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Liban - La psychanalyse, ni ange ni démon

Histoires d’amour, de séparation et de souffrance (5)

Il y a longtemps, pendant ma formation de jeune psychiatre à Paris, je dirigeai une équipe psy multidisciplinaire au Centre médico-psychologique (CMP) de Créteil, dans le Val-de-Marne. Dans la politique du secteur public en France, le pays est divisé en secteurs comprenant un hôpital central, des CMP, des hôpitaux de jour, des appartements thérapeutiques etc., de quoi permettre aux patients psychiatriques de bénéficier de soins divers, y compris à domicile.

Lorsqu’un citoyen se comportait de manière étrange et dangereuse et qu’il n’était pas connu des services de psychiatrie, la Direction de l’action sanitaire et sociale (DASS) prévenait le CMP. Il s’agissait de nous informer sur la personne en question afin de lui proposer éventuellement nos services de psychiatrie.

Daniel, un facteur d’une cinquantaine d’années, sans aucune raison apparente, mit un jour sa vieille tante à la porte. Or cette femme était sur une chaise roulante et incapable de prendre soin d’elle-même. Alertés, les voisins préviennent la police qui se rend sur place, hospitalise la tante et cherche à entrer en contact avec Daniel. Sans résultat. Il était enfermé chez lui et refusait d’ouvrir à quiconque. Prévenue dans un second temps par la police, la DASS nous informe qu’il fallait faire quelque chose. Après plusieurs lettres lui expliquant la situation et lui proposant de le rencontrer, aucune réponse ne nous parvint. Nous décidons de lui rendre visite après l’en avoir informé par courrier. Nous restons devant sa porte environ une demi-heure sans aucun résultat. Nous répétons la visite plusieurs fois mais toujours sans aucune réponse de sa part.

Dans son dossier, l’inquiétude de ses collègues aux PTT était très grande. Un événement est mentionné qui souligne sa très grande dangerosité. Son meilleur collègue et ami lui rend visite. Il est écrit et souligné qu’il l’a reçu un couteau à la main.

J’invite ce collègue à venir nous rencontrer au CMP. Il est très inquiet à propos de son ami Daniel, surtout qu’il ne se rendait plus à son travail depuis plusieurs mois, et sans aucune justification comme un rapport médical par exemple. Il nous raconte sa visite chez Daniel. La maison était délaissée, sale, sens dessus dessous. Daniel dormait par terre alors qu’il avait un lit. Il explique à son ami que le lit était « sur écoute » et visible par la fenêtre extérieure, qu’on pouvait donc l’entendre et l’observer de l’extérieur.

Son collègue avait beau le persuader du contraire, Daniel était convaincu qu’il était épié par des personnes hostiles qui lui en voulaient. D’où sa peur de sortir et de quitter son appartement.

Pour nous, il était évident que Daniel souffrait d’un délire paranoïaque et qu’il pouvait bénéficier de soins psychiatriques. Mais à part le fait qu’il mit sa tante handicapée dehors, aucun autre signe de dangerosité n’était apparent. J’informe le collègue de ce qui était écrit dans le rapport : « Est-ce qu’il vous a reçu un couteau à la main ? » « Oui répond le collègue, il avait un couteau à la main, il coupait des légumes. »

Notre surprise fut très grande. Ainsi, après lui avoir rendu visite et en faisant son rapport à la direction, le collègue mentionne cela. Mais il n’est retenu de son témoignage que le couteau à la main, signe d’une grande dangerosité, et la secrétaire qui notait le témoignage oublie de mentionner qu’il coupait des légumes.

Cette méprise est liée à une idéologie antifolie, discriminatoire, ségrégationniste. La folie est toujours perçue comme dangereuse alors qu’elle ne l’est pas nécessairement. Les actes dangereux commis par des fous ne sont pas plus nombreux que dans une population recensée « normale ».

Suite à cela, le collègue nous conduisit chez lui, nous a présentés et une relation thérapeutique se mit en place. Quelque temps plus tard, après nous avoir parlé de sa tante et de sa souffrance de l’avoir mis dehors, il reprit son travail.


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