Le ton était ferme et résolu : Saad Hariri ne pliera pas et sa position au sujet de la représentation des députés sunnites antihaririens reste immuable. En bref : le blocage semble a priori total après la conférence de presse du Premier ministre désigné, Saad Hariri. Très attendue, son allocution se voulait être une réaction robuste à l’escalade provoquée, samedi dernier, par le secrétaire général du Hezbollah. Mais, par-delà l’intransigeance sur les principes manifestée par le Premier ministre, ce dernier n’a pas pour autant été jusqu’à couper tous les ponts avec le Hezb même s’il ne l’a pas ménagé par ailleurs, laissant ainsi indirectement la voie ouverte aux médiations, dont celle que mène depuis quelques jours, de manière désormais accélérée, le chef du CPL, Gebran Bassil.
Si M. Hariri a clairement laissé entendre hier qu’il n’est pas venu apporter une solution au nœud sunnite « provoqué », selon lui, par le Hezbollah, il n’en reste pas moins que ses propos doivent être interprétés comme une prise de position claire sur un certain nombre de points que le parti chiite lui avait reprochés, notamment « sa volonté de vouloir représenter de manière unilatérale » la communauté sunnite, ou encore le fait qu’il s’était dérobé à la requête des six députés sunnites antihaririens.
M. Hariri a surtout voulu placer des lignes rouges imposées par la Constitution en matière de formation du gouvernement laissant clairement entendre qu’« aucun parti politique ne peut se placer au-dessus de la Loi fondamentale ». Un message que les anciens chefs de gouvernement et, derrière eux, Dar el-Fatwa, mais aussi les faucons au sein du courant du Futur ont matraqué depuis que M. Hariri a été chargé de former le cabinet, un processus entravé à maintes reprises par les requêtes successives des différentes formations politiques.
En se livrant à une plaidoirie en faveur de ses prérogatives, M. Hariri cherchait également à défendre celles du chef de l’État, au même titre que les siennes sans pour aller jusqu’à renverser la table, ou couper la route à toute issue susceptible de sortir le pays de l’impasse.
(Lire aussi : Hariri met directement le Hezbollah en cause dans le blocage)
C’est le point que relève Jamil Sayyed, député de Baalbeck-Hermel et proche du Hezbollah. Dans un tweet, il a noté que dans sa conférence de presse, M. Hariri a cherché à « mobiliser sa base » en évitant toutefois la confrontation avec le parti chiite pour « laisser la voie ouverte à une solution ».
La question est précisément de savoir quelle serait la solution à ce stade où la tension est à son extrême et l’intransigeance des protagonistes plus que jamais marquée, du moins au niveau des discours.
Dans les milieux de Baabda, on s’abstient de commenter aussi bien la teneur du discours de M. Hariri que les solutions en vue. Une source proche de la présidence affirme que le chef de l’État prend le temps d’« évaluer toutes les positions en place avant de se prononcer ».
Du côté du CPL, on se dit convaincu que la médiation entreprise par M. Bassil a toutes les chances d’aboutir, même si la tension reste à son paroxysme, et les surenchères élevées.
Selon une source proche du bloc du Liban fort, l’issue que tente de mettre en place Gebran Bassil consiste à intégrer un sunnite à la quote-part allouée au président du Parlement, Nabih Berry, qui renoncerait à l’un des trois ministres chiites qui lui sont réservés. À son tour, le chef de l’État renonce au ministre sunnite qu’il souhaitait compter dans sa part, pour prendre à la place un chiite.
« De cette manière, aucune partie ne pourra plus prétendre à se faire représenter exclusivement par la communauté dont elle est issue », commente la source.
C’est à cette formule qu’aurait fait allusion hier le député du CPL Ibrahim Kanaan à l’issue de la réunion hebdomadaire du bloc du Liban fort. Dans une déclaration succincte, M. Kanaan, qui a éludé tout commentaire direct sur la teneur de l’intervention de M. Hariri, a évoqué la nécessité pour l’ensemble des protagonistes de « renoncer au monopole de la représentation par leurs communautés respectives ». Toutefois, on ignore encore à ce stade si le ministrable sunnite que parrainerait M. Berry serait issu des six députés antihaririens ou si les protagonistes conviendraient au final d’une personnalité sunnite « moins marquée politiquement », une option qui circulait déjà il y a quelques jours.
(Lire aussi : « Hassan Nasrallah se trouve en confrontation avec tout le monde »)
Entre-temps, le chef du CPL veut mettre les bouchées double et accélérer, tant que possible, le processus du déblocage dont il a été chargé. M. Bassil a déjà rencontré tour à tour Hassan Nasrallah, Saad Hariri, l’un des six députés sunnites concernés, Fayçal Karamé, Nabih Berry et, hier soir, le chef du PSP, Walid Joumblatt. Et il doit s’entretenir aujourd’hui avec le mufti de la République, Abdellatif Deriane, pour défendre sa proposition qui semble avoir fait du chemin, selon ses milieux. « La question n’est pas de porter atteinte aux prérogatives de quiconque, mais de reconnaître une représentation légitime », avait déclaré, lundi soir, le chef du CPL. Dans les milieux aounistes, on avance l’idée d’un « package » à mettre en œuvre en trois phases : calmer le jeu d’abord, poursuivre le dialogue dans un esprit de coopération et parvenir enfin à la réconciliation, aucun délai n’étant cependant fixé à l’avance pour passer d’une phase à l’autre.
Entre-temps, le Hezbollah, qui n’a pas encore réagi à la réponse de M. Hariri, a poursuivi sa fuite en avant, sans toutefois bannir la possibilité d’une issue.
Hier, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Mohammad Fneich, a réitéré à l’agence al-Markaziya le soutien inconditionnel de son parti aux députés du 8 Mars, affirmant que le Hezbollah « n’accepterait aucun compromis qui se ferait aux dépens de ses alliés ». « Nous n’accepterons pas qu’ils soient écartés du gouvernement, à moins qu’ils ne renoncent eux-mêmes à leur droit d’être représentés », a nuancé M. Fneich. Il a ajouté qu’« il ne faut pas que l’on en arrive à une crise ouverte » et que « si les intentions sont bonnes ( …) un gouvernement verra le jour prochainement ».
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commentaires (9)
Le Hezb et L’Iran veulent mettre le Liban a genoux (encore plus), pour mieux le contrôler...comme au Liban-Sud, ils appauvrissent tout le monde pour mieux les contrôler
Jack Gardner
13 h 15, le 14 novembre 2018