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Liban - INTERVIEW

Isabelle Morin-Larbey : Le tapis de yoga est une école d’humilité

Isabelle Morin-Larbey, présidente de la Fédération nationale des enseignants de yoga de France (FNEY). Photo DR

En marge du colloque qui a été organisé la semaine dernière à l’Université Saint-Esprit de Kaslik par le syndicat libanais des enseignants de yoga (SLEY) pour comprendre la différence entre spiritualité et religieux à travers le prisme du yoga (lire L’Orient-Le Jour du lundi 15 octobre), la présidente de la Fédération nationale des enseignants de yoga en France (FNEY), Isabelle Morin-Larbey, éclaire les coulisses de cette discipline pour en révéler les fondements et la philosophie, mais aussi les limites et les déviations qui entachent l’image de cette pratique millénaire aux multiples bienfaits.


La réticence de la religion à l’encontre du yoga peut-elle être dissipée par le dialogue et la rencontre de l’autre ?

Oui, cette réticence existe, parfois en France aussi, mais il y a en même temps une grande ouverture envers cette discipline. On peut témoigner des deux types d’attitude. Il faut d’abord poser les fondements du yoga, qui est un système philosophique. Personne ne peut se convertir à l’hindouisme. On naît hindou, mais on ne peut pas le devenir. C’est une réalité tangible. Dans la pratique du hatha yoga, l’étude du corps, du souffle et des textes mène à la connaissance de soi et la réflexion vient rencontrer l’être humain dans sa totalité, c’est-à-dire dans sa façon de se tenir dans le monde. Il n’y a aucune raison qu’il y ait une frilosité quelconque de la part de l’Église ou des milieux religieux. Cela dit, leurs craintes peuvent parfois être justifiées, puisqu’on peut rencontrer dans le monde du yoga certaines pratiques déplacées et aberrantes qui sont le résultat d’interprétations erronées ou farfelues. Je cite par exemple ces pratiques avec des jeunes, accompagnées de tequila ou de bière. C’est du n’importe quoi, que je pourrais mettre sur le compte de la provocation adolescente. Cela n’a rien à voir avec le yoga.


(Lire aussi : Le yoga, pour comprendre la différence entre spirituel et religieux...)


Il y aurait donc des déviations dont il faudrait se méfier ?

Certains groupements peuvent effectivement virer parfois aux sectes en utilisant le yoga comme appât pour mettre la main sur la psyché des personnes, en demandant par exemple des jeûnes excessifs pour se purifier. Ce n’est pas seulement inadapté, c’est dangereux. Il peut y avoir parfois une forme de manipulation, que ce soit au niveau de la tenue vestimentaire ou par exemple le fait d’exiger que l’on se prosterne devant la photo de quelqu’un. Cela ne peut que choquer et interloquer toute personne de bon sens, pas seulement l’Église. Dans ce cas, il faut plier son tapis et s’en aller. Car si vous commencez à intervenir de manière subjective dans la pensée de la personne, vous n’êtes plus à votre place en tant que professeur de yoga. Tout le travail du yoga est dans la lenteur et le discernement. C’est un cheminement. C’est la personne elle-même qui s’en saisit et qui y travaille. Le professeur n’est que le révélateur, mais ne doit pas intervenir, surtout sur le plan spirituel.

Le chemin que nous faisons à l’intérieur de soi nous ouvre au monde, et non le contraire. Il ne s’agit pas de s’isoler et de se retirer du monde. Le yoga rend autonome. Il ne s’agit en aucun cas d’avoir une mainmise sur la psyché de quelqu’un. Le yoga pratiqué dans son éthique, c’est l’antisecte.


