilinguisme, qui fait partie de son identité plurielle et qui contribue fortement à l’attractivité des étudiants libanais pour les employeurs. Ce plurilinguisme, il repose essentiellement sur le français : tout le monde sait bien que lorsqu’on apprend le français, on apprend facilement l’anglais, alors que l’inverse est moins vrai. D’ailleurs, les meilleurs étudiants des universités anglophones du Liban viennent fréquemment des écoles à programme français. Pour beaucoup de familles libanaises, l’enseignement français est considéré comme un enseignement d’excellence et perçu comme un ascenseur social.
Notre objectif est donc de conforter le français à l’école. L’avenir de la francophonie au Liban repose avant tout sur une forte francophonie scolaire. Dans ce domaine, la France est très présente. Nous avons 43 écoles à programme français et plus de 60 écoles labellisées comme francophones (14 écoles LabelFrancEducation, ce qui place le Liban au troisième rang mondial après les États-Unis et l’Espagne, et 63 écoles disposant du label CELF créé par ce poste et certifiant le niveau de maîtrise de la langue française du corps professoral), que nous soutenons, notamment en termes de formation. Au total, nous accompagnons ainsi directement plus de 100 000 élèves libanais, soit 10 % d’entre eux.
Par ailleurs, nous soutenons les facultés de pédagogie francophones ainsi que le ministère libanais de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, à titre bilatéral et à travers les agences des Nations unies. En particulier, nous travaillons, dans la perspective de la prochaine visite du président de la République, à un important programme de soutien de l’Agence française de développement dans le domaine de l’éducation, au profit du secteur public. De plus, je tiens à saluer le fait que le projet Education cannot wait (ECW), piloté par l’Unesco et qui comprend une contribution financière française de 2 millions d’euros, a été volontairement orienté par le ministère libanais de l’Éducation vers le soutien à la langue française dans le système éducatif libanais.
Enfin, la France fait beaucoup dans ce que vous appelez la culture extra-muros. J’en cite quelques exemples : nous finançons un programme de soutien aux médias francophones, dont L’Orient-le-Jour est l’un des principaux bénéficiaires ;
nous accompagnons les distributeurs de chaînes de télévision et de films français afin de permettre une meilleure diffusion auprès du public libanais ; nous organisons chaque année le Salon du livre francophone de Beyrouth, troisième Salon du livre francophone au monde, et nous proposons des spectacles francophones pour la jeunesse sur l’ensemble du territoire libanais.
Un dernier mot sur L’Orient-Le Jour, seul quotidien francophone au Moyen-Orient qui fait de la résistance culturelle dans un contexte de très grands défis. Ce quotidien fondé en 1924 a accompagné les moments-phares de l’histoire du Liban. Mais il se trouve menacé dans son existence même. Quel message avez-vous à adresser à la presse francophone au Liban, aux francophones et francophiles libanais ?
Je tiens à exprimer mon sentiment de sympathie profonde pour ce que représente L’Orient-Le Jour. C’est un monument qu’on doit soutenir. Les éléments qui constituent L’Orient-Le Jour ne sont pas des éléments en déclin. La francophonie s’étend de par le monde. La relation franco-libanaise a pour vocation de se renforcer grâce aux différentes politiques menées et à la vision commune franco-libanaise vis-à-vis du Moyen-Orient. Le Liban a encore largement de l’avenir dans la région. On en a de plus en plus besoin dans la région au moment où s’affirment les fondamentalismes et où s’affichent les visions manichéennes du monde. On a besoin de l’humanisme qu’incarne L’Orient-Le Jour par ses analyses fines. En France, les auteurs et journalistes libanais ont toujours été précieux et ont représenté une richesse pour l’esprit français. La pensée libanaise est utile pour la France et pour le monde et la pensée française est utile au Liban et au Moyen-Orient. On doit vivifier cela. Je pense que les voies passent par le renforcement des liens, des alliances avec d’autres journaux francophones et sans doute les politiques de diffusion du journal dans tout le Moyen-Orient qui va de pair avec la promotion de la francophonie dans cette région du monde.
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Le Liban est le plus grand pays d'accueil et tous aiment ce pays moi je l'adore. Mes parents sont venus de Turquie et je suis née à Achrafieh à l'hôpital St Georges des Grecs Orthodexes
17 h 34, le 02 janvier 2019