Ce grand monsieur qui s’appelait Aznavour

Arménien d’origine, universel d’appartenance, Charles Aznavour a quitté sa table pour aller rejoindre le pays des merveilles au bout de la terre. Désormais les jours vont passer et les nuits vont pleurer un temps où nous construisions des palais de chimères au goût de plaisirs pas du tout démodés.

Ce maître du verbe et de la parole aimait répéter qu’il mettait d’abord les textes de ses chansons avant de passer à la musique. Cet avocat imbattable de la femme, adolescente soit-elle ou muette, choisissait le meilleur des paroles pour exprimer ses sentiments jusqu’à en mourir d’aimer. Ce défenseur acharné des valeurs humaines a chanté pour tout le monde : aux enfants de toutes les guerres, à la nature seule responsable de la souffrance des homosexuels, à la mamma de chacun de nous que l’on réchauffe de baisers sur son lit de mort, à la jeunesse qui a connu une bohème en ne mangeant qu’un jour sur deux, à un passé où nous n’avions hier encore que vingt ans, à un amour perdu que l’on n’a pas oublié, à des Arméniens qui sont tombés par millions sans droit de sépulture, à ce père qui sait qu’un jour viendra où il devra se séparer de sa fille en la livrant à cet autre…

Cet éloquent ambassadeur a chanté son Arménie meurtrie, mais prête à refleurir malgré son triste sort et son destin livré à l’insouciance et l’oubli des grandes nations.

Il suffisait d’un petit tréteau et de quelques projecteurs pour que ce cabotin nous éblouisse par sa présence sur scène.

Grand ami du Liban, Charles Aznavour aimait beaucoup notre pays : le cinéma du Capitole, Baalbeck, Beit-Méry, Jounieh : autant de lieux et de scènes où nous ne reverrons plus ce géant de la musique, et pourtant nous fredonnerons sans doute et pour très longtemps des refrains de ce grand monsieur qui s’appelait Charles Aznavour.