De gauche à droite : Xavier Knowles, Alma Guillemain, Gio Saadé, Gaby Nasr, Médéa Azouri et Caroline Torbey. Photo Michel Sayegh
« Tu peux m’apporter un chalumeau please ? » En prononçant cette phrase en France, un Libanais risque de ne pas comprendre pourquoi on lui apporte ce qui s’apparente à un lance-flamme. Quelque peu déstabilisé, il pourrait néanmoins manifester sa gratitude perplexe avec un « merci ktir » adressé à la « demoiselle » qui lui a rendu ce service. Ce type de situation incongrue peut survenir lorsqu’on pratique un dialecte bien particulier appelé le « franbanais », un mot valise qui désigne un dialecte hybride intégrant des mots libanais dans des phrases françaises ainsi que des traductions littérales d’expressions libanaises. C’est avec ce langage qu’on peut dire par exemple à un enfant qu’il est « brave » parce qu’il a eu une bonne note à l’école, ou appeler « tante » une dame plus âgée qu’on ne connaît pas. Un régal pour certains, un péril linguistique pour d’autres.
Le débat organisé mardi soir par L’Orient-Le Jour au Salon du livre s’intitulait « Le franbanisme: plus qu’une langue, une identité ». Il s’est ouvert par la diffusion d’un dialogue enregistré dont les « ça va hayété ? » et les « un jour oui un jour non » n’ont pas manqué de faire rire le public. Les intervenants venaient d’horizons variés: il y avait Médéa Azouri, chroniqueuse à L’Orient-Le Jour, rédactrice en chef du magazine Noun et animatrice à Nostalgie Liban, Gaby Nasr, billettiste et éditeur à L’Orient-Le Jour, Alma Guillemain et Gio Saadé, tous deux élèves au Lycée franco-libanais de Nahr Ibrahim, et Xavier Knowles, directeur de cet établissement. Le débat était dirigé par Caroline Torbey, auteure franco-libanaise.
Selon Médéa Azouri, dont l’intervention était ponctuée de remarques croustillantes sur certains de nos usages linguistiques les plus saugrenus, ce mélange est bon et fait notre charme. Il est enrichissant, car l’arabe « exprime mieux les sensations que d’autres langues ». Comment traduire par exemple le terme « zankha » ? Réciproquement, le dialecte libanais a une capacité à rendre en action des termes étrangers: on dit ainsi « baoumaret » pour dire qu’on a mis l’embrayage au point mort. « On doit continuer d’utiliser ces néologismes », a déclaré Médéa Azouri, affirmant qu’ils constituent notre identité culturelle. « Le dialecte n’étant pas la langue écrite, il est populaire », a-t-elle poursuivi.
Certes, « mais à condition de respecter certaines limites », a répondu Gaby Nasr. Concédant qu’il y a « un petit cachet sympathique autour de cette pratique », le journaliste a insisté sur la distinction entre ce qui se dit et ce qui s’écrit. Selon lui, il est capital pour un journal francophone comme L’Orient-Le Jour de ne pas se prêter à ce charmant mélange à l’écrit, « au risque de dénaturer le français ». Pour ce qui est de l’oral, rien de mal à employer des termes ou des expressions libanaises traduits dans des phrases françaises, mais à condition de ne pas écorcher la structure de la langue de Molière, estime Gaby Nasr.
Les lycéens Gio et Alma, pour qui le franbanais fait partie de leur identité, ont exposé au public un projet qu’ils ont réalisé en classe avec leur professeur de français. Il s’agissait de rédiger un texte en français en insérant des mots d’arabe dans les phrases. « C’est plus coloré, a déclaré Alma. Je me suis sentie plus libre et plus enthousiaste. » Quant au directeur, Xavier Knowles, il considère que le franbanais devient une langue régionale et qu’ « il faut travailler avec cette identité ». « Il est impensable de sanctionner un élève s’il parle franbanais dans la cour de récréation, mais en cours de français, c’est différent », a-t-il estimé.
commentaires (6)
c'est ce qui fait le charme , de la langue parlé dans la rue la langue est vivante, par exemple j'ai entendu 2 jeunes parlés , un au bas de l'escalier et l'autre à la fenêtre : " je t'interphone "
Talaat Dominique
18 h 29, le 08 novembre 2018