La semaine qui commence est cruciale pour le Liban et la région. Les nouvelles sanctions économiques américaines contre l’Iran et le Hezbollah entrent en vigueur, alors que les États-Unis sont plongés dans les élections de mi-mandat. Des menaces pèsent sur la sécurité de navigation des bateaux dans le détroit d’Ormuz, et si les spécialistes s’accordent pour écarter la possibilité d’une guerre entre l’Iran et les États-Unis, aucun d’eux n’exclut l’hypothèse d’un incident qui mettrait le feu aux poudres et qui pourrait être provoqué par une tierce partie.
C’est d’ailleurs ce contexte explosif et la possibilité d’un renforcement du pouvoir du président américain Donald Trump, si son parti remporte la majorité dans les deux chambres américaines, que le président Michel Aoun avait invoqués, dans son entretien télévisé de mercredi soir, pour pousser le Hezbollah à accepter un compromis dans ce qu’on appelle « le nœud sunnite ». Mais depuis cette position du chef de l’État, les responsables du parti chiite ont multiplié les déclarations pour réaffirmer la nécessité de représenter au sein du gouvernement les sunnites qui ne sont pas dans la mouvance du courant du Futur. Le numéro 2 du parti, Naïm Kassem, a tenu des propos en ce sens, le numéro 3, si l’on peut dire, Hachem Safieddine, l’a fait aussi, ainsi que le député Nawaf Moussaoui, connu pour être un faucon au sein du Hezbollah. Ces déclarations successives montrent que le Hezbollah n’a pas pour l’instant l’intention de renoncer à cette revendication qui pose toutefois un réel problème sur le plan de la formation du gouvernement.
Dans un cabinet de 30 membres, il y a en fait six ministres sunnites. Officiellement, le Premier ministre désigné Saad Hariri souhaiterait avoir les six, ou au mieux, en céder un au président de la République en contrepartie d’un ministre chrétien. Mais sur les cinq restants, il y a d’abord lui-même, puis un ministre sunnite proche de l’ancien chef du gouvernement Nagib Mikati (on parle d’un homme d’affaires tripolitain), un autre proche de l’ancien ministre des Finances Mohammad Safadi (qui pourrait être son épouse Violette Khairallah, auquel cas elle serait comptée dans la part des ministres chrétiens désignés par le Premier ministre), et finalement, il ne lui en reste plus que trois. C’est pourquoi il lui est très difficile d’accepter d’en céder encore un pour le donner aux sunnites qui ne sont pas dans sa mouvance.
(Lire aussi : Hassan Nasrallah : 1 – Michel Aoun : 0, l'édito de Ziyad MAKHOUL)
Pour le Premier ministre désigné, il s’agit donc d’une question mathématique. Mais cette argumentation ne convainc pas le Hezbollah qui considère de son côté qu’il s’agit d’une question de principe. Le Hezbollah estime en effet qu’il a mené une bataille aux côtés du chef de l’État pour faire adopter une loi électorale basée sur le mode de scrutin proportionnel, dans un objectif précis en ce qui le concerne, celui d’ouvrir la voie à une représentation des sunnites proches de la résistance au Parlement. Maintenant que c’est fait, le Hezbollah cherche à couronner cet acquis par la représentation de ces sunnites au gouvernement. Le Hezbollah considère ainsi qu’il ne s’agit pas seulement d’une question interne, mais aussi régionale et internationale. À ses yeux, depuis les résultats des législatives, des forces aussi bien locales que régionales et internationales veulent les contourner. On se souvient en effet que des responsables iraniens avaient déclaré que le Hezbollah et ses alliés ont remporté la majorité des sièges parlementaires, provoquant ainsi un tollé au sein d’une partie de la classe politique au Liban et poussant les ennemis régionaux et internationaux du Hezbollah à conseiller aux Libanais de former « un gouvernement équilibré ». Ce qui veut dire, en termes non diplomatiques, un gouvernement qui ne reflète pas la nouvelle majorité parlementaire. Depuis le début des tractations pour la formation du gouvernement, le principal nœud, pour le Hezbollah, est à ce niveau. Pour lui, les revendications qu’il considérait comme amplifiées des Forces libanaises s’inscrivaient dans ce cadre. Elles ont finalement été réduites à une dimension acceptable et il n’y a donc pas de raison pour que le nœud sunnite ne soit pas réglé de la même manière. Mais ce que le Hezbollah n’avait pas prévu, c’est l’appui du président de la République et de son camp à la position du Premier ministre désigné. Même si des contacts ont été rapidement entrepris pour que ces positions divergentes ne se transforment pas en polémique entre le CPL et le Hezbollah, les divergences au sujet du nœud sunnite sont claires. Jusqu’à présent, seules deux possibilités de solution sont évoquées : soit le sunnite proche de la résistance est désigné dans la part du chef de l’État (ce que ce dernier refuse), soit une personnalité sunnite qui ne ferait pas partie des six députés proches de la résistance, tout en n’étant pas sous la houlette du Premier ministre, est désignée (ce que Saad Hariri refuse). On parle même du député Fouad Makhzoumi. Mais il ne s’agit encore que de propositions vagues. Il faudra sans doute attendre le discours du secrétaire général du Hezbollah prévu samedi à l’occasion de la « Journée du martyr » pour en savoir plus...
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commentaires (9)
Si on n'arrive pas avec un gouvernement d'Union Nationale, il conviendrait de prendre le titre de cet article au pied de la lettre, et ainsi permettre au Président et à ses alliés, qui représentent la majorité au parlement, de gouverner selon le résultat des élections parlementaires. Les autres seront dans l'opposition. On ne peut pas construire un système politique cohérent sur la base d'un accord entres des personnes qui ne peuvent se voir en peinture, juste pour arracher USD 11,4 mios de dettes supplémentaires à des pays étrangers.
Shou fi
00 h 15, le 06 novembre 2018