(Pour mémoire : Le yoga contraire à la spiritualité chrétienne, selon le Centre catholique d'information)


Le yoga est un tout et s’adresse à l’être humain dans cette totalité. C’est un peu ce que font les religions…

Il n’y a pas d’incompatibilité entre les deux, car si la personne a la foi, elle n’ira pas puiser ailleurs. Et si elle ne l’a pas, elle va pourvoir reconnaître qu’elle n’est pas toute-puissante, contrairement à ce que la publicité actuelle essaye de nous faire croire. Le tapis de yoga est une école d’humilité, de patience et de persévérance. Le souffle me ramène à cette humilité. Il ne m’appartient pas, puisque je suis traversé par le souffle et que je vis à travers lui. J’expire, je donne, j’inspire, je reçois. Je ne vis que grâce à quelque chose que je ne posséderai jamais.


Le yoga se trouve à un carrefour où convergent plusieurs disciplines : le sport, la psychologie, le développement personnel, la spiritualité. Comment le différencier d’autres domaines ?

Le yoga n’est ni un sport ni une thérapie. Il a des effets thérapeutiques, mais les enseignants de yoga ne sont pas des thérapeutes. Dans certains cas, le yoga est même contre-indiqué pour certaines pathologies, dans le cas de psychoses avérées et de schizophrénies, notamment. Les enseignants de yoga ont souvent un bon carnet d’adresses pour orienter les personnes vers les spécialistes – un médecin, un psychologue ou un psychiatre – en cas de besoin.


Le yoga serait donc un complément de thérapie ?

C’est un accompagnement en toute situation. Car ne serait-ce que du point de vue physique, le yoga nous redonne confiance. Il nous permet de trouver des appuis en nous. À la différence du sport conventionnel, le yoga table énormément sur le souffle et sur l’attention, sans chercher à obtenir un résultat en termes d’objectifs de performance à atteindre. Le yoga s’adapte à la personne. En tant que professeur, je peux moduler les postures selon celui qui est en face de moi. Ce qui est important dans un cours, c’est le fait qu’il peut accueillir tout le monde sans exclusion. Nous sommes dans des sociétés anxiogènes qui excluent l’autre, qui ne trouve plus sa place. Dans un cours, on pratique ensemble, mais chacun à son rythme, à sa mesure, parce que le professeur est capable de donner des adaptations : soit en intensifiant les postures pour les personnes qui peuvent les pratiquer sans se faire mal, soit, au contraire, en proposant des moyens régulateurs, entre autres, si la personne est âgée ou s’est fait opérer de la hanche. Le tout dans une optique d’aisance et de fermeté bienveillantes pour être, in fine, dans un état d’équanimité.


Quid des pratiques apparentées au yoga telles que la méditation ?

La méditation fait partie des étapes du yoga. C’est la septième étape, dite « dhyāna ». Malheureusement, on confond souvent concentration – « dharana », la pleine conscience ou mindfulness – et la méditation. Développer son attention est nécessaire et salutaire, mais la méditation est un état au-delà de la concentration – autour d’un point du corps par exemple, ou d’une attention portée au souffle. La méditation est donnée (« dhyāna »). C’est un état où la réflexion n’a plus lieu. Mais aujourd’hui, on est en train d’essayer de scinder le yoga : le corps d’un côté, et l’esprit de l’autre. C’est d’ailleurs ce que d’aucuns ont reproché à la tradition judéo-chrétienne, mal comprise : séparer le corps et l’esprit. C’est ce qu’on est en train de tenter de faire aujourd’hui avec cette discipline indienne. Le contresens est majeur. Diviser, morceler afin de mettre plus facilement la main sur... Lorsqu’il n’y a plus d’ancrage dans le corps, on devient plus vulnérable et certaines méditations en deviennent plus risquées. Il ne faut pas oublier que nous sommes un tout. Le yoga, c’est ne pas se nuire et ne pas nuire à l’autre – c’est le principe de l’« ahimsa ».


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commentaires (1)

Tres juste et interessant :)

Otayek Nada

03 h 35, le 19 octobre 2018

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Commentaires (1)

  • Tres juste et interessant :)

    Otayek Nada

    03 h 35, le 19 octobre 2018

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