Le déblocage de la formation du cabinet dit d’union nationale coïncide avec les récents développements dans la région, qui vont dans le sens d’une résolution des conflits à la faveur d’un assouplissement, sur instigation russe, de la position iranienne – cela est palpable notamment en Irak, où l’Iran a renoncé à son candidat au ministère de l’Intérieur pour faciliter la formation du cabinet.
En Syrie, le retrait des troupes américaines pourrait préluder à la démilitarisation du territoire syrien et jouerait en faveur de la Russie – avec qui ce retrait aurait été coordonné, à en croire des sources diplomatiques occidentales. Après une telle opération, il deviendrait plus facile pour Moscou de négocier avec l’Iran le retrait de Syrie des gardiens de la révolution et du Hezbollah.
Au Liban, c’est la Russie qui aurait fait pression sur le Hezbollah pour lever les obstacles à la formation du cabinet. Si le parti chiite s’est montré réceptif, c’est en partie pour acquérir une immunité interne face aux menaces israéliennes à peine voilées à la frontière. C’est aussi en partie parce que la carte « sunnite » qu’il jouait risquait de lui filer entre les doigts. Le Hezbollah avait en effet bloqué la formation du gouvernement, alors que ce dernier était fin prêt à voir le jour, en sortant la carte de la représentation des députés sunnites issus de l’axe irano-syrien.
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Obtenir leur représentation au sein du cabinet est un moyen pour le Hezbollah de diffuser le modèle de binôme politique de la communauté chiite. Repris par les maronites, en l’occurrence le Courant patriotique libre et les Forces libanaises – et introduit au sein de la communauté druze, toujours à l’initiative du Hezbollah, qui a fait du camp Talal Arslane-Wi’am Wahhab le contrepoids au leadership traditionnel du chef du Parti socialiste progressiste, l’ancien député Walid Joumblatt. C’est une action similaire qu’a préconisée le Hezbollah au sein de la communauté sunnite : il a cherché à imposer au Premier ministre désigné Saad Hariri un ministre sunnite qui non seulement ne gravite pas dans le giron du courant du Futur, mais qui lui est carrément opposé. Ce faisant, il crée ainsi un précédent qu’il ferait prévaloir à l’avenir à chaque formation de cabinet.
Sauf que l’initiative du Hezbollah, à travers laquelle la formation de Hassan Nasrallah cherche à rogner le leadership du courant du Futur, a trébuché au premier obstacle. Non seulement le groupe des six députés, qui jusque-là se présentait comme un bloc soudé, n’est pas arrivé pas à s’entendre sur le nom de celui qui le représentera au sein du nouveau cabinet, mais il risque aussi sérieusement l’implosion. C’est ce qui a poussé l’adjoint politique de Hassan Nasrallah, Hussein Khalil, à intervenir rapidement mercredi pour barrer la voie à l’écroulement du bloc au sein duquel des voix dissonantes continuent de se faire entendre. Chacun des six députés est resté attaché au nom du candidat qu’il a soumis au directeur de la Sûreté, le général Abbas Ibrahim, mandaté par le président Michel Aoun pour trouver un compromis autour de la représentation des sunnites non haririens au gouvernement. Le fait qu’ils n’aient pas réussi à s’entendre sur un même candidat a attisé le conflit entre eux, au point que le député Qassem Hachem, qui avait lui-même suggéré la nomination de Jawad Adra, a boycotté la réunion nocturne de mercredi soir avec Hussein Khalil.
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Concrètement, le Hezbollah a réussi à retarder la formation du gouvernement, mais il n’a pas pu briser le monopole du leadership haririen sur la rue sunnite, s’il se confirme que Jawad Adra représentera les sunnites anti-Hariri dans la nouvelle équipe ministérielle. Ce dernier, dont la nomination aurait été encouragée par le président de la Chambre, fera partie, comme on le sait, du lot des ministres proches du président. Cet arrangement est loin de satisfaire les six députés du 8 Mars, d’où les tiraillements qu’on constate actuellement et leur insistance à arracher à Jawad Adra un engagement à refléter leurs points de vue et position au sein de la nouvelle équipe ministérielle. Les réticences de ce dernier à ce niveau sont loin de les rassurer, au vu surtout des dossiers stratégiques et sensibles sur lesquels le nouveau gouvernement est appelé à plancher, dont certains sont posés, rappelle-t-on, par la communauté internationale comme conditions pour permettre au Liban d’avoir accès aux aides promises dans le cadre des trois conférences internationales de Paris, Rome et Bruxelles durant le premier semestre de 2018. On cite entre autres la politique de distanciation et la déclaration de Baabda, auxquelles la communauté internationale souhaite que le Liban se conforme, et l’application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU pour en finir avec les armes illégales.
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Il aurait fallu, alors, intervenir bien avant, quand une respectueuse des plus sensées journalistes nous écrivait des articles de grande valeur. Je nomme Scarlett Haddad, quand elle se faisait lyncher par des intervenants irrespectueux. Depuis 1960 Ça donne du temps pour être sage.
15 h 27, le 23 décembre 2018