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Liban - Entretien

Élisabeth Roudinesco : La psychanalyse a un rôle important à jouer au Liban

Co-organisatrice chaque année, depuis quatre ans, d’un colloque de psychanalyse à l’Hôpital Mont-Liban, la psychanalyste et historienne française Élisabeth Roudinesco, dont l’ouvrage « Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre »(2014) vient d’être traduit en arabe, expose sa vision de la discipline de Freud au Liban.

Élisabeth Roudinesco.

La quatrième édition de votre colloque au Liban a eu lieu il y a un mois : pourquoi cette initiative ?

Ces colloques, que j’organise en tant que présidente de la Société internationale d’histoire de la psychiatrie et de la psychanalyse (SIHPP), avec Chawki Azouri pour l’École libanaise de psychanalyse et de psychothérapie (ELPP) et Paul Lacaze, président d’Alphapsy, ont la particularité d’être complétement internationaux et éclectiques. C’est assez représentatif de la communauté des psychanalystes : si je vais à l’autre bout du monde, je retrouve mes homologues et je les reconnais. C’est comme les marxistes : c’est vraiment un mouvement international ! Ça s’explique d’abord parce que c’est une discipline qui a été fondée par des Juifs de l’empire austro-hongrois qui ont ensuite émigré dans tous les pays du monde à cause du nazisme. Cela donne une communauté extrêmement vaste, avec des opinions politiques différentes. Il y a des progressistes et des conservateurs, des gens de droite, de gauche et d’extrême gauche. D’extrême droite assez peu en revanche, même si certains psychanalystes ont collaboré avec des dictatures, en Amérique latine notamment. Le psychanalyste peut être engagé mais l’analyste doit être neutre quand il mène des cures : ce qu’on appelle « neutralité bienveillante ». De même, c’est une communauté extrêmement diverse par ses tendances : l’école anglaise qui domine, l’école française qui a été très forte grâce à Jacques Lacan. Et au sein de ces écoles, on retrouve encore des courants. Ce qu’on a voulu faire ici, c’est montrer toutes ces différences qui sont la richesse de la psychanalyse. Ces colloques nous permettent de nous réunir tout en échangeant avec le public libanais.


(Pour mémoire : Entre psychanalyse et amour du français...)


Quel tableau dressez-vous de la psychanalyse, ici au Liban ?

Au Liban, il y a eu une implantation de la psychanalyse par le biais des francophones, notamment des chrétiens maronites. Elle est principalement liée à l’exil, comme c’est souvent le cas en psychanalyse. Une personne part faire ses études quelque part, se fait analyser et importe ensuite la discipline lorsqu’elle revient dans son pays. Ici, ce sont essentiellement des médecins ou des psychiatres qui sont partis à Paris et ont fondé une petite société de psychanalyse à Beyrouth. Ça s’est néanmoins assez peu développé. C’est très difficile de développer la psychanalyse en l’absence d’un véritable État de droit, notamment lorsque la religion est présente dans une société avec des communautarismes. La psychanalyse met en cause Dieu ! C’est pour cela qu’à quelques exceptions près, elle touche peu les musulmans, qui sont éloignés de toute laïcité… On doit beaucoup à Chawki Azouri au Liban : il a vécu 25 ans en France, y a fait sa formation et a finalement décidé il y a 15 ans de retourner à Beyrouth pour exercer. Il a notamment eu l’occasion de créer, à l’Hôpital Mont-Liban, un service de psychiatrie institutionnel qui est très dynamique même si les cures analytiques, comme souvent, sont réservées à la bourgeoisie aisée. Cette faible implantation est regrettable parce que la psychanalyse a un rôle important à jouer ici. Comme dans tous les pays ayant connu la guerre d’ailleurs ! Et on l’a vu lors du colloque dans les interventions des Libanais. Elle apporte une réponse nécessaire aux troubles post-traumatiques. Elle contribuerait également davantage à la libération des femmes et aux problèmes sociétaux.

Quelles sont les névroses du Liban ?

Il ne faut surtout pas faire de psychologie des peuples. Il n’y a aucune névrose nationale. Cela dit, un pays qui est en situation de guerre perpétuelle produit des névroses traumatiques bien particulières. Mais il n’y a pas de spécificités. La névrose est vraiment universelle. Ce n’est pas une question de culture. Tout le monde a un inconscient et un sexe ! Ce qui joue beaucoup cependant, c’est le régime politique. Ainsi, par exemple, la psychanalyse est très développée au Japon alors que c’est un pays éloigné de l’Europe. Pourquoi ? Parce que le Japon, après la chute de la féodalité, est devenu une démocratie. Alors qu’en Afrique, c’est différent. Il y a eu l’école de Dakar mais ça reste un épiphénomène car la plupart des régimes politiques sur ce continent ont deux piliers : la famille et la communauté. C’est là qu’on règle les problèmes dans une alliance thérapeutique entre les médicaments psychotropes et les guérisseurs : il est difficile pour la psychanalyse d’y trouver sa place. Un des problèmes des Libanais, c’est qu’ils ont une tendance victimaire très autocentrée, ce qui est compréhensible. Mais on retrouve ici des problèmes bien connus puisqu’il y a eu des expériences de guerre ailleurs. De même, il y a un problème de transmission de la mémoire. Là, elle s’arrête simplement à l’idée d’un ennemi persistant pris dans sa totalité, en l’occurrence Israël, alors qu’il faut condamner des tendances politiques – comme je le fais au sujet du gouvernement de Benjamin Netanyahu – et non pas rejeter un État ou un peuple. Ce qu’il faut, comme c’est le cas en France avec la question de la colonisation par exemple, c’est de l’histoire qui seule peut permettre de constituer un statut mémoriel aux événements !


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