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Culture - Édition

Averroès, dernier éclat de lumière avant la nuit

Gilbert Sinoué. AFP

Gilbert Sinoué est un écrivain pas comme les autres. Depuis deux décennies au moins, il caracole en tête des écrivains les plus constants, prolifiques et créatifs des rentrées littéraires en France. Sa plume est trempée à l’encre de l’Orient dont il interpelle le devenir et dont il aime à rappeler les riches heures de sa civilisation, en choisissant ses héros parmi des figures emblématiques, d’Avicenne à Gandhi, en passant par les pharaons, antiques ou modernes (Nasser) ou des femmes au destin exceptionnel. Jésus lui-même figure parmi les personnages qui peuplent cette dense bibliographie, au milieu de laquelle l’écrivain, en quête d’une sagesse qui a déserté les sérails orientaux depuis belle lurette, n’hésite pas à interroger les silences de Dieu. Même s’il a fait un détour par la Belgique avec son best-seller L’Enfant de Bruges, Gilbert Sinoué puise souvent son inspiration dans l’histoire de l’Égypte, dont il porte un nom allégorique, celle de Sinouhé, médecin savant d’Akhenaton, que le chef-d’œuvre du romancier finlandais Mika Waltari a immortalisé. De Zahlé, dont il est originaire (son nom de famille est Kassab), au Caire, où ses parents se sont installés, l’enfance de Gilbert Sinoué s’est déployée dans un âge d’or qui teinte son écriture de mélancolie.

Son dernier-né est un roman biographique percutant, où le philosophe, juriste et médecin Averroès, l’Ibn Rochd de nos livres de philo, moins arabe que cordouan, se raconte et fait revivre l’Andalousie des sultans almohades. Le rigorisme religieux de cette dynastie suscitait des craintes parmi les savants et les philosophes mais l’on découvre aussi que l’Église a censuré et interdit les livres d’Averroès, douze ans, puis cinquante ans puis deux et trois siècles après la mort du philosophe. En montrant comment, à travers le temps, les autorités ecclésiastiques chrétiennes, à Paris, Rome ou Venise, ont prohibé et condamné la pensée d’Averroès, lui-même traducteur et commentateur de l’œuvre d’Aristote, l’écrivain dénonce tous les obscurantismes religieux. Car à la même époque, le savant juif de Fès, Maïmonide (Ibn Maïmoun), devenu médecin personnel de Saladin, fut lui aussi fustigé par sa communauté, qui l’accusa de soutenir les intérêts des musulmans. Averroès et lui ont affronté l’éternelle et si actuelle problématique de la compatibilité entre foi et raison, même si leurs thèses sur le déterminisme et le hasard ne se rejoignaient pas. Averroès n’avait pas hésité à faire sienne la thèse d’Aristote selon laquelle le monde est éternel et qu’il n’a pas été créé dans le sens où les hommes l’entendent. Il défendait l’idée d’une unicité de l’intellect pour tous les hommes et ne reconnaissait pas une intervention de Dieu ou de la providence divine dans la vie humaine. Autant de thèses que ses détracteurs, parmi lesquels al-Ghazali et al-Jâhiz, ont dénoncées, mais qui, avec le temps, ont fini par s’infiltrer dans le discours et les écrits des plus virulents d’entre eux, tel Thomas d’Aquin. Gilbert Sinoué fait dire à Averroès : « Que sont les dogmes, sinon la volonté d’autrui de nous imposer sa pensée ? »

Hier comme aujourd’hui, l’enjeu est resté le même, la liberté de penser. Sur le fond, il s’agit de l’éternelle opposition entre dialectique religieux et philosophie, la question de l’interprétation du Coran et celle de savoir si la Révélation interdit ou non l’usage de la raison. L’impact des idées d’Averroès sur la pensée occidentale ressemble à une onde de choc qui s’est répandue à travers les siècles. Dans un style épuré, élégant, incisif, l’auteur ressuscite le rêve d’une Andalousie disparue, d’une civilisation de brassage, passerelle du savoir et de la tolérance. Avec un clin d’œil appuyé à Frédéric II, l’empereur ami du sultan al-Kâmil et deux fois excommunié par le pape, dont la cour en Sicile abritait les plus grands poètes et savants musulmans de leur temps, et qui s’était donné pour mission de transmettre à l’Europe les connaissances scientifiques et philosophiques du monde arabe.

En adoptant Averroès*, Gilbert Sinoué a écrit l’un des chapitres les plus éclatants de l’histoire de la civilisation arabe, d’une plume alerte et colorée. Probablement son livre le plus abouti. Jusqu’au prochain…

* Gilbert Sinoué, Averroès ou le secrétaire du diable ( Fayard, 2018)


Pour mémoire

Femmes d’exception orientales sous la plume de Gilbert Sinoué

Gilbert Sinoué est un écrivain pas comme les autres. Depuis deux décennies au moins, il caracole en tête des écrivains les plus constants, prolifiques et créatifs des rentrées littéraires en France. Sa plume est trempée à l’encre de l’Orient dont il interpelle le devenir et dont il aime à rappeler les riches heures de sa civilisation, en choisissant ses héros parmi des figures...

commentaires (1)

"la question de l’interprétation du Coran et celle de savoir si la Révélation interdit ou non l’usage de la raison." Le seul fait de parler de "Révélation" est une abdication de la raison en faveur des chimères de la religion! Dire qu'elle interdit l'usage de la raison est une litote... Tantum religio, encore et toujours!

Georges MELKI

16 h 09, le 15 novembre 2018

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Commentaires (1)

  • "la question de l’interprétation du Coran et celle de savoir si la Révélation interdit ou non l’usage de la raison." Le seul fait de parler de "Révélation" est une abdication de la raison en faveur des chimères de la religion! Dire qu'elle interdit l'usage de la raison est une litote... Tantum religio, encore et toujours!

    Georges MELKI

    16 h 09, le 15 novembre 2018

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