Après plusieurs mois de paralysie et de tiraillements autour de la désignation d’une personnalité sunnite proche du camp du 8 Mars, le déblocage s’est enfin concrétisé à la faveur de la désignation de Jawad Adra, un homme d’affaires et un laïc invétéré, certes prosyrien, mais qui a réussi à nouer des amitiés dans divers milieux politiques toutes communautés et tendances confondues. Un tour de maître que peu de Libanais ont réussi avant lui.
Ayant largement fait ses preuves dans le monde des affaires – M. Adra dirige entre autres la prestigieuse al-Douwaliya Lil Maaloumat, une société d’études, de recherches et de statistiques – il s’est également passionné pour la politique qu’il a côtoyée indirectement, grâce à ses recherches et à travers les études statistiques qu’il effectuait, sur commande, pour les candidats durant les périodes électorales. Sa société lui a servi de plate-forme pour préserver de bonnes relations avec l’ensemble du spectre politique. C’est ce qui fera dire à un de ses amis proches que Jawad Adra apportera à la table du gouvernement « une mine d’informations et une base de données d’une valeur inestimable ». Jawad Adra est en quelque sorte l’un des rares détenteurs d’informations chiffrées dans un pays où les statistiques officielles et les recherches font largement défaut.
Respecté par tous ceux qui l’ont connu de près ou de loin, M. Adra est décrit par ses proches comme un « self-made man doué d’une grande intelligence », un « électron libre » qui sait rester à égale distance de tous et composer avec les antagonismes. Il est connu pour ses « engagements citoyens et sociaux » et sa sympathie pour la société civile, qu’il aurait même soutenu durant les législatives. « C’est un réformateur qui pourra jouer un rôle crucial en matière de lutte contre la corruption et dans la protection de l’environnement pour lequel il a un attachement viscéral », confie une source proche de M. Adra.
Farès Souhaid : Beaucoup de respect...
Marié à une chrétienne, Zeina Acar, et originaire de Kefraya, dans le caza du Koura, Jawad Adra a baigné depuis sa plus jeune enfance dans un milieu issu du Parti syrien national social (PSNS), dont il a été membre pendant plusieurs années. Il quitte le parti en 2004 après avoir occupé le poste de vice-président du bureau politique, « sans pour autant renoncer au legs idéologique » dont il a bénéficié, dit l’un de ses amis, sa famille étant de père en fils issue du PSNS. Pour certains, Jawad Adra n’est pourtant pas un « prosyrien fanatique », mais plutôt un « esprit libre, un citoyen éclairé » qui a des penchants réformistes. Pour d’autres, il reste fidèle à la doctrine du PSNS – qui prône l’unité de la Grande Syrie – et serait aujourd’hui en faveur de la réhabilitation des relations privilégiées avec Damas. D’où la difficulté de cerner le profil politique d’un homme qui, bien que compté dans le camp du 8 Mars, continue toutefois d’entretenir d’excellentes relations avec des figures politiques issues du camp du 14 Mars.
Tout en étant un grand ami du président du Parlement Nabih Berry et de son fils Abdallah, Jawad Adra est également proche du chef du CPL et ministre des Affaires étrangères Gebran Bassil, mais aussi d’un autre amateur d’art, le ministre de l’Intérieur sortant Nouhad Machnouk, dont il serait un grand ami. Il a également la confiance et l’oreille du chef de l’État Michel Aoun. L’homme entretiendrait aussi de très bons rapports avec le Hezbollah, « tout en ayant de nombreuses réserves sur certains points de la politique du parti chiite », commente un proche.
Déroutant quant à sa véritable position sur l’échiquier politique, Jawad Adra suscite aujourd’hui de nombreuses interrogations sur la manière dont il a été parachuté au sein de la nouvelle composition gouvernementale et sur la position qu’il sera appelé à afficher au sein de l’exécutif. Sans être lui-même un député, il est néanmoins censé représenter le groupe des six parlementaires sunnites antihaririens créé de toutes pièces à la dernière minute. « Les membres du bloc dit de la Rencontre consultative ont été pris au piège en dernière minute par une manœuvre finement orchestrée », souligne un responsable politique qui relève au passage que les députés sunnites du 8 Mars ont dû accepter « bon gré mal gré le mot d’ordre de sa nomination ».
« Le plus drôle est qu’une personnalité aussi pétrie de laïcité puisse être impliquée dans le carcan communautaire sunnite. C’est un vrai laïc qui n’est que génétiquement sunnite. Ceci dit, je me réjouis de sa nomination », commente l’ancien député Ghassan Moukheiber, qui l’a rencontré à plusieurs occasions. L’ancien député Farès Souhaid dit à son tour avoir « beaucoup de respect pour cet homme de culture, issu d’une famille d’intellectuels ».
« Fortune colossale »
À ce jour, il n’est pas encore clair si M. Adra prêtera allégeance au bloc sunnite du 8 Mars qui est à l’origine de sa désignation. Va-t-il exprimer la position de ce camp au sein du cabinet ou restera-t-il fidèle à l’indépendance politique qu’il avait affichée jusqu’ici? « Politiquement, on ne peut que le compter dans le camp des indépendants, ou parmi les forces de renouveau démocratique », dit M. Moukheiber.
Quant à sa relation avec la Syrie et sur la question de savoir s’il poussera au sein du cabinet en direction d’un rétablissement des relations entre Beyrouth et Damas, les choses ne sont pas plus claires. « Sur ce point, j’estime qu’il sera moins intransigeant que certains purs et durs au sein du CPL, qui iront bien plus loin que lui sur ce dossier », commente un analyste politique.
À la tête d’une « fortune colossale », Jawad Adra est un homme de culture et un grand collectionneur d’art et de livres antiques. C’est également un mécène qui a fondé le musée Nabu, qui recèle 300 pièces archéologiques faisant partie d’un ensemble riche de 2 000 objets témoins d’un passé plurimillénaire. Le coût du projet est évalué à plus de huit millions de dollars.
Issu d’une famille de notables, Jawad Adra aurait bénéficié dès le départ d’importantes ressources qu’il a « su brillamment fructifier dans le monde des affaires », commente M. Souhaid. Certains continuent néanmoins de s’interroger sur l’origine d’une telle fortune, sans toutefois apporter des réponses satisfaisantes.
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commentaires (11)
La grande Syrie ou un retour en 1920 !!!. Choquante est la philosophie de M. Jawad Adra surtout que le tiers du Liban est occupé par des syriens .
Antoine Sabbagha
21 h 45, le 21 décembre 2018